Le peuple demande

Le monde arabe a vécu une année 2011 des plus passionnantes pour toutes celles et ceux qui résistent et qui luttent à travers le monde. Les mouvements populaires, qui ont secoué les dictatures du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, ont eu un impact dans le monde entier. Les Indigné·e·s tirent leur inspiration des révolutions arabes. Plus de 700 villes dans plus de 70 pays ont résonné et résonnent encore des mots d’ordre et des revendications d’un mouvement qui manifeste contre la précarité et le pouvoir de la finance. Mais les Indigné·e·s représentent surtout un défi et une claire condamnation du système capitaliste. Les masses populaires arabes ont relancé la résistance à travers le monde ; nous sommes entrés dans une période de processus révolutionnaire.

Les révolutions dans le monde arabe sont le fruit de la rencontre de différentes luttes et mobilisations populaires. Ces combats se sont entremêlés et ont permis à différents secteurs de la société de joindre leur force pour se révolter contre les régimes autoritaires et corrompus liés aux intérêts impérialistes.

La question démocratique

Il s’agit tout d’abord de la revendication de droits démocratiques élémentaires contre des régimes dictatoriaux, soutenus directement ou indirectement par les pays occidentaux (de nombreux accords politiques, économiques et sécuritaires témoignent de cette collaboration).

En Egypte, par exemple, le mouvement Kefaya, constitué d’activistes et de groupes provenant de toutes les tendances politiques (communistes, nationalistes arabes, libéraux, islamistes) brise, en 2004-2005, de nombreux tabous caractérisant alors la sphère publique égyptienne ; notamment en critiquant directement le président et l’appareil sécuritaire. Les manifestant·e·s organisent alors des meetings populaires dans des lieux publics sans autorisation officielle, et utilisent de nouvelles formes de protestations, telles que les veillées aux chandelles, contribuant à attirer l’attention populaire. La plupart de ces activistes seront en première ligne lors du début du soulèvement égyptien le 25 janvier.

En Tunisie, les universités étaient des centres de résistance et de revendications démocratiques depuis de nombreuses années. L’activisme des étudiant·e·s au début du processus révolutionnaire poussera d’ailleurs la dictature de Ben Ali à fermer les Facs et autres hautes écoles.

En Syrie, l’arrivée de Bachar Al Assad au pouvoir amène tout d’abord un léger vent d’ouverture qui sera réprimé aussitôt. Néanmoins, des militant·e·s, intellectuels, artistes, écrivains, s’organisent et forment des clubs de débats politiques, tout en exigeant une démocratisation de l’Etat.

Des phénomènes similaires ont lieu dans d’autres Etats arabes, comme le Bahreïn, la Libye et le Yémen. En Libye, Benghazi, la première ville à s’être soulevée contre le régime de Kadhafi a toujours été une base de l’opposition contre le régime.

L’aspiration des peuples à la démocratie s’accompagne de deux demandes fondamentales sans lesquelles la construction d’un futur Etat complètement démocratique n’est pas envisageable : la question sociale et l’anti-impérialisme.

La question sociale : une dimension occultée

La profondeur de la question sociale et son impact sur le déclenchement des révolutions est sûrement la dimension la plus occultée par les médias occidentaux. Ces soulèvements populaires, survenant à la suite de la crise financière et économique mondiale, sont en effet une révolte contre les politiques néolibérales imposées par les régimes autoritaires, et encouragées par les institutions financières internationales, comme le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque mondiale (BM).

Les mesures néolibérales ont servi au démantèlement et à l’affaiblissement croissant des services publics dans ces pays, à la suppression de subventions, notamment pour des biens de première nécessité, tout en accélérant les processus de privatisation, très souvent au profit des classes dirigeantes et bourgeoises liées au pouvoir politique.

Les réformes néolibérales des régimes arabes ont encouragé une politique basée sur l’accueil des investissements directs étrangers, le développement des exportations et du secteur des services, en particulier du tourisme. Dans cette optique, les gouvernants ont assuré aux compagnies l’absence d’imposition ou de faibles taux, tout en garantissant à ces dernières une main-d’œuvre très bon marché. L’appareil répressif de ces pays a servi « d’agent de sécurité » pour ces compagnies, les prémunissant de tous troubles ou revendications sociales. Ces Etats ont joué le rôle d’entremetteurs pour les capitaux étrangers et les grandes multinationales, tout en garantissant l’enrichissement d’une classe bourgeoise liée au régime.

La dépendance économique des pays en question aux marchés internationaux s’est également accrue. Le renversement de la conjoncture économique internationale, en 2009, a détérioré encore davantage la situation de crise socio-économique. Les préceptes du FMI et de la BM ont créé dans ces pays plus de dépendance et plus de sous-développement.

Les fléaux qu’impliquent ces politiques néolibérales sont nombreux. Mentionnons le taux de chômage élevé, particulièrement parmi les jeunes diplômés universitaires qui ne trouvent pas de débouchés dans une économie désormais concentrée sur des emplois à faible valeur ajoutée, et où le travail qualifié se fait rare ; ou encore le sous-emploi, conséquence directe de ces mesures.

Les phénomènes de libéralisation ont également accru les inégalités sociales et économiques. Les classes inférieures et moyennes n’ont pas bénéficié de la supposée « croissance». Elles en ont au contraire souffert.

Les processus de privatisation ont créé de nouveaux monopoles entre les mains des proches du pouvoir. Ces phénomènes sont en effet partie intégrante du système de corruption, profitant aux classes gouvernantes de ces pays, par exemple la famille de Moubarak en Egypte, la famille Trabelsi, épouse du président Ben Ali, en Tunisie, la famille Makhlouf, cousin germain de Bachar al Assad, en Syrie. Les mouvements populaires se sont d’ailleurs accompagnés de dénonciation de la corruption prenant pour cible ces familles associées au pouvoir.

Grèves des travailleurs·euses et mouvement étudiant : un même combat

Ces politiques néolibérales ont appauvri, comme nous l’avons vu, l’ensemble des sociétés concernées. Cependant, deux groupes ont été plus gravement atteints : les étudiant·e·s et les travailleurs·euses. Ils·Elles sont aujourd’hui à la tête des mouvements de contestation. 

En Tunisie, l’Union Générale des Travailleurs Tunisiens (UGTT) a souvent joué un rôle moteur d’opposition aux régimes autoritaires, malgré le fait que la centrale syndicale ait été gravement affaiblie par une combinaison de répression, de privatisation des emplois publics et parfois même de compromission de la direction syndicale avec le régime.

En 2008, ce sont en effet des membres de l’UGTT qui sont à la base des soulèvements des ouvriers des mines dans la région de Gafsa. Ils ont soutenu le mouvement pendant plus d’un an.

En Egypte, le pays a connu le plus grand mouvement social depuis la Seconde Guerre mondiale, avec des grèves et des occupations de différents secteurs de la société. Les grèves dans les usines de Mahala el Kubra, en 2008, témoignent aussi de la vigueur du mouvement ouvrier malgré la répression des forces de sécurité.

Aujourd’hui, de nombreux syndicats indépendants ont été formés depuis la chute de Moubarak, tandis que la multiplication des occupations et des mouvements de grèves démontre l’intensité du rôle des travailleurs·euses dans la révolution.

C’est pourquoi ils-elles ont été durement attaqués par l’élite dirigeante, l’institution militaire en particulier, et dans une certaine mesure par leurs alliés les Frères Musulmans. Le Conseil de Sécurité des Forces Armées (CSFA) a en effet mis en œuvre une loi criminalisant les grèves, protestations, manifestations et occupations qui affectent l’économie.

Le mouvement des syndicats et des travailleurs·euses a joué un rôle important dans les révolutions, en particulier en Tunisie et en Egypte. La grève générale proclamée le 11 janvier en Tunisie et les journées de grèves générales menées dans toute l’Egypte ont été décisives pour faire chuter les dictateurs de ces pays.

En Syrie, à partir de 2006, la dégradation du niveau de vie de la majorité de la population, couplée à la répression politique, a conduit à une ère de protestations, souvent sur des questions économiques. En mai 2006, des centaines de travailleurs de la Compagnie de construction publique organisaient une manifestation à Damas, provoquant des affrontements avec les forces de sécurité, tandis que les chauffeurs de taxi à Alep faisaient grève à la même période.

Le mouvement syndical au Bahreïn a été un fer de lance contre la dictature du régime, tandis que de nombreux syndicalistes ont été condamnés à de lourdes peines de prison pour leur participation active au mouvement de contestation. C’est d’ailleurs à la suite des grèves des différents syndicats qui ont paralysé, le 14 mars dernier, la capitale Manama, que les troupes saoudiennes, suppléées par les forces de sécurité du Bahreïn, interviennent pour réprimer le mouvement populaire.

La question de la justice sociale et la condamnation des politiques néolibérales sont donc au coeur des revendications des mouvements populaires.

L’anti-impérialisme : une question cardinale

L’anti-impérialisme et l’autodétermination des peuples sont également sous-jacents aux différents mouvements populaires de la région. Ces peuples en lutte ont clairement, et à de nombreuses reprises, exprimé leur volonté de poursuivre une politique étrangère qui réponde à leurs aspirations profondes et à leurs intérêts, et donc de ne plus être soumis aux puissances impérialistes. En Tunisie, en Egypte et dans d’autres pays, la cause palestinienne a servi et sert encore d’étendard à cette bataille. L’anti-impérialisme a souvent été en effet un moyen d’éducation et de conscientisation politique, canalisant parfois les forces de la protestation vers l’extérieur plutôt qu’en direction de revendications liées à la situation intérieure de ces pays.

Lors de l’Intifada palestinienne en 2000, un mouvement populaire en Egypte, composé en très grande majorité de jeunes, a stigmatisé les politiques américaines et israéliennes. Ces dénonciations étaient aussi un moyen de critiquer indirectement, mais explicitement, la politique de collaboration du régime de Moubarak avec les puissances impérialistes. Ce mouvement a continué à se développer, notamment à cause de l’invasion américaine et de l’occupation de l’Irak. En mars 2003, le Caire a été le théâtre des plus grandes manifestations qu’aient connu le pays depuis les émeutes de 1977.

Le processus révolutionnaire égyptien oblige aujourd’hui le CSFA, institution liée à tous les niveaux aux Etats-Unis par un financement annuel de plus de 1,3 milliards de $, de faire profil bas par rapport à sa collaboration avec l’Etat d’Israël et les autres Etats impérialistes.

En Tunisie, la collaboration du régime de Ben Ali à la « guerre contre le terrorisme » lancée par George Bush, mais utilisée surtout pour réprimer les opposant·e·s, ainsi que la présence d’une représentation officielle israélienne dans le pays ont également été vivement dénoncées par le mouvement populaire.

La question anti-impérialiste a été pour beaucoup un moyen de formation politique.

La réaction de l’impérialisme et de ses alliés dans la région

Les révolutions arabes ont définitivement remis en cause et chamboulé le statu quo dans la région, et particulièrement en ce qui concerne les forces impérialistes et leurs alliés, avec à leur tête Israël et le Conseil de Coopération du Golfe (CCG) présidé par l’Arabie Saoudite. Ces mouvements populaires sont en effet un danger pour leurs intérêts politiques et économiques.

Les impérialistes et leurs alliés ont néanmoins réagi assez rapidement, mais de différentes manières, après la chute des dictateurs en Tunisie et en Egypte. Les interventions armées croisées en Libye et au Bahreïn constituent néanmoins la forme la plus directe et violente de leurs interventions.

1. Bahreïn

Les raisons de l’intervention de la force conjointe du Conseil de coopération du Golfe (CCG), appelée «Bouclier de la Péninsule », créé en 1984, sont multiples ; elles servent les intérêts des Etats contre-­révolutionnaires du Golfe, et ceux des Etats-Unis.

L’intervention des forces du CCG, composé en grande majorité de militaires saoudiens, répond en premier lieu à la menace d’une propagation de la révolution à la région du Golfe. La ville de Qatif en Arabie saoudite a été le théâtre de nombreuses manifestations, violemment réprimées, contre le régime depuis le début de l’année, alors qu’Oman et d’autres pays du Golfe ont été les témoins de multiples contestations populaires.

Pour les Etats-Unis, le régime du Bahreïn est un allié essentiel dans cette région où se trouvent les deux tiers des réserves mondiales de pétrole. Les Etats-Unis ne voient pas d’un bon œil la montée d’un mouvement populaire qui pourrait mettre en danger leurs intérêts et s’étendre aux autres pays. De plus, le Bahreïn revêt une importance particulière pour les Etats-Unis en tant qu’hôte de la 5e Flotte de la marine américaine, considérée par Washington comme le principal contrepoids militaire à l’Iran. Pour rappel, c’est depuis cette base américaine que, dans les années 1990, a été créée une zone d’exclusion aérienne dans le sud de l’Irak, et que les bombardiers qui ont frappé Bagdad avant l’invasion armée de 2003 ont été lancés.

Le CCG, en collaboration avec les forces de sécurité du Bahreïn, a réprimé le mouvement populaire dans le pays, avec le silence et la passivité de la communauté internationale. La préservation des intérêts économiques et politiques de cette dernière est en effet bien trop importante. A nouveau, la « défense » des Droits de l’Homme par la communauté internationale apparaît bien sélective.

Le silence et la passivité des puissances impérialistes au Bahreïn laisseront la place à l’action armée dans le cas de la Libye.

2. Libye

La réaction différente de la communauté internationale face à la situation libyenne, et la nature particulière de l’intervention en Libye reflètent néanmoins le même objectif : préserver les intérêts économiques et politiques des puissances impérialistes et arrêter le développement de la vague révolutionnaire dans la région. L’intervention armée de l’OTAN a été expliquée par certains comme une preuve que la révolution libyenne était, depuis le commencement, un complot pro-occidental. Cette version est loin de rendre compte de la réalité du mouvement populaire libyen et de la dynamique du régime de Kadhafi avant le début du soulèvement. L’Occident n’avait en effet pas besoin de créer une révolution pour garantir à Tripoli la création d’un régime prêt à se soumettre à ses intérêts, parce qu’il en avait déjà un.

Depuis 2003, le régime libyen est devenu un proche allié de l’impérialisme occidental ; à cette date, en effet, il avait décidé de renoncer à son «programme d’armes de destruction massive » et de participer activement à la « guerre contre le terrorisme ». Le régime libyen a en effet acheté pour plusieurs milliards de dollars d’équipements militaires de grandes multinationales telles que BAE Systems, de l’Union Européenne et des Etats-Unis.

Le régime a également accéléré le processus de libéralisation économique, vendant ses ressources nationales dont le pétrole et le gaz. Les compagnies pétrolières et de gaz occidentales étaient en effet actives en Libye avant le début du soulèvement.

De plus, en 2008, le régime de Kadhafi a conclu un accord avec l’Italie, dans lequel les deux pays convenaient de coopérer dans la lutte contre l’immigration illégale ; ce « Traité d’amitié » a d’ailleurs été condamné par le Haut Commissariat pour les réfugiés.

C’est donc précisément parce que le régime de Kadhafi était déjà pro-occidental que les puissances impérialistes ont dû intervenir pour prendre le contrôle d’une révolution qui pouvait menacer leurs intérêts.

Les Libyens se sont débarrassés du régime sanguinaire de Kadhafi et ont aujourd’hui un nouveau gouvernement. En soi, cela constitue une victoire indéniable pour le peuple libyen, mais les objectifs initiaux de la révolution et la souveraineté libyenne sont maintenant en danger. Le nouveau gouvernement est en effet fortement influencé par les forces contre-révolutionnaires de l’Arabie Saoudite et du Qatar d’un côté, et des pays occidentaux de l’autre, tandis que le pétrole est distribué aux forces étrangères qui ont participé à l’intervention armée.

Le coût humain de cette dernière a été de plus catastrophique. Le journal britannique The Guardian a indiqué que le nombre de tué·e·s avant l’intervention en Libye oscillait entre 1000 à 2000 pour atteindre 20 000 à 25 000 au jour de l’assassinat de Kadhafi, sans parler des blessé·e·s. L’objectif principal de l’intervention armée qui était de protéger les civils est loin d’avoir été accompli.

L’écrasement simultané de la révolution au Bahreïn et l’intervention militaire en Libye marquent le moment où les puissances occidentales impérialistes et leurs régimes alliés dans le monde arabe ont tenté d’arrêter la propagation et le développement des révolutions. Dans un cas, les monarques du Golfe, avec la bénédiction des Etats-Unis et des autres grandes puissances, ont écrasé le processus révolutionnaire. En Libye les mêmes forces, mais avec la Grande-Bretagne, la France et les Etats-Unis, prenant les devants, ont décidé d’intervenir au moment où le mouvement populaire libyen se trouvait dans une position de faiblesse et de grand danger, pour prendre le contrôle de la révolution.

Effets des révolutions sur la scène palestinienne

Les Palestiniens et Palestiniennes ne pouvaient rester insensibles aux révolutions dans le monde arabe. Leur lutte avait animé pendant des années les mouvements populaires de la région mais, cette fois-ci leur combat pouvait être inspiré par la mobilisation des masses arabes.

Les 15 mai et 6 juin 2011, des dizaines de milliers de Pa­les­ti­nien·nes et d’autres activistes ont marqué l’anniversaire, respectivement de la « Nakba » (« la Catastrophe », où l’on estime que 800 000 Pa­les­ti­nien·nes ont été expulsés en 1948 après la création d’Israël) et de la Naksa (le jour où Israël a occupé les territoires de Gaza, la Cisjordanie, Jérusalem-Est et le plateau du Golan). Ils-Elles ont organisé à ces occasions des manifestations dans les pays avoisinants, qui se sont dirigées vers les frontières de la Palestine.

Ces manifestations pacifiques ont été prises pour cible par l’armée israélienne, causant la mort d’au moins 43 personnes (plus de 20 lors de la commémoration de la Nakba et 23 lors de la commémoration de la Naksa) et faisant plus de 550 blessés (200, le 15 mai et 350, le 6 juin 2011).

L’Occident est à nouveau resté silencieux face à la répression israélienne contre des manifestant·e·s pacifiques.

Cette mobilisation des réfugié·e·s palestiniens est une conséquence directe des révolutions et des soulèvements populaires de la région. La libération des peuples arabes de leurs régimes autoritaires et répressifs est sans aucun doute un pas en avant pour la cause palestinienne et la réalisation de l’intégralité des droits des Palestinien·nes.

Le mouvement du 15 mars et la réconciliation

L’esprit des révolutions arabes a également atteint la Palestine à travers la mobilisation des jeunes Palestiniens et Palestiniennes dans le mouvement du 15 mars, avec pour revendication principale la fin de la division. Ce mouvement doit néanmoins être situé dans un contexte plus large de reconquête de la lutte pour libérer la Palestine.

L’unité politique n’est pas un but en soi, mais une exigence stratégique pour la reconstruction d’un mouvement de résistance. Par conséquent, l’unité politique préconisée dans les mobilisations importantes du 15 mars ne peut pas s’inscrire sous l’égide des « négociations » ou du «processus de paix ».

Les revendications principales du mouvement du 15 mars vont bien au-delà de la fin de la division de la scène politique palestinienne ; elles se concentrent surtout sur la re-démocratisation du Conseil National Palestinien et sur l’établissement de la nouvelle loi électorale incluant tous les Palestinien-nes, c’est-à-dire celles-ceux des Territoires Occupés de la Cisjordanie et la Bande de Gaza, des territoires de 1948 (Israël), des réfugié·e·s et de la diaspora.

Sans surprise, l’Autorité palestinienne et le Hamas ont exprimé leur soutien rhétorique à la fin de la division, tout en réprimant les manifestations à Ramallah et à Gaza par la violence et par des arrestations lors de la journée du 15 mars ; une mobilisation qui avait rassemblé des milliers de Palestinien·nes dans les Territoires occupés et à l’étranger.

La réconciliation annoncée en juin entre le Hamas et le Fatah, mais qui n’est toujours pas réalisée aujourd’hui, a été rendue possible par le contexte régional, en particulier la révolution en Egypte. Cependant, cette réconciliation constitue aussi un moyen pour chaque groupe de se partager le pouvoir, tout en se protégeant contre la menace du mouvement du 15 mars, qui défend un programme populaire de résistance incluant tous les Palestiniens et Palestiniennes à travers le monde.

En effet, le chemin vers la libération de la Palestine implique de prendre en compte tous les Palestiniens et Palestiniennes sans exception et de réaffirmer leurs droits fondamentaux, tels qu’ils apparaissent dans la campagne mondiale de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) :

  • Fin de l’occupation et de la colonisation israéliennes de toutes les terres arabes, ainsi que le démantèlement du mur d’apartheid.
  • Fin du système israélien de discrimination raciale institutionnalisée contre ses citoyen·nes palestiniens
  • Droit pour les réfugié·e·s palestiniens et les personnes déplacées de retourner dans leurs foyers d’origine, comme énoncé par l’ONU, et d’obtenir des réparations.

La révolution permanente 

Les multiples processus révolutionnaires dans les différents pays arabes n’en sont qu’à leur début. Les victoires obtenues par les masses populaires sont indéniables, tous les régimes de la région ont subi les conséquences de cette vague révolutionnaire, et les puissances impérialistes et leurs alliés ont été obligés d’intervenir de manière directe et indirecte pour tenter d’arrêter la propagation de ces révolutions.

Les réactions des puissances impérialistes et de leurs alliés dans la région se sont fait de différentes manières, mais elles ont eu néanmoins le même objectif : limiter le plus possible tout changement de fond, tout en acceptant des modifications superficielles. Cette méthode rappelle l’approche de Tancredi, neveu du prince aristocratique de Salina, dans le roman de Giuseppe Tommasi di Lampedusa Il Gattopardo. Interrogé par le prince sur ses motivations à se battre avec la révolution de Garibaldi contre sa propre classe, la réponse de Trancredi est la suivante : « Si nous voulons que tout reste pareil, il faut que tout change ». L’impérialisme occidental et ses alliés doivent en effet donner l’illusion du changement.

C’est pour cette raison qu’aujourd’hui le slogan de la révolution permanente est plus que jamais d’actualité et prend tout son sens. La continuation de la mobilisation et de la lutte des masses est nécessaire pour réaliser les profonds changements sociaux et économiques souhaités, ainsi que pour assurer les droits démocratiques et l’autodétermination complète.

La réflexion du révolutionnaire français Saint-Just reflète à merveille le dilemme dans lequel se trouvent aujourd’hui les masses populaires de la région :

«Ceux qui font des révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau.».

Joseph Daher

Joseph Daher est un activiste et doctorant à la School of Oriental and African Studies. Membre de l’organisation révolutionnaire socialiste Counterfire. Co-fondateur du blog Café Thawra (cafethawra.blogspot.com)