Histoire

Histoire : La guerre civile en Suisse

Nous reproduisons et traduisons un texte écrit par Friedrich Engels en 1847 et qui, à notre connaissance, n’a pas encore été traduit en français. Un encart en page suivante permet de l’inscrire dans le temps et l’espace.

VERSION INTEGRALE


Le putsch de Zürich. Le 6 septembre 1839, des milliers de paysan·ne·s armé·e·s de fléaux d’armes, de hallebardes, de fourches et de gourdins envahissent la cité

On va en finir enfin avec les incessantes fanfaronnades sur le « berceau de la liberté », les « petits-fils de Tell et Winkelried » et les courageux vainqueurs de Sempach et de Morat! Enfin il est apparu que le berceau de la liberté n’était rien d’autre que le centre de la barbarie et la pépinière des Jésuites, que seuls les boulets de canon pouvaient amener à la raison les petits-fils de Tell et de Winkelried, que le courage de Sempach et de Morat n’exprimait rien d’autre que le désespoir de tribus montagnardes brutales et bigotes qui se sont soulevées avec obstination contre la civilisation et le progrès!

C’est une véritable chance de voir la démocratie européenne se débarrasser enfin de ce ballast réactionnaire aux mœurs pures qu’est la Suisse primitive. Tant que les démocrates se référaient à la vertu, au bonheur et à la niaiserie patriarcale de ces bergers des Alpes, ils gardaient aussi un aspect réactionnaire. Maintenant qu’ils soutiennent la lutte de la Suisse civilisée, industrielle, moderne et démocratique contre la démocratie brute, germano-chrétienne des éleveurs de bétail des cantons primitifs, ils représentent partout le progrès, et toute coloration réactionnaire a disparu ; ils montrent qu’ils ont compris la signification de la démocratie au 19e siècle.

Il y a deux régions en Europe dans lesquelles la vieille barbarie germano-chrétienne s’est maintenue dans sa forme originelle, y compris d’un point de vue concret à travers la consommation de glands: la Norvège et les Hautes-Alpes, notamment la Suisse primitive. La Norvège comme la Suisse fournissent encore des spécimens authentiques de cette race humaine qui jadis, dans la forêt du Teutobourg, massacra les légions romaines à la mode westphalienne, à coup de gourdins et de fléaux 1. La Norvège et la Suisse primitive sont organisées démocratiquement. Mais il existe différentes sortes de démocraties et il est vraiment nécessaire que les démocrates des pays civilisés rejettent enfin toute responsabilité concernant la démocratie en Norvège et dans la Suisse primitive.

Dans tous les pays civilisés, le mouvement démocratique aspire en dernière instance à la domination politique du prolétariat. Il suppose donc l’existence d’un prolétariat, d’une bourgeoisie dominante, d’une industrie qui génère le prolétariat et a porté la bourgeoisie au pouvoir.

Il n’y a rien de cela, ni en Norvège ni dans la Suisse primitive. La Norvège dispose du très célèbre régiment paysan (bonde regimente) et la Suisse primitive compte nombre de bergers mal dégrossis qui, malgré leur constitution démocratique, sont dominés de manière patriarcale par quelques riches propriétaires fonciers, comme Ab Yberg 2, etc. La bourgeoisie n’a qu’une existence exceptionnelle en Norvège ; elle n’existe pas du tout en Suisse primitive. Le prolétariat est quant à lui absent, pour ainsi dire.

La démocratie des pays civilisés, la démocratie moderne, n’a donc rien de commun avec la démocratie norvégienne ou celle de la Suisse primitive. Elle ne veut pas introduire une situation à la norvégienne ou à la suisse primitive, mais quelque chose de totalement différent. Regardons toutefois d’un peu plus près cette démocratie primitive germanique en nous tenant au cas de la Suisse primitive, qui nous concerne prioritairement ici.

Quel boutiquier allemand n’est pas enthousiasmé par Guillaume Tell, le libérateur de la patrie? Quel maître d’école ne cite pas Morgarten, Sempach et Morat à côté de Marathon, Platées et Salamine 3? […] D’Ägidius Tschudi à Johannes von Müller, de Florian à Schiller la magnificence du courage, de la liberté, de la force et de la valeur des Vieux Suisses des cantons primitifs a été sempiternellement chantée en vers et en prose. Les canons et les carabines des 12 cantons 4 font aujourd’hui le commentaire de ces louanges enflammées.

Les Vieux Suisses se sont fait remarquer deux fois dans l’histoire. La première, lorsqu’ils se sont glorieusement libérés de la tyrannie autrichienne ; la deuxième, au moment où, avec Dieu, ils sont entrés en lutte pour les Jésuites et la patrie.

La glorieuse libération des serres aiguisées de l’aigle autrichien supporte déjà très mal d’être mise en pleine lumière. La maison d’Autriche ne fut progressiste qu’une seule fois au cours de sa carrière: tout au début, alors qu’elle s’alliait, contre la noblesse, aux petits bourgeois des villes et tentait de fonder une monarchie allemande. Elle était progressiste de façon profondément petite-bourgeoise, mais c’est égal, elle était progressiste. Et qui s’opposa à elle avec le plus de virulence? Les Vieux Suisses. La lutte des Vieux Suisses contre l’Autriche, le glorieux serment du Grütli, le tir héroïque de Tell, la mémorable victoire de Morgarten, tout cela illustrait le combat de bergers bornés contre le courant du développement historique, le combat des intérêts locaux, butés et solides, contre ceux de toute la nation, le combat de la grossièreté contre la culture, de la barbarie contre la civilisation. Ils ont gagné contre la civilisation d’alors ; le prix en fut leur exclusion de toute la civilisation ultérieure.

Mais on n’en resta pas là. Ces braves armaillis rebelles furent bientôt châtiés de toute autre manière. Ils échappèrent à la domination de l’aigle autrichien pour passer sous le joug des marchands et boutiquiers zurichois, lucernois, bernois et bâlois. […] Ils se sont donc fait accepter dans la Confédération puis sont restés tranquillement chez eux, derrière leur comptoir, pendant que ces têtus armaillis livraient bataille à chaque conflit avec les nobles et les princes, comme à Sempach, Grandson, Morat et Nancy. On leur laissa le droit de régler comme ils voulaient leurs affaires internes et ainsi ils restèrent dans l’ignorance la plus heureuse de la manière dont ils étaient exploités par leurs chers Confédérés.

Depuis lors, on n’a plus beaucoup entendu parler d’eux. En toute honorabilité et en pleine béatitude, ils se sont préoccupés de la traite des vaches, de la fabrication du fromage, de la chasteté et de la youtze. De temps en temps, ils tenaient des assemblées populaires dans lesquelles ils se divisaient entre Onglus et Cornus 5 et autres catégories animales, le tout se terminant toujours par une cordiale bagarre germano-chrétienne. Ils étaient pauvres, mais de mœurs pures, abêtis mais pieux et reconnaissants devant le Seigneur, brutaux mais larges d’épaules, avec peu de cervelle et de gros mollets. De temps en temps, ils se sentaient à l’étroit et les jeunes de ces cantons […] s’engageaient au service mercenaire dans des guerres étrangères, où ils faisaient preuve de la fidélité la plus indéfectible à leur bannière quoi qu’il leur en coûte. […]

La grande fierté de ces Vieux Suisses trapus a depuis toujours été de ne pas avoir dérogé, ne serait-ce que d’un poil, aux coutumes de leurs ancêtres […]. Et c’est vrai: chaque tentative de la civilisation s’est heurtée sans succès aux parois granitiques de leurs rochers et de leurs crânes. Depuis le jour où le premier aïeul de Winkelried a mené sa vache, avec son inévitable et idyllique clochette au cou, sur les vierges pâturages du lac des Quatre–Cantons jusqu’à aujourd’hui, où le dernier descendant de Winkelried fait bénir son fusil de chasse par le curé, toutes les maisons ont été construites de la même manière, toutes les vaches traites de la même manière, toutes les tresses nouées de la même manière, tous les fromages fabriqués de la même manière et tous les enfants faits de la même manière. Ici, sur les montagnes, le paradis n’a pas encore connu le péché originel.

Et lorsque l’un de ces enfants si innocents des Alpes s’en va dans le grand monde et se laisse quelques instants détourner par les tentations de la grande ville, par les attraits fardés d’une civilisation dépravée, par les vices des pays vivant dans le péché dépourvus de montagnes où pousse le blé — l’innocence est si profondément ancrée en lui qu’il ne peut s’y noyer complètement. Un son retentit à ses oreilles, deux notes seulement du Ranz des vaches, qui résonnent comme des hurlements de chiens et il tombe sur-le-champ à genoux, s’arrache immédiatement des bras de la tentation et ne s’arrête pas avant de se jeter aux pieds de son père chenu. «Père, j’ai péché devant mon Pays d’origine et devant Toi, je ne mérite pas d’être Ton fils!» […]

Récemment, il y a eu deux tentatives d’invasion contre ces mœurs et cette force primitives. La première a été celle des Français, en 1798, et tandis que partout ailleurs ils sont parvenus à répandre un peu de civilisation, ils ont échoué en Suisse primitive. Pas une trace de leur présence n’est restée: ils n’ont pu modifier un iota des mœurs et coutumes ancestrales. La deuxième invasion s’est déroulée 20 ans plus tard et elle a porté au moins quelques fruits. Ce fut l’invasion des voyageurs anglais, des lords londoniens, des squires 6, des innombrables fabricants de cierges, des manufacturiers en savon, et des marchands d’épices et d’os qui les suivaient. Cette invasion aura au moins conduit à ce que la vieille hospitalité prenne fin et à ce que les honnêtes habitants des chalets d’alpage, qui avant cela savaient à peine ce qu’est l’argent, se transformassent en filous cupides et malins, comme il y en a partout. Mais ce progrès n’affecta pas les mœurs naïves d’antan. Cette escroquerie plus très propre se maria de fort belle manière avec les vertus, la chasteté et les valeurs, l’honnêteté et la loyauté patriarcales. Même leur piété n’en souffrit point: le curé les absolvait avec un plaisir certain de toutes les tromperies subies par les hérétiques britanniques.

Actuellement toutefois, cette pureté des mœurs semble devoir être absorbée par le sol et la terre. Espérons que les troupes d’exécution feront tout leur possible pour tordre le cou à toute cette droiture, cette force primitive et cette niaiserie. Vous vous lamenterez alors, boutiquiers! Car il n’y aura plus de pâtres, pauvres mais contents, dont vous pouviez souhaiter vous approprier la paisible insouciance, le dimanche, après avoir six jours durant fait votre beurre en vendant du café à la chicorée et du thé aux feuilles d’épine noire. Vous pleurerez, maîtres d’école, car c’en sera fini d’un nouveau Sempach-Marathon et d’autres grands faits d’armes classiques! […]

Mais restons-en là. Ces Vieux Suisses doivent être combattus avec d’autres armes que la simple moquerie. La clarté doit être faite sur cette démocratie pour bien d’autres choses que ses vertus patriarcales.

Qui, le 14 juillet 1789, défendit la Bastille contre les assauts du peuple? Qui tira caché derrière des murs de la mitraille et du plomb sur les ouvriers du Faubourg Saint-Antoine? […] Qui défendit, le 10 août 1792, dans le Louvre et les Tuileries, le traître Louis XVI contre la juste colère légitime du peuple? […] Qui réprima, avec l’aide de Nelson, la révolution napolitaine de 1798? […] Qui restaura, avec l’aide des Autrichiens, la monarchie absolue à Naples? […] Qui combattit jusqu’au dernier instant, le 29 juillet 1830, une nouvelle fois pour un roi félon et tira une nouvelle fois sur les ouvriers parisiens depuis les fenêtres et colonnades du Louvre? […] Qui réprima, avec une brutalité remarquée dans le monde entier, et une fois de plus en alliance avec les Autrichiens, l’insurrection de la Romagne en 1830 et 1831? […]

Bref, qui jusqu’à ce jour contient les Italiens, les forçant à se soumettre à l’écrasante domination de leurs aristocrates, princes et curés? Qui fut en Italie le bras droit de l’Autriche, qui permit qu’actuellement encore le sanguinaire Ferdinand de Naples puisse tenir en laisse son peuple rétif? Qui joue aujourd’hui encore le bourreau lors des fusillades de masse qu’il ordonne? Encore et toujours les Vieux Suisses du Sonderbund, encore et toujours les petits-fils de Tell, Stauffacher et Winkelried!

En un mot comme en cent: à chaque fois et en chaque lieu où, en France, un mouvement révolutionnaire a surgi, favorisant directement ou indirectement la démocratie, il s’est trouvé des mercenaires de la Suisse primitive pour le combattre avec un acharnement forcené et jusqu’au dernier instant. […]

Et que l’on ne croie pas que ces mercenaires aient été le rebut de leur pays et qu’ils aient été désavoués par leurs compatriotes. Les Lucernois ont fait sculpter dans le rocher, d’après le dessin du pieux Islandais Thorvaldsen, un grand lion saignant de la blessure d’une flèche et couvrant de sa patte, fidèle jusqu’à la mort, l’écu à fleur de lys des Bourbons – en souvenir des Suisses tombés au Louvre le 10 août 1792! Ainsi le Sonderbund honore-t-il la fidélité marchande de ses fils. Il vit du commerce des hommes et le célèbre.

La bourgeoisie, déjà, par le biais de son industrie, de son commerce, de ses institutions politiques, travaille à arracher de leur isolement les petites localités repliées sur elles-mêmes, ne vivant que pour elles, à les mettre en relation, à confondre leurs intérêts, à élargir leur horizon local, à détruire leurs traditions, coutumes et façons de voir locales et à former une grande nation, avec des intérêts communs, des mœurs et des conceptions communes, à partir de localités et provinces jusqu’alors indépendantes les unes des autres.

La bourgeoisie, déjà, centralise de façon significative. Le prolétariat, loin d’être défavorisé par cette centralisation, sera bien davantage mis en situation de s’unifier grâce à elle, de se sentir former une classe, de s’approprier avec la démocratie une vision politique lui permettant enfin de vaincre la bourgeoisie. Le prolétariat démocratique n’a pas seulement besoin de la centralisation telle que la bourgeoisie l’a entamée, mais il devra la poursuivre bien plus loin. Durant la brève période de la Révolution française, où le prolétariat a tenu les rênes de l’État, pendant le règne de la Montagne, il a appliqué la centralisation par tous les moyens, de la boîte à mitraille à la guillotine. Le prolétariat démocratique, s’il revient au pouvoir, ne centralisera pas seulement chaque pays, mais, dès que possible, il centralisera aussi ensemble tous les pays civilisés.

La Suisse primitive, en revanche, n’a jamais fait autre chose que de s’opposer à la centralisation. Elle n’a fait que s’entêter, avec un véritable acharnement bestial, dans la défense de son isolement du reste du monde, de ses mœurs locales, de ses coutumes locales, de ses préjugés locaux, de toute son étroitesse d’esprit et son hermétisme. […] Mais au 19e siècle, il n’est plus possible que deux parties d’un même pays coexistent ainsi sans relations ni influences mutuelles. Les cantons radicaux agissent sur le Sonderbund, le Sonderbund agit sur les cantons radicaux, dans lesquels existent ici ou là des éléments encore très frustes. Les cantons radicaux ont donc intérêt à ce que le Sonderbund laisse tomber sa bigoterie, son étroitesse d’esprit et son entêtement. Et si le Sonderbund ne l’accepte pas, alors son obstination doit être brisée par la violence. Et c’est ce qui se passe actuellement.

La guerre civile qui s’est déclarée maintenant ne pourra en conséquence que stimuler la cause de la démocratie. Même s’il subsiste encore beaucoup de rudesse teutonique, dans les cantons radicaux aussi ; même si chez eux on découvre, derrière la démocratie, tantôt un régime paysan tantôt un régime bourgeois, ou encore un mélange des deux ; même si les cantons les plus civilisés sont encore à la traîne du développement de la civilisation européenne et que ce n’est qu’ici ou là que de véritables éléments modernes finissent par l’emporter, tout cela ne joue pas en faveur du Sonderbund. Il est nécessaire, urgemment nécessaire, que ce dernier affluent du germanisme primitif, de la barbarie, de la bigoterie, de la niaiserie et de la simplicité des mœurs patriarcales, de la stabilité et de la fidélité jusqu’à la mort à la meilleure offre, soit une bonne fois détruite. Plus énergiquement la Diète fera son œuvre, plus violemment ce vieux nid de curés sera renversé, plus cette entreprise aura droit au soutien de tous les démocrates résolus, plus elle montrera qu’elle comprend la situation. Mais bien sûr, les cinq grandes puissances sont là 7 et les radicaux eux-mêmes ont peur.

Il est caractéristique toutefois pour le Sonderbund que les authentiques fils de Guillaume Tell aient dû implorer l’aide de la maison d’Autriche, ennemi héréditaire de la Suisse, et cela au moment même où l’Autriche est plus sordide, scélérate, ignoble et haïssable que jamais. C’est aussi une partie de la punition pour la glorieuse libération des serres de l’aigle bicéphale et les grandes fanfaronnades qui s’en suivirent. Et afin que la peine soit vraiment complète, l’Autriche elle-même est dans un tel bourbier qu’elle ne peut pas secourir les fils de Tell!

Friedrich Engels
Traduction de l’allemand: Daniel Süri.
Notes: Daniel Süri et Hans Peter Renk.
Chapeau et encart de la rédaction.

  1. En l’an 9, sous le principat d’Auguste, trois légions romaines ont été défaites dans la bataille de la forêt du Teutobourg (ou Teutberg) par une alliance des tribus germaniques, portant ainsi un coup d’arrêt à l’expansion de Rome dans la région.
  2. Engels écrit en un seul mot le nom de cette famille, principale lignée dirigeante du canton de Schwytz. À cette époque, Alois (1823–1885), député au Grand Conseil, passe pour le plus gros propriétaire schwytzois.
  3. Trois batailles durant lesquelles les Grecs résistèrent victorieusement aux tentatives d’invasion des Perses.
  4. Les 12 cantons forment le camp libéral-radical qui vaincra les conservateurs catholiques du Sonderbund.
  5. Conflit opposant les détenteurs de petit bétail et les propriétaires sans bétail (Onglus) aux propriétaires de vaches (Cornus) concernant le droit de pâture. Ce conflit culmina lors d’une rixe à la Landsgemeinde du canton d’Uri, le 6 mai 1838.
  6. Nobliaux anglais dont le titre (littéralement « écuyer ») correspond à châtelain ou gentilhomme.
  7. La Quintuple Alliance regroupait les cinq puissances réactionnaires de l’Europe: l’Empire russe, le royaume de Prusse, l’Empire d’Autriche, le royaume de France et l’Empire britannique.

 À lire 

Bert Andreas, « Marx/Engels, la Suisse et le Jura », La Première Internationale et le Jura, SJE Actes 1972, p. 349-359

Louis-Auguste Blanqui, « [Articles sur le Sonderbund, in: Le Courrier du Loir-et-Cher, décembre 1847] », Œuvres. I. Des origines à la révolution de 1848.

Nancy, Presses universitaires de Nancy, 1993, p. 560–64 et 572–74.

Fritz Brupbacher, Der Sonderbundkrieg und die Arbeiterschaft.

Zürich, Verlag des Schweizerischen Holzarbeiterverbandes, 1913.

Max Frisch, Guillaume Tell pour les écoles.

Genève, Héros-Limite, 2014.

Rosa Luxemburg, « [Sur la Suisse] », La question nationale et l’autonomie.

Paris, Le Temps des Cerises, 2001, p. 31–33 et 93–95.

[Marc Vuilleumier… et al.], « Enseignements du Sonderbund: ‘Les conservateurs, c’est le parti de l’étranger’». Socialisme, nº 97 (mars 1953), p. 34–40; nº 98 (juin 1953), p. 77–86.

Marc Vuilleumier, « 1848–1998: le Sonderbund et la naissance de l’État fédéral », solidaritéS infos [Genève], nº 84 (30 novembre 1998), p. 12–14.


Le Sonderbund : de quoi s’agit-il?

Après la chute de Napoléon Bonaparte et de son empire, le congrès de Vienne (1814–1815) met en place une Europe ultraréactionnaire. La Suisse n’échappe pas à ce processus et retrouve le statut d’une confédération d’États très lâche. À partir des révolutions cantonales de 1830, le besoin de réviser le pacte ultra-fédéraliste de 1815 et d’adopter une nouvelle constitution (plus unitaire) se fait jour. Mais pour débloquer la situation politique, il faudra une véritable guerre civile, en 1847.

Le Sonderbund, créé en 1845, est une alliance opposée à la révision du Pacte fédéral. Il regroupe sept cantons catholiques (la Suisse centrale, Fribourg et le Valais), avec la neutralité bienveillante de la très protestante principauté de Neuchâtel (régie par le roi de Prusse depuis 1707). Il a aussi le soutien des puissances réactionnaires européennes (la France et l’Autriche principalement).

L’issue de la guerre civile en Suisse est suivie anxieusement par l’ensemble des mouvements démocratiques européens. L’article du jeune révolutionnaire Friedrich Engels, paru dans la Deutsche-Brüsseler Zeitung du 14 novembre 1847, prend vigoureusement parti contre le Sonderbund. Il témoigne encore d’une confiance dans le caractère progressiste de la révolution démocratique bourgeoise, que Marx et Engels seront appelés à nuancer après les expériences européennes contradictoires de 1848 et surtout ultérieurement, en faisant l’expérience du caractère de plus en plus rétrograde de la bourgeoisie au pouvoir, dans le dernier tiers du 19e siècle.

Ce texte a le mérite de dénoncer une vision mythique, encore trop largement répandue aujourd’hui, d’une Suisse populaire et démocratique, de 1291 à nos jours. Ainsi, en 2007, l’ex-conseillère fédérale (socialiste) Micheline Calmy-Rey exaltait la prairie légendaire du Grütli comme le symbole de « la fondation de la Suisse moderne, démocratique et multiculturelle que nous connaissons » (L’Illustré, nº 37, 2011). Au contraire, dans son ouvrage L’histoire de la Suisse au prisme de ses luttes de classe, publié en 1920, le socialiste Robert Grimm présentait la Suisse moderne comme l’aboutissement d’un processus historique profondément conflictuel dont les étapes décisives ont été la Révolution helvétique, les mouvements libéraux de 1830 et la fondation de l’État fédéral en 1848.

La rédaction