Swissmetal: vivre et travailler au pays!

Swissmetal: vivre et travailler au pays!

Sans discontinuer, avec l’implacable constance d’un
feu roulant d’artillerie, les patrons de Swissmetal frappent: licenciement
de Nicolas Wuillemin, président de la représentation des employés,
suivi du licenciement d’une vingtaine de cadres, puis de 120 des 345
des salarié-e-s de «la Boillat», déclaration à la
presse évoquant la fermeture du site de Reconvilier, rachat d’une
usine en Allemagne censée la remplacer. Jour après jour, cette
liste des manifestations de force du duo Martin Hellweg et Friederich Sauerländer
s’allonge. Au nom d’une conception d’un patronat de droit
divin, n’ayant prétendument de comptes à rendre qu’à son
actionnariat. Dans le cas de Swissmetal, celui-ci est tellement dispersé que
ses élus à la tête de l’entreprise ont un pouvoir
quasi monarchique, soigneusement verrouillé par l’organisation
interne de la direction.

Ce qui horripile ces absolutistes des temps modernes, c’est la prétention
des travailleurs et des travailleuses de l’entreprise de pouvoir discuter
des orientations suivies, de leurs effets sur l’emploi et sur la région. À la
résurgence de cette vieille revendication ouvrière des régions
périphériques, vouloir «vivre et travailler au pays»,
les restructurateurs patronaux n’ont qu’une réponse, pleine
de morgue et de mépris mal dissimulé pour «leurs» employés: «la
définition de la stratégie est de la responsabilité du
conseil d’administration et ne peut pas faire l’objet de négociations
avec les commissions du personnel, les syndicats ou les politiciens»
(Le
Temps, 10.2.06).

En face, il y a la formidable détermination des grévistes
de Reconvilier, la mobilisation d’une région tout entière,
durement frappée, depuis bientôt trente ans, par la crise multiforme
du capitalisme. Une mobilisation qui culmina dans la manifestation de soutien
de 10000 personnes du samedi 11 février. La résolution des
grévistes se nourrit de cette insertion forte dans la vie économique
locale, de leur fierté de savoir faire professionnellement des produits
de haute qualité (le label «Boillat»), de leur sentiment,
légitime, d’être au fond les vrais acteurs de cette histoire
industrielle.

Mais elle traduit aussi le rejet des politiques incertaines que
connaît
l’entreprise depuis la fin de la période fermement paternaliste
des quatre grands actionnaires régionaux. Après la création
(1986) du holding UMS, Usines métallurgiques Suisses, par le célèbre
financier Werner K. Rey, l’entreprise n’a cessé de
chercher sa voie, frôlant le dépôt le bilan au moment de
l’arrivée de Martin Hellweg. Pour les salarié-e-s du site,
la contradiction devenait patente entre leur certitude d’être compétents
professionnellement, de savoir évoluer technologiquement, d’avoir
contribué par leur travail à l’accumulation du capital
de l’entreprise et les indécisions des directions et propriétaires
successifs.

Défendre l’emploi et l’avenir d’une région
est un objectif totalement légitime, qui mérite une solidarité d’autant
plus intense que l’adversaire est décidé dans sa volonté de
casser toute forme de résistance à ses diktats. Cette solidarité doit être
entière et inventive. Nous ne la mégoterons pas.

Elle ne doit
pas cependant interdire toute réflexion politique. Au moment
de mettre sous presse, il semblerait que la médiation ait fait bouger
les lignes de front et qu’une nouvelle négociation puisse s’ouvrir.
Quelle que soit son issue, le problème de fond est posé: que
faire face aux menaces de fermeture d’une entreprise?

Nous estimons que
la sauvegarde de l’emploi et de l’outil de production,
y compris de l’emploi dépendant de la transformation des produits
dans le cas de la Boillat, est prioritaire. Nous disons aussi que, face au
refus obstiné des représentants des actionnaires d’entrer
en matière, cela passe par le recours à la puissance publique.
Dans un tel cas, les autorités doivent prendre leurs responsabilités
et mettre en place une politique industrielle avec l’accord et sous contrôle
des salarié-e-s de l’entreprise. La puissance publique, si accommodante
lorsqu’il s’agit d’accorder des privilèges fiscaux
supplémentaires aux détenteurs de capitaux, si empressée
d’écraser le coup quand ces mêmes vampires s’envolent
vers des cieux plus cléments, doit ici agir en faveur des détenteurs
du travail.

Et si les actionnaires de Swissmetal s’obstinaient à casser
l’emploi
et à débarquer les travailleurs, cette politique industrielle
se fera sans eux, contre eux si nécessaire. Sans indemnisations, ni
rachat. En appliquant la même règle qui s’appliqua aux anciens
actionnaires de Swissmetal: le refinancement de l’entreprise, en 2004,
a ramené en deux temps la valeur nominale des actions de 100 francs à 9 francs
l’unité. C’est l’équivalent d’une expropriation
sans compensation à plus de 90%. Pourquoi faire preuve de plus de mansuétude
que les mécanismes mêmes du capitalisme?

Daniel SÜRI