Où va le Venezuela?

À l’heure où nous bouclons, les évènements se précipitent. Une vingtaine de pays européens ont reconnu Juan Guaidó, président autoproclamé du Venezuela, après l’expiration d’un ultimatum demandant au président Nicolás Maduro d’organiser une présidentielle anticipée. Donald Trump a, quant à lui, réaffirmé que le recours à l’armée états-unienne était une «option» envisagée. Nous publions ci-dessous deux articles pour ouvrir le débat sur une situation critique. Nous renvoyons également au communiqué de solidaritéS sur notre site solidarites.ch (JD).


Cancileria Venezuela

Maduro, dernier rempart?

Que les États-Unis jouent un rôle clé dans la tentative de coup d’État en cours au Venezuela est un fait. Que ce soit grâce à la complicité des présidents issus de la droite dure au Chili, en Argentine, en Colombie et au Brésil que le président de l’Assemblée nationale, Juan Guaidó, s’est autoproclamé président est tout aussi incontestable.

Mais faut-il pour autant considérer le président élu Nicolás Maduro comme le dernier rempart contre Trump et ses affidés? Non, car les enjeux dépassent le choc des présidents pour toucher aux conditions d’existence de la majorité de la population du Venezuela.

Comme en 2002?

Le problème, face à la coalition qui exerce son ingérence et discute ouvertement d’une possible intervention militaire, est de construire un rapport de force suffisant pour faire échec aux gouvernements qui veulent le retour de la droite aux affaires et répondre aux besoins de la population vénézuélienne.

En avril 2002, lorsque les droites ont arrêté Chavez, la réaction de millions de travailleuses et travailleurs et des habitant·e·s des favelas a été de descendre dans la rue pour défendre le processus bolivarien. Avec succès, puisque le golpe a été mis en échec après 47 heures seulement.

Au cours de ces derniers jours, au contraire, c’est par dizaines de milliers qu’une partie d’entre eux·elles ont rejoint les manifestations des insurgé·e·s.

Ce qui reste à défendre

Le contraire eût été surprenant dans un pays exsangue. L’inflation est de l’ordre de 1 000 000%, la pénurie des biens de première nécessité et des médicaments de base est terrible. Mais Maduro s’accroche au pouvoir grâce à la répression – qui ne frappe pas que les insurgé·e·s – et aux violences perpétrées par les colectivos, les milices liées au président de l’Assemblée constituante, Diosdado Cabello.

En 2002, c’est pour garantir les conquêtes du processus bolivarien – le droit à un toit, à l’éducation, aux soins de santé – que la population avait victorieusement défendu Chavez.

Aujourd’hui, ces acquis n’ont pour la plupart pas été anéantis. Ils le seront à coup sûr en cas de victoire du coup d’État. Mais ils sont vidés de leur contenu dans la mesure où, pour le gouvernement, les priorités sont ailleurs.

Ainsi, le fait qu’il ait continué à payer des milliards au titre du remboursement de la dette pour ne pas exposer le régime à des mesures de rétorsion prive le Venezuela d’une part des moyens nécessaires pour concrétiser, financer et donc rendre concrets ces droits.

Brader aux compagnies nord–américaines les bons de PDVSA 1 garantit certes les privilèges de la caste militaire qui, au nom du gouvernement, contrôle les accords mixtes. Mais cela n’a rien à voir avec les droits inscrits dans la Constitution que Chavez avait voulue. Et qui considère «inviolable» la propriété étatique des ressources nationales.

De même, la réduction drastique des droits des populations de l’arc minier de l’Orénoque afin d’en faciliter l’exploitation par les compagnies mixtes – contrôlées par les forces armées et les sociétés étrangères – n’incite pas vraiment à la mobilisation en défense du gouvernement.

Paroles, paroles…

En ce sens, réduire la confrontation entre l’impérialisme de Trump et l’anti-impérialisme de Maduro n’est pas très utile car, si d’un côté l’impérialisme est bien là, de l’autre, l’anti-impérialisme est de pure façade.

C’est donc sur le refus du golpe, de l’ingérence étrangère, sur la défense des droits issus du processus bolivarien, sur le contrôle ouvrier de la production et de la distribution des richesses, sur l’arrêt de la répression, que peut se construire le rapport de force capable de faire échec à la droite. Pas sur le soutien au régime de Cabello et Maduro.

Paolo Gilardi

  1. En 2016, c’est l’équivalent de 2,8 milliards de dollars de bons de la PDVSA, la compagnie d’État qui détient le monopole de l’extraction pétrolière, qui ont été vendus à Goldmann-Sachs avec un rabais de 70%.

Ni Guaidó, ni Maduro! Seul le peuple vénézuélien doit pouvoir décider!

Interview de Gonzalo Gomes, dirigeant du mouvement politique Marea socialista au Venezuela, réalisé le 22 janvier – la veille de l’autoproclamation de Guaidó – par Alternativa socialista, organe du Mouvement socialiste des travailleurs, d’Argentine.

Que penses-tu de la déclaration du groupe de Lima 2?

Elle est partie prenante d’un plan d’intervention et d’ingérence qui prévoit une série d’actions destinées à renverser le gouvernement Maduro. Il s’agit d’une décision unilatérale de forces extérieures au pays alliées avec les secteurs extrêmes de l’opposition vénézuélienne, une opposition de droite émanant des sphères traditionnelles de la bourgeoisie. Le Groupe de Lima n’est pas un espace politique né de la volonté de nations: c’est un groupe de gouvernements qui a trouvé un accord qui peut servir d’instrument pour l’application de mesures contre le gouvernement de Maduro, le tout dirigé, en dernier ressort, par Washington. Le plan est simple: il s’agit de proclamer que Maduro est un usurpateur et de nommer un gouvernement transitoire sous la responsabilité du président de l’Assemblée nationale, Juan Guaidó 3. […]

[De cette manière], le Groupe de Lima est en train de définir un modèle: il prétend intervenir et ingérer dans la définition du Venezuela du futur. Mais le Venezuela du futur n’a pas à correspondre à ce qu’ils veulent, il doit répondre aux besoins de la nation et du peuple vénézuéliens.

Maduro dénonce un «coup d’État» et appelle à défendre le gouvernement. Ici, tous les pouvoirs, tant celui du gouvernement que celui de l’Assemblée nationale, sont illégitimes. Le gouvernement Maduro s’est toujours comporté de manière répressive, anti–ouvrière et antipopulaire et a démantelé les conquêtes de la révolution bolivarienne. Moi, je le considère comme contre-révolutionnaire, même s’il use souvent d’une rhétorique anti-impérialiste et révolutionnaire. C’est un gouvernement qui, en violation flagrante de la Constitution, abandonne une partie de la souveraineté, des richesses de la nation, qui menace la nature et dépouille les peuples indigènes. Je parle, là, de projets qui concernent l’arc minier de l’Orénoque, des projets extractivistes, prédateurs, qui bradent nos ressources aux entreprises transnationales et aux intérêts privés et qui sont en train de provoquer des désastres environnementaux.

Les partisan·e·s de Maduro prétendent que les difficultés sont dues au blocus impérialiste.

Les sanctions les plus dures, celles prises en 2017 par Trump, n’ont pas modifié les échanges pétroliers. Elles ont tout au plus eu des conséquences sur les opérations financières et sur la possibilité d’obtenir des prêts à l’étranger.

Les principaux problèmes d’approvisionnement ne résultent pas des sanctions nord-américaines. Ici, nous avons une bureaucratie corrompue, responsable des désastres intervenus dans les entreprises publiques. Au lieu de promouvoir le contrôle ouvrier, de développer les formes de propriété sociale, les membres de cette caste se sont enrichi·e·s personnellement comme des patrons privés. Démanteler le secteur public, le priver des moyens d’exister, voler, voilà ce qu’ils et elles ont fait.

Le détournement de richesses au Venezuela atteint des niveaux hors du commun. Ils ont ruiné les capacités productives du pays. Le FMI estime que la part de biens publics détournés et déposés sur des comptes privés à l’étranger est de l’ordre de 350 milliards US$. D’après nos propres calculs, la somme de l’argent public détourné, de la fuite des capitaux et du manque à gagner de PDVSA 4 représente au moins 500 milliards de US$.

Y a-t-il des résistances populaires?

Il existe une tendance à la recomposition d’organismes de lutte unitaires et de classe. […] Les communautés locales descendent dans la rue pour défendre les services publics, pour l’eau, parce qu’il n’y a plus de gaz, parce que les gens sont obligés d’aller ramasser du bois pour pouvoir cuisiner. Ces luttes, qui se multiplient, se transforment en combats pour les droits démocratiques, pour les droits humains. Mais le gouvernement réprime et emprisonne les leaders syndicaux. Actuellement, ils sont en nombre derrière les barreaux. Pour certains, on applique même le code de procédure militaire. […] [Après l’action d’un détachement de militaires le 21 janvier 5], la population a commencé à occuper les places et elle ne veut plus les quitter. Quand on a voulu les renvoyer à la maison, les gens ont résisté et des foyers de révolte se multiplient dans les secteurs populaires. […] Or, indépendamment du fait que ces révoltes peuvent être infiltrées par la droite, il me semble que leur succès est à la hauteur de l’insatisfaction, de la rage, du mécontentement à l’égard du gouvernement Maduro. […]

Un agenda autonome de la classe ouvrière est nécessaire et ne doit pas être subordonné à celui établi par l’Assemblée nationale pour favoriser les projets d’ingérence du Groupe de Lima et du gouvernement des États-Unis. Il n’y a pas de doute en tout cas sur le fait que la population n’en peut plus: elle est fatiguée de la politique, elle ne supporte plus d’être maltraitée par le gouvernement, de voir les salaires se liquéfier, les conquêtes du monde du travail détruites, d’être réprimée.

C’est pourquoi nous [Marea socialista] exigeons la réélection générale de tous les pouvoirs. Le peuple doit pouvoir dire s’il veut qu’ils s’en aillent tous, tant Maduro que Guaidó, s’il veut rebattre les cartes ou pas.

Traduction et notes de Paolo Gilardi

  1. Nom donné au groupe de gouvernements – Argentine, Brésil, Canada, Chili, Costa-Rica, Guatemala, Honduras, Mexico, Panama et Paraguay – qui se sont réunis une première fois à Lima en 2017 pour discuter de la situation au Venezuela et qui, le 4 janvier dernier, ont décidé de considérer Guaidó comme président légitime du Venezuela.
  2. Cet ingénieur de 35 ans est, depuis le 5 janvier, président du parlement, l’Assemblée nationale. Il est le leader du parti Voluntad popular, qui se définit comme «progressiste et social» et qui, depuis 2014, est membre de l’Internationale socialiste.
  3. PDVSA est strictement contrôlée par les forces armées.
  4. Un détachement de la Garde nationale, géographiquement isolé, s’est mutiné et a lancé un appel à l’insurrection avant d’être mis en échec.