1989–2009: la chute du Mur et après

1989–2009: la chute du Mur et après

Bernd Gehrke était un militant
de l’opposition de gauche dans l’ex-RDA depuis les
années 1970. En 1989, il a été parmi les
cofondateurs de la Ligue verte et de l’Initiative de la gauche
unie. Il répond ici aux questions de Roman Debski *.

Peux-tu rappeler ces journées où le Mur a été abattu ?

La chute du Mur, le 9 novembre 1989, a été le
résultat d’un mouvement de masse spontané et
démocratique, exprimé dans d’impressionnantes
manifestations qui grandissaient à un rythme stupéfiant.
Ce mouvement a non seulement forcé Honecker, le tout-puissant
secrétaire général du parti socialiste
unifié d’Aleemagne (SED, parti stalinien) à
démissionner, mais aussi le Politburo et le gouvernement.

    Le 9 octobre, les 70 000
mani­fes­tant·e·s de Leipzig ont fait une
découverte sensationnelle : malgré les
préparatifs à une guerre civile, le pouvoir n’avait
pas utilisé la force. Honecker voulait lancer les chars, mais il
a été débarqué par la majorité du
Politburo qui essayait de sauver son pouvoir par une
« politique de dialogue ». Ce fut mission
impossible : 400 000 manifestant·e·s
à Leipzig, 500 000 à Berlin-Est, des
manifestations en province. Tous les jours, des dignitaires tombaient,
dans une allégresse croissante. Alors, la chute du Mur,
ça a été l’apogée, la folie. Personne
n’arrivait à y croire.

Comment ce mouvement en est-il arrivé à exiger le
démantèlement de la police politique Stasi ?

La révolution démocratique a eu plusieurs phases. En
été, il y a eu la fuite à l’Ouest de
10 000 jeunes par la Hongrie, qui a ouvert sa frontière
avec l’Autriche. Dès septembre des organisations de
l’opposition sont ouvertement apparues. En octobre, les
ouvrier·e·s, jusque-là passifs, se sont joints au
mouvement. Les manifestations exigeaient la légalisation des
partis d’opposition et le respect de la constitution, aboutissant
à la démission du gouvernement, du Politburo, et à
l’ouverture du Mur.

    La vieille clique dirigeante pensait calmer les gens
et les faire rentrer chez eux. Mais les anciennes institutions
étaient toujours là, et on a commencé à
exiger leur dissolution. Les structures du parti et ses milices dans
les entreprises ont été dissoutes. Le conflit autour de
la Stasi a éclipsé les autres. Le gouvernement
« réformateur » de Modrow l’a
dissoute, mais la population s’était rendu compte
qu’on brûlait des documents à la hâte. Des
manifestations ont eu lieu partout, avec occupation des immeubles de la
Stasi et assaut de son siège central à Berlin-Est, le 15
janvier. Des comités citoyens démocratiques se sont
constitués partout pour surveiller la dissolution.

Qu’est devenu le parti communiste ?

De ces 2,5 millions d’adhérents d’août 1989,
le SED n’en avait plus que 400 000, six mois plus tard. Un
conseil provisoire s’est formé autour de Gregor Gysi et a
convoqué un congrès extraordinaire. La tentative de
certains rénovateurs démocratiques de dissoudre le SED,
de détruire le vieil appareil et de repartir avec une
organisation nouvelle a hélas échoué. Le SED a
été transformé en Parti du socialisme
démocratique (PDS), surtout pour sauver ses biens, ce qui a
provoqué des scandales… de même que sur ces liens
omniprésents avec la Stasi. Après un tel
« renouveau » les anciens oppositionnels de
gauche ne pouvaient pas rejoindre ce parti. Les petits groupes de
l’opposition de gauche se sont malheureusement
désintégrés avec la disparition de la RDA.
(…)

Pour certains, la disparition de la RDA a été un
recul. Mais peut-on construire le socialisme au moyen d’une
dictature policière et dans un pays occupé par une
armée étrangère ?

(…) Je pense que nous devrions faire une distinction entre,
d’une part, la chute nécessaire et légitime de la
dictature stalinienne et la réunification allemande, et
d’autre part la forme concrète que cette unité a
prise sous un régime conservateur et réactionnaire.
C’est vrai que la réunification de 1990 résultait
de la volonté des travailleurs·euses est-allemands. Mais
ils·elles ont aussi suivi le slogan de la CDU :
arrêt des expérimentations sociales, progressistes et
retour au capitalisme allemand éprouvé. Il a abouti aussi
à la victoire du néolibéralisme à tous les
niveaux de la société et à la reconstruction
réactionnaire de l’Allemagne, de pair avec la
défaite de toute la gauche allemande, à l’Est comme
à l’Ouest. Les résultats ont été
catastrophiques: désindustrialisation unique dans
l’histoire (pour un pays industriel) et 1,7 million
d’émigrant·e·s (…)

    La réunification allemande a
été fondée en grande partie sur une alliance entre
les travailleurs·euses est-allemands et la bourgeoisie
ouest-allemande. (…) Les travailleurs·euses de RDA ont
ainsi brisé leur révolution et réalisé une
« restauration par en bas ». Cela n’a
pas conduit au retour d’une dictature comme celle du SED, mais
à la liquidation des restes de la
« révolution stalinienne par en haut »
de 1945-1948 (par exemple la nationalisation des usines) (…). La
réunification a signifié aussi un arrêt de la
révolution démocratique en RDA, avec ses perspectives
progressistes (même si elles n’étaient pas
socialistes) d’émancipation démocratique, sociale
et écologique de toute l’Allemagne. L’alternative
aurait été l’unification sur un pied
d’égalité de la « démocratie
civile » en RDA, radicalement démocratique et
sociale, avec la République fédérale. (…)

    Les discussions sur une
« troisième voie » en 1989-90 gardent
ainsi leur valeur, tout comme les idées de
démocratisation du Printemps de Prague en 1968 ou le programme
de Solidarnosc en 1981, en tant qu’alternatives au
néolibéralisme et au capitalisme. Hélas, la
majorité de la gauche allemande ne comprend pas quels
trésors peuvent renfermer de telles alternatives. (…)

* Original paru sur le site du
NPA : npa2009.org. Cette version est légèrement
abrégée.