Barack Obama: un bref bilan

L’élection de Barack Obama à la présidence des États-Unis en novembre 2008 avait été accueillie avec une certaine liesse aux Etats-Unis et dans beaucoup d’autres pays, notamment africains ou à population partiellement afrodescendante, faisant d’elle un événement plus qu’états-unien. Une version politique de la «jaksonmania», que l’on a dénommée «obamania». On se souvient de son meeting de campagne électorale à … Berlin. 

 

L’enthousiasme s’explique aussi bien par la couleur de sa peau, dans une société au racisme /à l’ethnisme bien enraciné, que par le cynisme sur les questions sociales, la violation des droits et libertés – surtout après le 11 septembre 2001 – et le degré particulier d’arrogance impériale criminelle de son prédécesseur « Bébé Bush » et de sa clique de néo-conservateurs décidés à concrétiser leur programme (Project for the New American Century), élaboré en 1997. L’ouvrage de Barack Obama (L’audace d’espérer. Une nouvelle conception de la politique américaine, 2006) ainsi qu’une partie de sa campagne avaient donné l’impression qu’il voulait en finir avec certaines pratiques de politique intérieure et étrangère, vues comme accidentelles plutôt que structurelles. Quel bilan peut-on en tirer au terme de son – premier ? – mandat, et à la veille de son retour devant les électeurs-électrices face à
Mitt Romney ?

 

Promesses et attentes

Le candidat Barack Obama avait suscité, chez des millions de ses concitoyen·ne·s, l’espoir d’un nouveau « New Deal », politique économique mise en place dans les années 1930 en réaction à ce qui était alors la plus grande crise économique du capitalisme. Un programme keynésien de réduction des injustices et inégalités sociales, dit « Welfare State », que la présidence de Ronald Reagan, chantre du néolibéralisme, avait entrepris de démanteler, relayé dans une vraie continuité institutionnelle par tous ses successeurs : du démocrate Bill Clinton (les mères célibataires pauvres se souviennent de sa «welfare reform» de 1996) aux républicains (« Papa » et « Bébé » Bush).

 

     Le sous-titre anglais de l’Audace d’espérerThoughts on Reclaiming the American Dream – contient bien la promesse de retour à ce qui devrait être considéré comme une parenthèse de près d’un demi-siècle dans la longue histoire des injustices sociales états-uniennes. D’où l’adhésion massive des couches populaires au « programme » du candidat démocrate, en particulier des minorités ethniques/raciales («Native Americans» – Indien·ne·s d’Amérique –, Chicana·o·s, Latina·o·s, en passant par les Noir·e·s). Obama avait par ailleurs rappelé, dans un autre ouvrage (Les rêves de mon père, 1995), son expérience de jeune travailleur social dans les quartiers pauvres de Chicago, exprimant ainsi une connaissance pratique du vécu de celles et ceux d’en bas et attestant d’un dévouement qu’il ne pourrait qu’actualiser une fois élu.

     Ainsi l’électorat populaire d’Obama, y compris les classes moyennes en plein blues, attendait de sa présidence la fin des discriminations ethniques /raciales (il a obtenu 80 % de voix des inscrit·e·s noir.e.s et 70 % des Latina·o·s), la création d’emplois à salaires décents, permettant à une bonne partie de la trentaine de millions d’États-unien·ne·s dépendant des bons alimentaires d’en sortir, l’accès aux soins médicaux de bonne qualité, y compris pour les dizaines de millions qui étaient dépourvus d’assurance-maladie.

Et au lendemain de son élection, le nouveau président indiquait pour priorités : la sortie de la crise économique, la baisse du chômage, autrement dit la création d’emplois à revenus décents, une réduction des coûts de l’assurance maladie, la rendant accessible aux 45 millions d’États-Unien·ne·s qui en étaient alors dépourvus, et la redynamisation d’un enseignement public rendu pitoyable par le culte voué au privé 1.

     À l’international, Barack Obama était attendu sur des questions comme l’organisation de l’ordre économique capitaliste mondial, particulièrement des marchés financiers ; le militarisme états-unien, avec l’extension permanente des bases militaires à l’étranger, privilège de l’hégémon mondial ; les violations des droits humains, les crimes de guerre et autres crimes contre l’humanité commis ou soutenus à travers le monde par les États-Unis (de l’Afghanistan à la Palestine en passant par Guantanamo), la question très vitale du climat ; et même la décolonisation des unincorporated territories – ou U.S. Islands Areas, à l’instar de l’île de Guam.

     En Afrique, subsaharienne en particulier, une herbe sur laquelle se battent en permanence les éléphants de l’économie mondiale, l’arrivée à la Maison-Blanche de ce fils de Kenyan était considérée comme le point de départ de nouvelles relations dépourvues de motivations impérialistes /hégémoniques et différentes, pour l’Afrique francophone, de la politique africaine de la France. Le « cousin d’Amérique » à la tête de la première puissance économique mondiale ne pouvait être indifférent au « sous-développement » du continent, comme semblait le prouver l’intérêt qu’il avait porté, comme sénateur fédéral, à la guerre de prédation internationale dans l’Est de la R. D. Congo.

 

Les actes : la politique intérieure

Admirateur du républicain Abraham Lincoln, Obama voyait dans la crise de 2007-2008 l’occasion d’égaler au moins le démocrate F. D. Roosevelt. S’il a pu comme ce dernier sauver les banques (qui ont reçu 780 milliards $), il n’a pas réédité le New Deal, qui ne doit toutefois pas être idéalisé. Les effets de l’American Recovery and Investment Act (arra), adopté en 2009, sont loin d’avoir été bénéfiques au peuple états-unien qui en a même déjà oublié l’existence. En 2012, lors de son discours sur l’état de l’Union, Obama s’est vanté d’une politique efficace de lutte contre le chômage et d’une création massive d’emplois. Pourtant, le rapport publié en août de la même année par le National Employment Law Project (« The Low-Wage Recovery and Growing Inequality ») précise que 58 % des emplois salariés créés depuis 2010 le sont dans la catégorie des plus bas salaires. Sans oublier qu’il suffit d’avoir travaillé quelques jours pour disparaître des statistiques du chômage. Le développement des working poor ne peut que s’accentuer.

 

     Beaucoup d’emplois ont été perdus dans les classes moyennes, trop peu ont été créés… C’est la « death of the middle class », la mort de la classe moyenne, que chante le bluesman Mighty Mo Rogers. La pauvreté continue sa progression, même si l’office de recensement US, à partir de critères toutefois contestés, a annoncé récemment sa stabilisation à 46,2 millions de personnes, dont 21,9 % âgées de moins de 18 ans pour la période 2010-2011 (Income, Poverty, and Health Insurance Coverage in the United States: 2011, septembre 2012, p. 13). Car il y a un peu moins de 46,7 millions (17 millions en 2000, 36 millions en 2009) de personnes qui se nourrissent grâce aux bons alimentaires. Or, un certain nombre de ceux-celles qui y auraient droit ne se déclarent pas aux autorités compétentes. La paupérisation est telle que de plus en plus de parents démunis confient leurs enfants à leurs grands-parents à la retraite. Les retraité·e·s des classes moyennes ou de la classe ouvrière sont aussi paupérisés ; l’administration Obama n’ayant pas réformé les dispositions défavorables instaurées dans les années 1990 et certains États, à l’instar de l’Illinois, peinent à payer les pensions des fonctionnaires. Sans compter tous ceux-celles qui ont perdu « leur » maison avec la crise des subprimes…

     Si la réforme du système de santé, promesse phare du candidat Obama, a été votée malgré de fortes résistances républicaines, démocrates, et populaires – la couverture publique ne convenant pas à l’individualisme viscéral états-unien –, elle est loin d’être satisfaisante. La version adoptée permettra à 32 millions de personnes d’accéder à l’assurance maladie – un gaspillage de l’argent public selon les républicains –, les 13 autres millions continueront à se débrouiller sans. Ces pauvres mal logés, sous-alimentés, qui intéressent trop peu les universitaires spécialistes de la démocratie états-unienne, n’auront qu’à ne pas tomber malades, éviter la tuberculose, résurgente depuis les années 1980 – surtout parmi les Native Americans, qui connaissent les taux de chômage les plus élevés –, et la nouvelle percée du vih – surtout parmi les Noir·e·s, autres champions de la pauvreté.

     Quant à la dégradation permanente de l’école publique, question sociale fondamentale parmi les moins médiatisées à l’extérieur, Obama, faute de financement suffisant et surtout de volonté politique, n’a pas arrêté sa détérioration tant quantitative que qualitative, régulièrement dénoncée par les usager·e·s et les associations civiques. La géographie ou la démographie de cette dégradation est certes marquée par les classes, mais elle l’est aussi ethniquement/racialement. La déscolarisation massive des couches pauvres des minorités ethniques, plus exposées que les autres à l’alcoolisme, à la toxicomanie et à la petite criminalité, conduit les plus jeunes de l’école à la prison (School-to-Prison-Pipeline), en particulier dans certaines réserves « indiennes ».

     Même sous la présidence Obama le financement de l’école publique n’est pas considéré comme rentable. Les entreprises privées préfèrent investir dans les prisons, ces « goulags de la démocratie » (Angela Davis), ou plus massivement (de 3000 à 4000 milliards de dollars entre le 11 septembre 2001 et 2010, selon la Eisenhower Research Project) dans les guerres impériales ; le complexe militaro-industriel et les transnationales (anciennes ou futures employeuses des décideurs politiques) allant exploiter les ressources des pays soumis à l’hégémon mondial. Jugée non rentable – à la différence des institutions privées, pour lesquelles des milliers d’étudiant.e.s se sont endettés en frais de scolarité et peinent à rembourser, vu l’état du marché de l’emploi –, l’école publique est presque superflue sous le néolibéralisme. Obama, le démocrate néolibéral, ne fait qu’en poursuivre la réduction à sa part congrue.

     Ainsi, en dehors de l’assurance-maladie et de la reconnaissance du droit des homosexuel.le.s au mariage, le président Obama a bien plus oublié que réalisé les promesses du candidat, y compris en ce qui concerne l’immigration récente et dite illégale en provenance de l’Amérique dite latine, arrière-cour traditionnelle des Etats-Unis depuis deux siècles. 

 

Les actes : la politique étrangère

En politique extérieure, l’arrogance des néoconservateurs a disparu, mais les grandes lignes de leur programme ont été maintenues par l’administration Obama. Le processus de retrait d’Irak, très médiatisé, masque l’instauration d’un gouvernorat états-unien – l’indécente « zone verte », centre administratif ultra-sécurisé de 10 km2, soit près des 2/3 de Genève – construit par les États-Unis dans Bagdad sous leur contrôle, avec l’assistance privée britannique, dans un pays pétrolier qui est encore dit souverain. Même le parlement irakien y a son siège.

 

     Malgré le départ de quelques armées nationales, vassales des États-Unis, l’occupation militaire de l’Afghanistan, par l’International Security Assistance Force sous leadership états-unien, continue avec son lot de civils tués par les armées d’occupation. Le retrait d’Irak était justifié, entre autres, par la nécessité de renforcer la présence en Afghanistan, officiellement pour sauver le peuple afghan des talibans barbares, mais, en fait, pour sa position stratégique et ses ressources naturelles qui intéressent particulièrement la Chine, ce voisin bien glouton en matières premières étrangères.

     C’est sous Obama que s’est concrétisée la politique de reconquête du centre et du sud américains ; en augmentant le nombre de bases militaires dont personne n’ignore le statut claironné d’éclaireurs de la liberté, la démocratie et de la paix orwelliennes. Les putschs sont de retour, même s’ils sont devenus moins grossiers que du temps de la tristement célèbre École militaire des Amériques. Devant les caméras, Obama a condamné le putsch contre Manuel Zelaya au Honduras (2009). Alors que, comme pour Rafael Correa en Equateur (2010), ou Fernando Lugo au Paraguay (2012), il est question de la convergence entre les putschistes et d’importants intérêts économiques étrangers.

     Obama a renvoyé aux calendes grecques la fermeture de Guantanamo et l’arrêt de son cortège de violations des droits humains. Il a été aussi sourd que ses prédécesseurs aux revendications populaires contre les bases militaires d’Okinawa (Japon) et de Diego Garcia (près de l’Île Maurice). Le prix Nobel de la Paix 2009 (célèbre contribution de la discrète Norvège à la reproduction de l’ordre bourgeois international) s’est avéré un triste superviseur d’assassinats à l’étranger de présumés terroristes par les drones de l’us army. Ce n’est pas par hasard que les délégué·e·s états-uniens ont fait échouer les toutes récentes négociations onusiennes sur une autre réglementation du commerce des armes, projection au niveau mondial de l’attachement national à la prolifération des armes à feu.

     Quant à la tragédie du peuple palestinien, affaire indirectement états-unienne eu égard au soutien apporté par les États-Unis à l’État sioniste, elle continue d’être traitée presque comme un fait divers à rebondissements. Le duo Barack Obama-Hillary Clinton affichant, après quelques gesticulations formelles, son incapacité d’agir, sans toutefois que soit entachée leur étiquette de défenseurs acharnés des droits humains dans le monde entier.

 

Afrique : le « cousin d’Amérique » n’a rien changé

A Accra, les Africain·e·s, qui attendaient du « cousin d’Amérique » une nouvelle politique états-unienne favorisant le « développement » du continent, ont eu droit à un discours mi-sarkozien, truffé de clichés produits par la condescendance impériale. Au moins la crise a fini par convaincre que des problèmes tel que l’endettement (14 000 milliards $ pour les Etats-Unis et 6446 milliards $ en 2012, pour l’ensemble des puissances capitalistes émergentes et des États capitalistes dits en développement) relèvent de la structure de l’économie capitaliste et ne sont pas propres à certaines régions du monde.

 

     L’administration Obama a repris à son compte, en la prolongeant, l’Africa Growth and Opportunity Act (agoa) initié par Bill Clinton et présentée comme un marché préférentiel devant profiter aux économies états-unienne et africaines. Même le «gourou de la mondialisation»2 libre-échangiste, Jagdish Bhagwati l’avait – avec Arvind Panagariya – déjà considéré comme un marché de dupes, aux dépens évidemment des « partenaires » africains. Pour accompagner cette africanophilie commerciale post-Guerre froide, la Maison-Blanche, depuis Bill Clinton, a inscrit l’Afrique en bonne place dans son programme de soutien à la lutte contre le sida. Mais, depuis « Bébé Bush », derrière le beau masque humanitaire, il y a le visage hideux de l’intégrisme religieux, chrétien « born again » en l’occurrence, qui par moralisme fait prévaloir l’abstinence avant le mariage sur l’usage du préservatif, en matière de prévention. La générosité est ainsi subordonnée au respect du puritanisme, au risque de relancer à la hausse le taux de prévalence ; pensons à l’Ouganda où les bons résultats de la lutte contre la pandémie ont connu un recul depuis l’alignement du couple présidentiel sur les considérations religieuses communes à l’équipe Bush. L’administration Obama n’a pas mis un coup d’arrêt à l’expansion de cette diplomatie intégriste évangéliste.

     Cependant, et malgré la multiplication des déclarations d’officiels états-uniens sur l’importance de l’Afrique pour les États-Unis, l’apport états-unien au développement du capitalisme en Afrique a, en une décennie, été rattrapé et dépassé par l’« aide » chinoise. Ce que déplorait récemment le président du Corporate Council on Africa – qui regroupe les principales transnationales états-uniennes et quelques entreprises africaines, à l’instar du Groupe Jeune Afrique – devant une commission sénatoriale (« S. Hayes Senate Subcommittee Testimony on China in Africa », 2 novembre 2011, http://www.africacncl.org). Ce représentant du capital transnational états-unien a reconnu en fait l’importance de l’action étatique chinoise dans la percée du capital chinois en Afrique. Même s’il a déploré les limites qu’impose le capital étatique chinois au capital privé (Exim Bank de Chine), il a néanmoins proposé aux autorités états-uniennes de s’inspirer de l’investissement chinois en Afrique, par ailleurs non focalisé sur le secteur pétrolier.

     Environ 90 % des importations états-uniennes d’Afrique concernant le pétrole, les zones pétrolières africaines sont intégrées dans le périmètre de sécurité nationale états-unienne. Ainsi, l’exploitation du pétrole s’accompagne d’une intensification de la présence militaire US (sous forme de bases secrètes, l’Union africaine ayant interdit au quartier général du Commandement de l’U.S. Army pour l’Afrique (africom)
de s’installer sur le Continent), contribuant aux conflits dit africains, de la Somalie au Mali en passant par la Lybie et le Soudan. Cette visibilité sert aussi de campagne publicitaire aux équipements de guerre et aux agences de mercenariat.

     En Tunisie et en Égypte, l’action états-unienne visant à dissuader les armées de tirer sur les manifestant·e·s, dont des cyber-activistes formés par des centres et fondations états-uniens, pouvait être vue comme positive. Mais elle a plutôt favorisé la continuité dans le changement 3. En Afrique, les États-Unis ne se sont pas débarrassés de leur peau impérialiste du fait de la couleur de celle d’Obama. Avant lui, il y a eu aux sommets de l’État impérial – à un rang inférieur au sien, certes – les secrétaires d’État Colin Powell et Condoleeza Rice, activistes des guerres menées en leur temps par les républicains « Papa » et « Bébé » Bush. Il y a encore ces vrp noirs du capital états-uniens, « peau noire, masques verts » (le vert du dollar), à l’instar d’Andrew Young (ancien collaborateur de Martin Luther King) qui assiègent les palais des satrapes africains et organisent des sommets pour l’hégémonie continentale du capital états-unien.

 

In Go(l)d we trust

Le bilan de l’administration Obama s’avère en fait sans surprise. Car s’il y a une chose qui a été oubliée par celles et ceux, intellectuel·le·s progressistes compris qui, pris dans les rets de l’émotionnel érigé en moyen principal d’appréciation politique, tournant souvent à une sorte de racialisme généreux («Comme c’est un noir…») espéraient un changement substantiel de la présidence des États-Unis par Obama, c’est la nature capitaliste du bipartisme états-unien, l’identité dans la différence apparente du parti démocrate et du parti républicain. Les candidats à la présidence sont toujours sélectionnés en fonction de leur adhésion aux valeurs fondamentales de la bourgeoisie états-unienne, parmi lesquels la suprématie du billet vert – avec son «In God We Trust», cette rencontre symbolique du dieu chrétien et de Mammon – et de ceux qui en ont beaucoup plus que tous les autres, le fameux 1 %.

 

     Le Congrès, détenteur constitutionnel de tous les pouvoirs législatifs, est sous le contrôle des grandes firmes capitalistes, donatrices capitales des campagnes électorales, en échange d’une reconnaissance du ventre par les congressistes. Il en est de même des autres élu·e·s (maires et consorts). La contribution des centrales syndicales jaunes à la campagne d’Obama en 2008, beaucoup moins importante que celle des firmes, a été payée en retour par l’oubli des promesses qui leur avaient été faites par le candidat, alors non seulement en quête d’argent, mais aussi à la pêche aux voix des moyens et petits salarié.e.s. Obama ne s’est pas détourné de ses maîtres donateurs pour la campagne de 2012, multipliant des signes d’allégeance accompagnés de quelques bombements de torse censés rassurer le petit peuple, masse importante d’électeurs-électrices. Ainsi, la servilité concrète d’Obama à l’égard du 1 % – très hostile au syndicalisme, cela va de soi – en est arrivée à exaspérer Warren Buffett, l’un des membres plus éclairés de cette classe. Après s’être réjoui, il y a quelque temps de la victoire de sa classe dans la lutte des classes, il a dénoncé en pleine campagne électorale la grande injustice fiscale en faveur des riches ainsi que le larbinisme de l’administration Obama à l’égard de ces derniers. Le caractère « éclairé » signifiant ici une conscience que les autres membres de cette classe n’ont pas des dangers que représente l’état des injustices produites par leur domination. 4

     Le candidat Obama avait promis de s’en prendre aux injustices fiscales, mais le président l’a oublié. Ou plutôt, en 2010, il a choisi de prolonger jusqu’en 2012 les cadeaux aux riches hérités de ses prédécesseurs. Après la spectaculaire sortie de Warren Buffet, il a promis aux classes moyennes des réductions fiscales, mais avec une prudence dictée par la quête insatiable d’argent pour sa campagne. Ce n’est qu’une énième illustration de la séparation ou plutôt de la distinction des pouvoirs (exécutif, judiciaire et législatif), déterminés en définitive par le pouvoir structurant, oublié par les constitutionnalistes, le pouvoir économique, les intérêts majeurs du Capital. La défense de ceux-ci étant même considérée supérieure à la préservation de la vie sur terre, eu égard au comportement irresponsable de l’administration Obama lors des sommets onusiens de Copenhague (2009) et de « Rio + 20 » (juin 2012).

     Après quatre ans de présidence, Barack Obama s’avère un président états-unien ordinaire, se distinguant de ses prédécesseurs juste par son identité de « Noir », dans la taxonomie raciale simpliste états·unienne, et son sens élevé de la communication. Le considérer comme un homme de gauche n’est possible qu’à cause du manque des commentateurs actuels en matière de classification politique/idéologique. À moins de préciser qu’il s’agit de la «gauche capitaliste» ou «sociale libérale».

     Ainsi, la différence avec Romney n’est pas qualitative mais de degrés d’affinités avec le Capital souverain et de démagogie, comme l’ont montré les « débats » télévisés de l’actuelle campagne électorale. Pour les damné·e·s de la terre, il n’y a pas à proprement parler de véritable enjeu à choisir Obama ou Romney. La politique intérieure de l’un, héritée de ses prédécesseurs, a suscité le mouvement Occupy et d’autres luttes syndicales et associatives que le système états-unien sait marginaliser. Pourtant, bien que n’étant pas anticapitaliste, le mouvement Occupy – tout comme les enseignant·e·s et autres fonctionnaires en lutte – n’a pas reçu le soutien d’Obama et de ses plus proches collaborateurs. Il est impossible, par exemple, pour le directeur de cabinet du président Obama, William Daley, d’exprimer quelque solidarité avec le mouvement Occupy : c’est de la direction de la JP Morgan Chase qu’il a été pris pour diriger le cabinet présidentiel.

     Avec Obama ou Romney, la politique des prochaines années développera, persistance néolibérale oblige, les conditions du surgissement d’autres mouvements du même type dans une société qui a été l’un des plus performants laboratoires de l’anti-syndicalisme et de la capture /corruption des directions syndicales au début du xxe siècle. Cependant, le développement des «hate groups» ethnistes /racistes, dans les milieux populaires, y compris des minorités ethniques /raciales, ayant accompagné la poussée néolibérale, s’est accru parmi les Blancs-Blanches et chrétien·ne·s, avec l’élection du supposé « noir et musulman » Obama. Espérons qu’en cas de réélection, la couleur de sa peau ne sera plus utilisée comme un facteur de division ou de démobilisation face aux attaques régulières du Capital contre les moyens et petits salarié·e·s de toutes les couleurs.

     Au niveau international, l’aveuglement impérialiste états-unien risque, sous la pression du complexe militaro-industriel renforcé par les transnationales de mercenaires, de multiplier les occasions de conflits dans le monde et les occupations militaires. Dans son discours d’investiture, Obama avait, entre autres, promis de restaurer le leadership états-unien dans le monde, dans la bonne tradition des États-Unis comme missionnaire de la Providence sur la terre entière, avec cette fois-ci un noir, «beau, jeune et bronzé» selon Berlusconi, dans le rôle de messie. D’où le maintien d’un budget toujours monstrueux de la Défense, justifié malgré tout par la menace militaire que représenterait la Chine – alliée économique, mais principale concurrente en Afrique, en Amérique dite latine et en Asie. Le «Paranoid Style in American Politics» dont parlait Richard Hofstadter au mitan des années 1960 est toujours d’actualité. Il s’exprime de façon très claire chez Romney, capitaliste sans scrupules, mais hypocritement chez Obama, ce petit-bourgeois bon serviteur de l’impérialisme capitaliste. Sa mine souriante est à l’image du capital impérialiste néolibéral : séducteur, mais paupérisant concrètement matériellement et intellectuellement, une grande partie de l’humanité, il détruit avec une délectation malsaine des vies humaines ainsi que la nature.

 

Jean Nanga


 

1  Entretien avec Richard Stengel, David von Drehle, John Huey du Time, repris en français par Courrier International (15 janvier 2009) sous le titre : « Je suis prêt à affronter toutes les épreuves », p. 29.

2  Arvind Subramanian, « Le gourou de la mondialisation : entretien avec Jagdish Bhagwati », Finances & développement, Septembre 2005, p. 4. L’article de J. Bhagwati et A. Panagariya : « A Trojan Horse », Financial Times, June 29, 2000, disponible sur le site de l’université de Columbia : http://www.columbia.edu/~ap2231/ET/ft1-jb-ap-trojan-horse-june29-00.htm .

3  Cf. par exemple, Sami Ben Gharbia, « Les cyber-activistes arabes face à la liberté sur internet made in USA », 14 janvier 2011, sur http://owni.fr. Mieux : Tariq Ramadan, L’islam et le réveil arabe, 2011.

4 « Philanthropy : Spreading gospels of wealth », The Economist, Saturday, May 19, 2012.