France

2023 de rouge et de noir? Une année de lutte en France

Après un nouveau remaniement ministériel qui acte définitivement la droitisation du gouvernement Macron, les mois à venir s’annoncent difficiles pour celles et ceux qui luttent en France pour plus de dignité et de justice. En amont des mobilisations actuelles contre l’insupportable loi immigration, tirons le bilan de ces 12 derniers mois sur fond de luttes syndicales et populaires.

Manifestation contre la réforme des retraites à Paris
Manifestation contre la réforme des retraites, Paris, 23 mars 2023

Du haut de l’histoire, 2023 se pose comme une année de haute intensité pour les luttes en France. À deux reprises, la poudrière s’est enflammée: deux mouvements sociaux majeurs ont secoué par leur intensité et leur radicalité les antagonismes de la société française. Avec eux, la recomposition du champ politique s’est accélérée. La bourgeoisie libérale abandonne désormais ses oripeaux progressistes. Elle récite le programme historique de l’extrême droite d’une voix monocorde, réprimant vigoureusement toute opposition. 

Les remaniements ministériels de ces derniers jours confirment ce cap: une union des droites conservatrices à l’assaut des terres programmatiques du Rassemblement National (RN). Ce pacte relève d’une stratégie de survie d’un édifice en crise, que seule l’unité des classes populaires est en mesure de défaire. L’année 2023 est riche d’enseignements, rappelons-nous donc où nous l’avons laissée.

«64 ans la retraite, il respecte pas l’peuple le gouvernement»

Dès janvier, le gouvernement annonce les détails de sa contre-réforme, précipitant l’allongement de l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans. Plusieurs séquences se succèdent: les premiers mois sont caractérisés par des démonstrations de force soutenues et renforcées par l’unité de l’ensemble des appareils syndicaux, et surtout, par une unité de classe au sein de la population travailleuse. 

Près de 93% des travailleurs et travailleuses se disent opposé·es à la réforme et des millions de personnes répondent présent les jours de mobilisation. L’intersyndicale arbore une stratégie de pression sur la vie parlementaire via des grèves perlées, réparties sporadiquement quelques jours par semaine. Sans jamais véritablement appeler à la grève générale, elle propose un blocage du pays qui sera suivi le 7 mars avec un pic record de personnes mobilisées, mais faiblissant largement les jours suivants. 

Neuf jours plus tard, à l’annonce du 49.3, le rythme s’emballe : une partie importante de la jeunesse entre dans la bataille, les aspirations à la démocratie alimentent les mots d’ordre, et les modes d’action s’intensifient. Paris, sous les déchets grâce à la grève des éboueurs et éboueuses, devient le théâtre régulier de manifestations sauvages aux allures insurrectionnelles. Un point de bascule pour l’ensemble du mouvement, mais restant lettre morte du côté de l’inter­syndicale figée sur sa stratégie initiale et craignant une division entre appareils. Son rôle de gardien du dialogue social, et la préparation « d’une sortie par le haut » alimentent rapidement les déclarations médiatiques des secrétariats centraux. Une stratégie laissant le mouvement reposer sur quelques secteurs organisés, notamment du côté des raffineries en proie pourtant à d’effroyables réquisitions policières.

Des positions en profond décalage avec le mouvement à un moment où l’offensive gouvernementale peine à prendre: la pression est suffisante pour repousser l’agenda de la loi immigration, les violences policières sont décriées, voire publiquement désavouées y compris lorsque celles-ci prétextent le traditionnel spectre des franges révolutionnaires. 

La criminalisation de la contestation, pour trouver un écho, doit se déplacer sur le front des luttes écologistes par la sanglante répression de la manifestation anti-bassines du 25 mars à Sainte-Soline, puis dans l’opération coloniale de Wuambushu ; une rafle militaire et policière au début du mois d’avril contre les personnes sans papiers à Mayotte. La fabrique d’une subversion intérieure prenant la petite porte ou trouvant une accroche détournée dans le fait colonial. À ce contre-feu, les casserolades du printemps, bien que réjouissantes, peineront à effacer le goût amer de la défaite et de la répression.

«Justice pour Nahel» 

Puis, à peine l’été arrivé, c’est à la détermination des révoltés et révoltées que le pays doit sa seconde secousse politique. À la suite de l’exécution du jeune Nahel par la police, la jeunesse des quartiers populaires embrase la France. Si les premières nuits sont principalement localisées à Nanterre et en région parisienne, rapidement, les mortiers éclairent les nuits aux quatre coins du pays notamment à Grenoble, Marseille ou Lille. Face à cet énième crime raciste, les préfectures, les mairies et les commissariats sont attaqués et certaines confrontations avec la police tournent à l’avantage des révolté·es. Une dizaine de nuits qui rappellent évidemment les évènements faisant suite aux meurtres de Zyed et Bouna en 2005.

Très rapidement, la position gouvernementale, fébrile, prétexte «un fait exceptionnel de la police» tentant par-là de se décharger de sa responsabilité directe et structurelle dans la mort de Nahel. Une position rapidement abandonnée qui ouvre la voie au terrifiant appareil répressif de l’État ; de ses blindés et de son arsenal de guerre sociale sur lequel le mouvement spontané des révoltes se heurte. Un dispositif exceptionnel de mobilisation des forces d’intervention spéciales – BRI, GIGN, RAID – et la mise en place de couvre-feux locaux. Des dispositifs déployés à Mayotte quelques mois plus tôt qui rappellent sans cesse le traitement néocolonial principalement réservé aux populations racisées et issues des quartiers populaires. 

À la répression immédiate, aux mutilations, et aux mort·e·s, se succèdent les violences judiciaires. Comparutions immédiates, condamnations en chaîne, peines fermes : le zèle est proportionnel au racisme d’État des institutions judiciaires françaises. La bourgeoisie ahurie, acculée, et aux abois se réfugiant derrière un vaste mouvement de punitions collectives.

Grande tragédie & misérable farce

Il faut ensuite attendre le mois d’août pour que l’offensive gouvernementale prenne un véritable second souffle. Dès la rentrée, l’interdiction islamophobe et sexiste de l’Abaya, menée Gabriel Attal, alors Ministre de l’Éducation et actuel Premier ministre, va jusqu’à mobiliser la police à l’entrée de certains lycées. Du côté de la gauche parlementaire, le Parti Communiste Français (PCF), par le biais de son secrétaire, soutient la mesure et réaffirme les sacro-­saintes frontières du «camp républicain» (même son de cloche à la CGT). La coalition, divisée durant l’été par la polémique islamophobe à l’encontre du rappeur Médine ainsi que sur l’agenda des élections européennes, pointe la marginalisation progressive de la France Insoumise (LFI). 

Une division que la guerre coloniale en Palestine, dès octobre, vient définitivement acter. En France, l’intensité des discours réactionnaires est tristement surprenante : l’existence même de lignes contre le génocide ou pour un cessez-le-feu a été silencée ou, au mieux, marginalisée. Aux vociférations du camp réactionnaire s’ajoutent les silences assourdissants de la social-démocratie et les gesticulations opportunistes du PCF. 

Aussi, la succession de politiques répressives – interdictions de manifestations, poursuites à l’encontre des organisations de solidarité et annulations de conférences publiques – maintient l’étau autoritaire imposé au corps social dans lequel la France s’enlise. La manifestation du 12 novembre, à l’initiative de la présidente de l’Assemblée Nationale et du Sénat, finit par instrumentaliser la lutte contre l’antisémitisme et blanchit au passage le Front National, désormais les deux pieds dans l’arc républicain. Le traitement de la guerre coloniale en Palestine n’y fait donc pas exception ; au chaos international, se joue également la recomposition politique nationale.

Enfin, dans la cynique perspective des vacances de décembre et malgré une première tentative avortée, l’Assemblée Nationale vote, main dans la main avec l’extrême droite, la «Loi immigration» au contenu raciste et xénophobe. 

Cette loi précarise l’accès aux aides et aux logements, facilite les expulsions, durcit l’accès aux régularisations, et maintient une série de mesures d’exception pour Mayotte et la Guyane. La remise en cause du droit du sol et l’intégration de la préférence nationale poursuivent ainsi l’élargissement du travail entrepris en 2012 par le Parti Socialiste au pouvoir avec sa loi «déchéance de nationalité». 

Répétition pour 2024

Alors que retenir de 2023? La première moitié de l’année est marquée par une dynamique largement offensive du côté des classes populaires, qui rappelle non seulement notre existence politique, mais surtout notre capacité à peser durement dans le rapport de force avec la bourgeoisie. Une dynamique qui s’appuie sur les séquences de la dernière décennie notamment des luttes pour la résistance palestinienne de 2014, de la loi travail de 2016, des Gilets jaunes en 2018, et des mouvements de justice et vérité pour Adama en 2020. 

Les retraites et les révoltes ont remis le travail et la lutte contre le racisme au centre de la vie politique pendant plus de six mois. La bourgeoisie au pouvoir s’est embarrassée du son des casseroles puis s’est apeurée face à la jeunesse des quartiers révoltée. Pourtant, l’échec de notre camp à s’opposer aux glissements xénophobes et autoritaires marque le travail titanesque qu’il reste à faire.

En 2024, les contradictions ne disparaissent pas et le vernis des remaniements n’y change rien: «Le plus dur est devant nous» matraque le Ministre des Finances laissant présager la continuité des traitements austéritaires menés jusqu’ici. Sur le haut de la pile, la suppression de l’aide médicale de l’État ; mesure historique de l’extrême droite aujourd’hui dans les tuyaux. 

Les organisations progressistes ont donc du pain sur la planche :  développer partout où il est possible les cadres d’auto-organisation et ne pas céder au défaitisme. Construire, au-delà des divisions corporatistes l’unité de notre classe et apporter un soutien inébranlable aux personnes réprimées et incarcérées. Enfin, soutenir, plus que jamais, les populations en lutte pour leur émancipation contre les guerres (néo-)coloniales. 

Palestine vivra, Palestine vaincra. 

Jimmy  militant Ensemble à Gauche Vaud, encarté CGT