Helvétiquement vôtre

Helvétiquement vôtre : «Cette panosse qui se ganguille au bout du mât»

Les élections fédérales et les commentaires sur la retraite de Micheline Calmy-Rey ont donné lieu à des morceaux de bravoure, où l’étendard officiel tient une place importante. Quelques exemples, avec un éclairage historique.

«En rouge et blanc, elle [ndlr : Micheline Calmy-Rey] prête serment en 2002, l’Helvétie sur l’épiderme et la Suisse dans la peau. Arborant le drapeau national sur les talons de ses baskets en 2003, elle marche sur la frontière entre les deux Corée, la croix blanche en étendard d’une Suisse qui veut rassembler, une Suisse qui veut pacifier, une croix trait d’union entre les peuples ».

Commentaire de la ministre : « Ce sont les couleurs du drapeau, de la Suisse, mon pays, un pays que j’aime et pour lequel je me suis engagée et continue de m’engager » (L’Illustré, 3.7.2011). On croirait entendre lire le Livre du soldat !

Présentement, la succession au Conseil fédéral est ouverte. Durant la campagne électorale, le journal La Liberté avait mis en scène le candidat-­ministre Alain Berset « dans une vidéo YouTube, où on lui demandait de chanter l’hymne national » (Le Matin-Dimanche, 16.10.2011), avec le drapeau suisse en arrière-plan. De source sûre, Alain Berset a calé à la deuxième strophe…

 Réflexes identitaires

Lors d’Expo 02, l’industrie suisse avait réalisé une intéressante plus-value grâce à la confection de maillots rouges à croix blanche et autres gadgets « patriotiques ». La conjoncture politique des dernières décennies rendant ce filon rentable, les gadgets pullulent. Ainsi, pendant les débats sur Expo 02, la députée bâloise Anita Fetz – élue des Progressive Organisationen der Schweiz (POCH), réélue sur une liste du PSS après l’auto-­dissolution des POCH au début des années 1990 – avait manifesté son enthousiasme en revêtant l’un de ces maillots.

Lors de la votation sur l’initiative « Pour un âge de l’AVS flexible » (novembre 2008), le tract du comité d’initiative contenait une vue des Alpes avec un drapeau suisse flottant au vent. L’utilisation de ces symboles est contre-productive : « Copier l’UDC, mais en moins fort ne fait que renforcer le modèle original. La gauche fait la même erreur, lorsqu’elle tente d’occuper le terrain de la ‘Suissitude’ en portant des tee-shirts avec la croix-blanche » (Peter Bodenmann, hôtelier à Brigue, ex-président du PSS, Le Matin Dimanche, 16.10.2011).

Retour sur l’histoire

« Par suite de sa conformation politique, l’ancienne Confédération n’avait et ne pouvait avoir ni drapeau ni sceau. Le seul signe militaire commun à cette époque était la croix blanche portée comme marque de reconnaissance sur l’armure ou sur les vêtements (depuis 1339) et appliquée depuis la fin du XV?e siècle aux drapeaux des Etats souverains. (…) La loi du 12 octobre 1815 établit un drapeau fédéral, rouge à la croix alésée blanche ». Ce dernier fut officialisé « par le règlement militaire fédéral de 1840 ».

Mais quelle était donc la situation en Suisse de 1798 à 1815 ? « Le premier drapeau suisse fut le drapeau tricolore de la République helvétique (décret du 14 avril 1798), trois bandes horizontales de vert, rouge et jaune?; dans le rouge, l’inscription : République helvétique. Il existait aussi un drapeau de grenadiers avec une croix blanche et sept flammes dans chaque quartier (trois rouges, deux vertes, deux jaunes). Ces drapeaux disparurent à la chute de la République helvétique et furent remplacés, par décret du 10 mars 1803, par les anciens drapeaux des cantons » (Dictionnaire historique et biographique de la Suisse, DHBS, t. 2. Neuchâtel, 1924).

Les radicaux de 1848 n’osèrent pas revendiquer le drapeau de l’Helvétique, proscrit sous l’Acte de médiation (1803?–?1814) et le Pacte fédéral de 1815. Or, estimant que « la croix blanche sur fond rouge ne reflète plus la Suisse multiculturelle » (Le Matin, 19.9.2011), Ivica Petrusic (vice-­président de Secondas-Plus, Argovie) a suggéré un changement d’emblème. Une proposition intéressante, mais pas réalisable à froid. En effet, un changement de drapeau implique préalablement un changement politique radical (que l’on ne voit guère, bien qu’il soit souhaitable, se profiler dans un horizon très proche…)

Hans-Peter Renk


Le discours de la « panosse fédérale »

(Lausanne, 1932)

 Le 10 novembre 1932, le Parti ouvrier socialiste lausannois (POSL) manifestait contre la tuerie du 9 novembre 1932 à Genève (où 13 antifascistes avaient été assassinés par une unité de l’armée). Pour avoir émis une opinion tranchée sur le drapeau suisse (forme sublimée du drapeau schwytzois), le docteur Maurice Jeanneret-Minkine (président du POSL) écopa d’un procès : il fut condamné à 3 mois de prison (moins 25 jours de préventive), 5 ans de privation des droits civiques et le paiement de deux-tiers des frais de « justice ».

Quelques extraits de son discours :

« Quand je pense qu’il y a quelques jours à peine, je voyais certains d’entre vous saluer chapeau bas la panosse fédérale, la panosse de l’armée qui vient de vous assassiner… Pourquoi vous laissez-vous encore émouvoir par ce drapeau, alors que d’autres emblèmes posés sur la cathé, la devanture d’un hôtel vous laissent froids, c’est parce que ce drapeau est accompagné par des soldats, par des mulets, et avec dessus d’autres mulets, c’est-à-dire des officiers… » (Le Droit du Peuple, journal socialiste, 13.4.1933)

(Source : Pierre Jeanneret, « Le procès de la panosse fédérale »« Cahiers d’histoire du mouvement ouvrier », nº 26/2010)