Comment battre réellement la droite?

Nous publions ici la traduction de l’un des derniers articles de Miguel Romero Baeza sur le site de Viento Sur, la revue qu’il animait, publié le 6 octobre 2013. Nous avions l’intention de lui demander quelques compléments à cette réflexion, qui pose le problème de la construction d’une alternative unitaire de gauche, à l’échelle européenne, qui refuse de se subordonner au camp d’en face, lui-même mené alternativement ou de concert par la droite et la social-démocratie. Nous n’en aurons pas eu le temps, puisqu’il est décédé le 26 janvier dernier. Nous avons donc puisé quelques éléments supplémentaires (encadrés) dans un article postérieur, qu’il a publié un mois plus tard sur le même site. L’alternative qu’il appelait de ces vœux n’a rien à voir avec l’orientation mise en œuvre par Izquierda Unida (IU) en Andalousie, et qu’elle semble vouloir étendre à l’ensemble de l’Etat, qui collabore avec le PSOE au gouvernement régional, tournant le dos au mouvement social ; elle ne ressemble en rien non plus à la politique du PCF, qui ne craint pas d’appeler à voter au premier tour pour le PS de François Hollande dans la capitale. Une alternative dont on peut percevoir en pointillés de premières ébauches dans le Processus constituant en cours en Catalogne, qui vise à rassembler la majorité de la population et des mouvements sociaux autour d’un projet de rupture avec l’ordre dominant; dans l’appel de la FGTB (la grande confédération syndicale belge) de Charleroi à rompre avec la politique du PS qui préside le gouvernement ; dans l’engagement de Syriza en Grèce à répudier le mémorendum imposé par les créanciers du pays… (J.B.)

On attribue à Palmiro Togliatti (secrétaire général du Parti communiste italien, décédé en 1964) la paternité de la formule « parti de lutte et de gouvernement ». Elle date du début de l’année 1947, lorsque les ministres du Parti communiste italien (PCI) – y compris Togliatti – furent chassés du gouvernement italien (présidé par le démocrate-chrétien Aldo De Gasperi), une fois que les dits ministres eurent joué un rôle déterminant dans le désarmement des partisans et dans la relative stabilisation de la République italienne, dans le cadre de la reconstruction capitaliste de l’Europe de l’Ouest, après la Seconde Guerre mondiale.

Un glissement social-démocrate

 

Dans cette situation, un politicien aussi intelligent que Togliatti était probablement conscient qu’il n’existait aucune possibilité pour le PCI de revenir au gouvernement, du moins à moyen terme. En réalité, cette formule visait l’intérieur du Parti, et avait une fonction protectrice contre les dangers « gauchistes ». Le PCI voulait être le parti de ceux / celles qui luttaient dans les très dures conditions de l’après-guerre, c’est-à-dire le parti représentant les espoirs de « l’aile gauche » d’une population travailleuse qui survivait dans des conditions misérables. Le parti devait toujours avoir en tête et montrer à la société que son objectif n’était pas de faire la « révolution », mais de « gouverner » en acceptant d’être une force minoritaire dans un gouvernement d’« unité démocratique ». Ainsi, la formule prenait le caractère d’un code stratégique servant de justification à la politique du Parti, qui « éduquait » en ce sens ses militant·e·s.

Cette formule reçut une consécration internationale trente ans plus tard, lorsque Santiago Carrillo (PCE), Georges Marchais (PCF) et Enrico Berlinguer (PCI) présentèrent en grande pompe l’« euro-communisme » à Madrid. À nouveau, les partis euro-communistes s’auto-qualifièrent de « partis de lutte et de gouvernement », mais la situation politique avait radicalement changé, tout comme la fonction de la formule. La politique des PC connaissait un processus de social-­démocratisation, conduisant à leur intégration au système de valeurs et aux règles institutionnelles du capitalisme européen : leur perspective consistait à être reconnus comme partie du système de gestion institutionnelle de Europe capitaliste. Cette formule servit alors à fonder une identité propre par rapport aux partis socialistes, à la fois concurrents et protagonistes de projets d’alliances – plus ou moins viables – au sein de gouvernements d’« union de la gauche ».

Il est intéressant de rappeler que, seul parmi les trois partis fondateurs du nouveau label « euro-­communiste », le PCF réussira à entrer dans un gouvernement, alors qu’il était considéré comme le moins idéologiquement « euro-communiste ». Le PCF eut ainsi quatre ministres dans les premiers gouvernements de François Mitterrand (1981–1984), lorsque celui-ci tentait de développer une politique de type keynésien, alternative au néolibéralisme qui commençait alors sa marche triomphale. Ensuite, le PCF passa dans l’opposition, mais son influence politique s’était effondrée et il ne put jamais la récupérer. Le ministre du PCF politiquement le plus représentatif, Charles Fiterman, finit par intégrer le Parti socialiste, une posture de repentir dont le pionnier fut Santiago Carrillo (1).

On peut en conclure que le bilan pratique des « partis de lutte et de gouvernement » a été, sans aucune exception, désastreux. En réalité, la conjonction « et» cache les conflits et les contradictions entre « lutter » et « gouverner » et, lorsque l’occasion s’est présentée, « gouverner » l’a toujours emporté sur « lutter ». Malgré tout, la formule continue d’être utilisée et, il y a quelques mois, Diego Valderas l’a ajoutée au répertoire des arguments en faveur de la participation de Izquierda Unida (IU) au gouvernement régional andalou.

Il m’a paru utile de rappeler l’expérience de cette histoire d’échecs, non pour écarter le problème des « gouvernements de gauche », mais pour l’examiner d’un point de vue alternatif à la « gestion progressiste » du système. Je voudrais poser le problème des conditions dans lesquelles un « gouvernement de gauche » peut être un instrument utile pour vaincre la droite et changer le cours de la politique capitaliste dominant dans l’Union Européenne (UE). Ci-dessous quelques notes sur ce vaste thème.

Débattre sans sectarisme

 

Les processus et les propositions de convergence unitaire et de caractère distinct, qui se développent en divers lieux, tendent à se baser sur un programme « minimum » et à éviter des débats qui pourraient compromettre les convergences obtenues.

C’est une approche raisonnable lors d’une première étape de construction de la confiance et d’un ciment commun : toute contribution à l’affaiblissement des pulsions sectaires habituelles au sein de la gauche alternative (sociale et politique) doit être appuyée. Mais cette méthodologie présente des inconvénients sérieux, notamment d’écarter des problèmes importants qui finiront par resurgir, et pas à long terme, si ces processus se consolident. Dans les plateformes unitaires, la construction de consensus est très utile ; mais il est aussi nécessaire de savoir impulser les débats indispensables qui aident à gérer les différences consistantes et durables. On ne peut s’imaginer la construction d’un camp antagoniste, socialement majoritaire, sans un niveau élevé de désaccords internes, et il faut donc créer des mécanismes efficaces pour les intégrer au travail commun.

Parmi ces thèmes « écartés » des débats collectifs, il faut en signaler deux : premièrement, même le plus modéré des programmes préconisés, s’il commençait à être réalisé, produirait une convulsion politique et un niveau élevé d’affrontement avec les pouvoirs établis dans l’État espagnol et l’Union européenne. Il suffit de penser à la déclaration unilatérale d’un moratoire de la dette et à l’organisation d’un audit ; ou au processus de reconstruction des services publics privatisés ; ou, plus généralement, à tout ce que signifie commencer à appliquer une politique alternative à l’orthodoxie dominante, dénommée « politique de la Troïka ». A quoi il faut ajouter – et il faut le rappeler, même si ça peut sembler répétitif – la garantie du droit à l’indépendance des nations qui souhaitent l’exercer.

Je veux dire que la nécessité d’une « rupture démocratique » n’est pas une question idéologique, un thème de propagande ou un problème « pour après », à long terme : c’est une exigence pratique pour penser des alternatives à la Troïka, non en termes de simple propagande électorale, mais d’engagements effectifs de gouvernement.

Une alternative sociopolitique capable de battre la Troïka – ou plus précisément capable de mettre cette dernière sur la défensive, au moins sur quelques points-clés, ce qui devrait être la première tâche d’un « gouvernement de gauche » – devrait inclure un ensemble cohérent de facteurs très divers, parmi lesquelles je relève :

  • Un haut niveau d’attentes et de confiance dans le changement d’une majorité sociale active.
  • Un programme capable de rassembler les très vastes demandes sociales insatisfaites.
  • Un réseau d’organisations enracinées socialement, capables de débattre et de négocier, à la recherche d’objectifs communs lorsque surviennent des conflits (y compris entre elles), qui accompagneront le processus de rupture.
  • Une alternative gouvernementale représentative, mais subordonnée aux luttes sociales de « ceux d’en bas », même lorsque ces luttes s’affrontent à elle.

 

 

«L’esprit de 45» n’est pas d’actualité

 

Evidemment, ce schéma répond à un souhait et il est très éloigné de ce que nous vivons aujourd’hui. Mais je pense qu’il mérite une réflexion qui pourra nous aider à comprendre ce dont nous avons besoin.

Il est utile de rappeler une expérience, survenue dans une situation très différente de celle d’aujourd’hui, et qui n’a aucune valeur de « modèle ».

Dans le documentaire L’esprit de 45 (dont le « bouche à oreille » a permis de maintenir la projection pendant plusieurs semaines au moins dans un cinéma de Madrid), Ken Loach évoque, avec émotion et nostalgie, la situation de la Grande-Bretagne après la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Il y eut alors une conjonction exceptionnelle de divers facteurs :

 

  • Les aspirations matérielles et les attentes des classes populaires de vivre dignement en laissant derrière elles les horreurs de la guerre et la terrible misère des années 1930.
  • Un programme économique et social crédible pour la réalisation de ces attentes comme tâches immédiates : fondamentalement, l’« Etat-providence » et la politique de nationalisation des secteurs économiques de base.
  • Des organisations syndicales considérées comme représentatives par la classe ouvrière, qui était le moteur de la mobilisation sociale.
  • La confiance dans le fait que le Parti travailliste, s’il arrivait au gouvernement – ce qui fut le cas – appliquerait ce programme.

 

Lors des élections de juillet 1945, les travaillistes écrasèrent les conservateurs. L’enthousiasme et la mobilisation sociale qui accompagnèrent la réalisation de ce programme de réformes, voilà ce que Ken Loach nomme «l’esprit de 1945».

Le film transmet pourtant l’illusion de son auteur qu’un processus de cette nature puisse à nouveau se produire, mais en l’adaptant aux temps nouveaux, alors que le néolibéralisme en a fini avec tout cela, y compris avec le travaillisme de Attlee et Bevan, dont le bilan n’est pas évidemment le sujet de cet article.

Vers un «esprit de 2011»?

 

Affirmer que le 15M (le mouvement des « indignés » dans l’État espagnol) a créé, ou qu’il est en train de se sécréter un « esprit de 2011 » relèverait d’un optimisme démesuré. Le changement historique, auquel cette date fait référence, a sans doute ouvert une nouvelle étape qui élargit le champ du possible et suscite des énergies et des attentes qui étaient endormies. Mais le 15M n’a pas créé – et ce n’était pas sa tâche de le faire – des contre-pouvoirs antagoniques à la hauteur des défis actuels. En réalité, nous ne disposons ni d’une majorité sociale mobilisée avec des perspectives élevées de changement, ni d’un réseau d’organisations de base suffisamment fort et articulé pour défendre ces perspectives, ni d’une alternative gouvernementale en laquelle avoir confiance pour les réaliser. Par contre, nous affrontons de nouveaux problèmes qui rendent la situation actuelle beaucoup plus complexe  que celle de 1945. Les problèmes les plus difficiles peuvent se résumer ainsi :

 

  • La profondeur de la crise capitaliste et les menaces qui pèsent (et croissent) sur les conditions de vie et sur l’avenir de la planète obligent à se poser non seulement des objectifs fondamentaux de bien-être, mais aussi de changements radicaux dans le mode de vie, spécialement des pays du Nord.
  • Le pouvoir effectif d’un gouvernement national est extrêmement faible, non seulement par rapport aux gérants du capitalisme global, mais aussi par rapport à d’autres pouvoirs qui constituent la « gouvernance » et ne sont soumis à aucun contrôle citoyen effectif : pour les citer, les appareils judiciaire, militaire, sécuritaire… chargés dans leur champ respectif de la surveillance de l’ordre établi.

 

 

La gauche résignée et l’exemple andalou

 

L’importance qu’acquiert dans ces conditions les rapports de forces sociaux pour le camp antagonique, et tout ce qui contribue à les créer, est déterminante. En sens contraire, tout ce qui peut contribuer à les affaiblir est aussi déterminant.

Pour prendre un exemple, la conséquence (qui me paraît la plus négative) du gouvernement andalou PSOE-IU ne réside pas dans les aspects concrets de sa gestion, que je ne prétends pas aborder maintenant. Elle concerne l’affaiblissement des attentes sociales. Le message transmis est : «Oui, on peut… mais on peut seulement ça».

Les partis socialistes – et les organisations proches d’eux, notamment les syndicats – réalisent depuis des décennies la tâche de rabaisser le niveau des attentes sociales de changement ; une condition fondamentale pour qu’ils puissent appliquer leurs politiques en réduisant le plus possible les résistances sociales. Ils continuent de le faire maintenant en Andalousie et, malheureusement, ils comptent pour cela sur la collaboration de Izquierda Unida (IU). Une situation lamentable et incohérente, du point devue du discours général unitaire diffusé à l’adresse des mouvements sociaux et des organisations anticapitalistes en faveur de l’objectif avancé d’une alternative de gouvernement à la politique de la Troïka. En réalité, la bonne interprétation de l’expérience andalouse est fournie par la nouvelle présidente de ce gouvernement régional, lorsqu’elle affirme désirer reproduire cette expérience dans un futur gouvernement de l’État espagnol.

«Oui, on peut» est devenu la consigne par laquelle les mouvements et les luttes sociales expriment leur satisfaction et leur orgueil d’avoir obtenu des succès qui paraissaient impossible en affrontant des adversaires très puissants : parmi ceux-ci on compte non seulement les agents des pouvoirs établis, mais aussi le scepticisme, le manque de confiance dans la possibilité de réaliser les changements nécessaires. Telles sont les conditions idéales pour accepter des formes de « moindre mal », grâce à la peur que tout autre possibilité risque d’empirer la situation.

 

 

Refuser de se subordonner au camp antagonique

 

A mon avis, par-delà les illusions sur la fin du « bipartisme » – alimentées par des enquêtes qui maquillent à leur convenance la supposée – et à mon avis très improbable – « pasokisation du PSOE », la perspective annoncée d’« alternative politique » consiste pour IU à rééditer, lors des élections européennes, une politique d’alliances pour la constitution des listes, agrémentée d’un contrôle strict de l’appareil sur la politique, méthodologie déjà utilisée lors des élections nationales de 2011. La perspective d’un bon résultat électoral serait mise au service d’un pacte de gouvernement, à l’échelle de l’État, selon le modèle andalou.

Les élections de 2015 permettront peut-être la formation d’un tel gouvernement. Il est sûr que celui-ci ne voudra, ni ne pourra appliquer un programme de rupture avec la politique de la Troïka. S’il le tentait sur une question importante pour la vie des gens, il se verrait immédiatement attaché par un nœud gordien de menaces, de recours, de vetos, de négociations avec les mains liées, qui pourrait être utilisé comme excuse, mais finirait par démobiliser et démoraliser la majorité sociale qui aurait rendu possible la victoire électorale. C’est un «oui, on peut» peut-être viable, mais flasque, un adversaire facile pour les pouvoirs établis.

Pour faire face à une situation qui tend à s’aggraver et où le temps nous est compté, nous manquons d’alternatives unitaires, mais fortes, qui se proposent de changer le pays ; et qui aient appris de l’expérience de ces deux dernières années qu’il ne peut y avoir de gauche politique crédible, qui gagne la possibilité de gouverner et sache le faire, si elle se subordonne au camp social antagonique. Cela signifie maintenant qu’il faut avoir comme première priorité sa construction et adapter toute tactique, y compris électorale, à un tel objectif.

Il est très difficile de savoir comment pouvoir atteindre ces objectifs, qui se résument à donner au «oui, on peut» son sens naturel de rupture. Mais nous devons apprendre cela. Nous voulons apprendre ce qu’est la décision politique.

 

Miguel Romero Baez

« Sí, se puede… pero ¿ qué es lo que se puede ? », Viento Sur Web, 6 octobre 2013, traduit pour solidaritéS par Hans-Peter Renk.

 

  1. En 1985, Santiago Carrillo et ses partisans sont exclus du PCE avant de fonder un petit parti qui intégrera le PSOE en 1991. Lui-même, bien que se déclarant alors social-démocrate, ne prendra pas sa carte du Parti socialiste.

 


 

Que la terre te soit légère, camarade !

 

Le mouvement solidaritéS (Suisse) rend hommage à Miguel Romero Baeza

(19452014), militant révolutionnaire de l’État espagnol qui vient de nous quitter après une lutte éprouvante contre la maladie. Peu parmi nous l’avaient connu dans les années 7080, alors qu’il était encore l’un des principaux dirigeants de la  Liga comunista revolutionaria (LCR-LKI). Depuis les années 90, il animait la revue Viento Sur, l’un des organes théoriques les plus ouverts et exigeants de la gauche radicale européenne.

Nombre d’entre nous se souviennent encore avec émotion de sa participation à notre université de printemps de mai 2011, alors que la Puerta del Sol à Madrid était occupée par le mouvement des indigné·e·s.  Déjà gravement affaibli par le cancer, il nous avait alors impressionné par la profondeur de sa réflexion, mais aussi par sa capacité à reconnaître les erreurs du passé, le regard fouillant toujours les potentialités de l’avenir.

Il était obsédé par la relève d’un anticapitalisme révolutionnaire digne du 21e siècle. « [La] ‹relève›, écrivait-il, (…) c’est ce qui importe. Passer le témoin. Nous avons parcouru le chemin qui nous avions choisi, si différent de celui que nous avions imaginé, de toutes nos forces. Nous ne sommes pas fatigués. En dépit de tous les obstacles et les revers, nous avons aimé ce parcours. Et maintenant, nous sommes heureux de passer le témoin dans des mains qui sont aussi les nôtres et qui continuent d’aller de l’avant??. Voilà ce qui compte et tout le reste est secondaire. »

Il a été pour nous un interlocuteur irremplaçable. Notre bimensuel a publié plusieurs interviews et articles de lui, dont il relisait parfois patiemment les traductions. A notre tour de lui dire, comme il l’avait fait lui-même en conclusion de son hommage à Daniel Bensaïd, il y a 4 ans, à Paris, avec un clin d’œil aux anarchistes andalous : «Que la terre te soit légère, camarade!».

 

28 janvier 2014

 


 

Les mêmes causes produisent les mêmes effets

 

« Cela devait arriver, mais cela s’est produit plus vite que prévu. Un groupe de «personnalités» incluant de nombreux ex-membres (ou en voie de l’être) d’Izquierda Unida, en transit vers le PSOE, ont publié un manifeste de soutien au PSOE [le 3 novembre 2013], parce que «l’objectif, c’est de battre la droite». […]

«Cela fait quelques années, un film intitulé Un jour sans fin, ou Le jour de la marmotte en version originale, avait eu du succès; dans celui-ci, un personnage incarné par Bill Murray se trouvait happé par un cauchemar où il se réveillait chaque matin pour s’apercevoir que la même journée se répétait indéfiniment. Quelque chose de semblable se passe avec cette véritable addiction de groupes successifs de «personnalités», qui les pousse à se présenter comme porte-parole de l’objectif de «battre la droite» et à désigner le PSOE comme protagoniste de cette tâche.»

 

Miguel Romero, « La política de la marmota », Viento Sur Web, 9 nov. 2013, trad. J.B.

 


 

« Il n’y a aucun mystère sur ce que nous pouvons attendre du centre gauche européen. […] Si celles du PSOE ne suffisent pas, il y a assez de références gouvernementales européennes, reconnues comme telles par les porte-parole du  PSOE. Personne ne peut se tromper sur la politique qu’ils font, emballée dans la rhétorique, répétée ad  nauseam, de «l’alternative à la droite»: Hollande, Letta et le futur vice-chancelier d’Angela Merkel [Sigmar Gabriel (SPD) a été désigné le 17  décembre 2013] représentent tout ce qu’on peut attendre des gouvernements protagonistes ou co-protagonistes d’un tel courant, c’est-à-dire une gestion de la crise selon l’orthodoxie capitaliste néolibérale renforcée, qui domine l’Union Européenne; peut-être quelques réformes sociales précaires, pour autant qu’elles ne coûtent pas grand chose; aucune réforme politique significative, quand il ne s’agit pas de concurrencer l’extrême droite pour lui disputer le drapeau et l’électorat xénophobes.»

 

Extrait de Miguel Romero, « La  política de la marmota », Viento  Sur Web, 9 nov. 2013, trad. J.B.

 


 

Le PSOE n’est pas le PASOK

 

Les pronostics sur la «fin du bipartisme» ou la «pasokization» du PSOE sont  des interprétation très biaisées de la dynamique de son déclin. Une chose est ce qu’ils ont dénommé les «majorités absolue», qu’elles soient d’un signe ou de l’autre, mais une autre c’est que les deux partis majoritaires du régime, bien qu’en perte de vitesse, cessent de l’être dans leurs espaces respectifs, s’il ne se produit pas un changement radical dans les rapports de force sociaux. Ce changement peut se résumer dans la configuration d’un bloc antagoniste fortement majoritaire, capable d’assumer et de soutenir le très dur conflit avec les pouvoirs établis que supposerait une politique alternative qui s’efforcerait de rompre avec les dogmes de l’orthodoxie dominante; dans l’Etat espagnol, une telle rupture est inséparable de la mise en route de processus constituants, ce qui ajoute de grandes difficultés à cette tâche.»

 

Extrait de  Miguel Romero, « La política de  la marmota », Viento Sur Web, 9  nov. 2013, trad. J.B.

 


 

« Le rôle décisif de ce que nous appelons la «gauche alternative» est sans doute d’impulser les mobilisations concrètes qui permettent aux processus de rupture de prendre racine […].

Ceci dit, des signes préoccupants tendent à montrer que les attentes, manifestées il y a quelques mois en vue de débats ouverts portant sur la nécessité de se fixer comme objectif immédiat de «battre la droite», avec les tâches politiques et sociales qui en découlent, tendent à se fermer ou à être repoussés vers «des temps meilleurs» incertains. […]

La raison principale de cela a un fondement sérieux: s’il paraît essentiel de compter sur Izquierda Unida (IU), les faibles possibilités qui pouvaient avoir une certaine crédibilité, il y a quelques temps, d’un engagement unitaire sérieux de sa part aux côtés des organisations sociales et politiques qui luttent pour une «rupture démocratique» sont en train de s’évanouir. Écouter Miguel Reneses [IU, Madrid] […] affirmer «la nécessité d’aller vers une grande alliance électorale des organisations politiques et sociales qui peuvent disposer d’une assise majoritaire dans la société espagnole» sonne au mieux creux. Tout semble indiquer, qu’outre les habituelles et obscures batailles pour les «têtes de listes», la direction d’IU s’en tient à la même politique d’alliances que lors des élections générales de 2011, avec la perspective maintenant d’un gain électoral important. Le «programme maximum» se mesure au nombre de ministres dans un gouvernement présidé par le PSOE. Et aucun courant interne ne semble capable de rectifier un tel objectif, qui serait considéré comme un succès pour l’appareil d’IU, mais s’oppose frontalement à la construction d’une majorité sociale et politique capable de battre la droite.

Dans de telles conditions, on pourrait juger que continuer à discuter et à promouvoir l’objectif de battre la droite comme une tâche immédiate est une dépense d’énergie inutile. Pourtant, même si les possibilités de succès paraissent beaucoup plus éloignées, il vaut mieux continuer à mener cette bataille que de la laisser entre des mains qui la manipulent dans leur propre intérêt, en risquant ainsi qu’ils nous volent une nouvelle fois impunément l’initiative.»

 

Extrait de Miguel Romero, « La política de la marmota », Viento Sur Web, 9 nov. 2013, trad. J.B.