Gênes, 200 000 dans la rue, Berlusconi tabasse et tue


Gênes…

200 000 dans la rue
Berlusconi tabasse et tue


Jean Batou

Depuis Seattle, il y a à peine deux ans, toutes les réunions des grands de ce monde ont fait l’objet de contre-manifestations, toujours plus massives et unitaires. L’OMC, le FMI et la Banque Mondiale, l’Union Européenne et le Sommet des Amériques, le G-8 et le WEF… sont ainsi devenues la cible, mais aussi le ferment, de nouvelles formes de contestation globale du système. Dans un mois à peine, le 30 septembre, la Mobilisation pour la Justice Globale annonce 50 000 personnes à Washington contre les politiques du FMI et de la Banque mondiale.


Cette vague de mobilisations a révélé l’essor d’une nouvelle génération politique, que le triomphe arrogant du capitalisme planétaire a contribué à former et à radicaliser. Peu de commentateurs avaient anticipé son apparition, il y a encore quelques années, alors qu’il n’était question que d’une jeunesse amorphe et dépolitisée. Et de toute évidence, Gênes aura marqué une nouvelle accélération dans le développement de ce mouvement. D’abord, par le nombre des manifestant-e-s rassemblés et par leur diversité extrême. Ensuite, par la violence extrême des forces de police, même s’il paraît tout de même hasardeux de parler à ce propos de méthodes «chiliennes».


La plus grande manifestation, celle de samedi, rassemblait une imposante mosaïque de forces, issues du monde associatif chrétien, pacifiste, tiers-mondiste, écologiste et féministe, mais aussi du réseau des centres sociaux, les fameuses Tute Bianche (Tuniques Blanches) notamment. Les grandes confédérations syndicales brillaient par leur quasi-absence, tandis que, parmi la gauche politique italienne, seuls Refondation Communiste et ses Jeunes Communistes avaient massivement mobilisé.


Les éléments du black block ont opté pour la destruction de biens matériels qu’ils perçoivent comme autant de symboles du capitalisme (bâtiments, vitrines, voitures, etc.). On sait que la police a largement laissé faire, voire provoqué, certaines déprédations absurdes (abris bus, cabines téléphoniques, etc.). Qui saura jamais la casse véritablement attribuable à des manifestant-e-s.


Il ne faut pas se cacher que nombre de participant-e-s ont été profondément choqués par de tels agissements, non seulement parce qu’ils pouvaient servir les objectifs de la police et des autorités et qu’ils/elles n’en comprenaient pas le sens politique, mais aussi parce qu’ils/elles les ont vécus comme imposés «du dehors», en rupture avec le consensus longuement négocié au sein du Genoa Social Forum. Une brèche s’est donc ouverte au sein du mouvement, même si la brutalité extrême de la police a contribué à reléguer provisoirement ce différend au second plan. Il faudra en débattre, en renonçant à l’invective et aux exclusions mutuelles.


Le choix des modes d’action peut diviser. Jusqu’ici, les attitudes les plus légalistes ont su faire bon ménage avec les actions symboliques fortes, proposées par les adeptes de la désobéissance civile. En revanche, la casse et la violence contre la police (hormis l’auto-défense stricte) ont été rejetées explicitement par une très large majorité. Il paraît d’ailleurs hasardeux d’établir une corrélation entre le degré de violence et de radicalité politique des manifestant-e-s. Pour en juger, il faudrait aller au-delà des controverses sur les formes d’action, pour aborder le fonds des questions. En effet, un autre monde est possible, mais lequel?


En publiant ce dossier, nous entendons engager la réflexion et le débat sur les retombées de Gênes pour l’ensemble du mouvement international, tout en accordant une attention particulière aux racines politiques d’une répression policière exceptionnelle en l’Europe, qui en dit long sur les traditions populistes et autoritaires spécifiques à la droite italienne.