Gênes

Gênes, dix ans plus tard, nouveaux défis pour les mouvements italiens

Nous publions ci-dessous le rapport écrit « à chaud » par Christophe Aguiton suite aux commémorations des manifestations alermondialistes de Gênes en juillet dernier. Quelques mois plus tard, tout semble se précipiter. L’Italie est au cœur d’une crise économique et sociale abyssale.Dimanche dernier (23 octobre), le gouvernement Berlusconi était sommé par ses partenaires. européens de trouver des solutions pour réduire sa dette publique (1900 milliards d’euro, soit 20% du PIB).

Depuis l’été, ce même gouvernement a égrainé des plans d’austérité toujours plus durs (réforme des retraites, atteintes aux droits syndicaux et au droit du travail, coupes massives dans les services publics, santé et formation en tête, licenciements etc.), et… en a appelé, secondé par la Banque centrale européenne (BCE), à la « responsabilité » des forces d’opposition ; le Parti démocrate (PD) et la CGIL ne sont par ailleurs pas insensibles aux exhortations de cette dernière…..

    Et pourtant, la péninsule est, depuis quelques années déjà, le lieu d’initiatives tendant à réinventer des formes de mobilisation qui prennent leur essor de la rue, des quartiers, des associations et des syndicats indépendants, en un mot du bas. Elles participent du bouillonnement général qui, en Espagne, a pris le nom des Indigné·e·s ; mais elles s’inscrivent aussi dans un sous-sol politique, économique et social proprement italien. Le 15 octobre dernier, journée internationale des « Indigné·e·s », des centaines de milliers de personnes défilaient à Rome, la manifestation la plus importante qu’ait connue la capitale depuis longtemps. Au-delà des violences qui ont scandé son déroulement, cette manifestation est le signe d’une opposition bien vivante, qui cherche à réinventer les conditions d’une résistance, par le bas, au rouleau compresseur de la crise capitaliste.(SP)

Cahier émancipationS du journal solidaritéS numéro 197. Version illustrée, en format pdf, à télécharger en cliquant sur le lien suivant: cahierS émancipationS

br /> AGênes, le mois de juillet 2011 a été consacré à des débats et rassemblements pour le dixième anniversaire des grandes manifestations contre le G8 et de la terrible répression qui les a accompagnées. La conclusion de ces rencontres, organisées par les syndicats, les mouvements sociaux et les forces politiques italiennes a permis de faire le point sur les derniers développements politiques et sociaux. Il a permis aussi de présenter les débats que suscitent l’effondrement du régime Berlusconi, la crise économique et le poids de la dette, ainsi que la vague de mobilisations qui s’apparente aux mouvements des jeunes en Espagne et en Grèce.

Une foison d’initiatives d’en bas

Dès l’arrivée à Gênes et après de premières discussions avec les principaux organisateurs·trices des manifestations de 2001, une réalité importante s’est imposée à nous : l’Italie est très probablement, avec la Grèce, l’un des deux pays les plus politisés d’Europe, ce qui se traduit par deux faits qui pourraient sembler contradictoires : l’existence d’un maillage local et national très serré de mouvements et d’organisations dotés d’une forte stabilité – à commencer par celle de leurs dirigeant·e·s –, et une extrême mobilité de leurs structures dans leurs alliances et prises de position…

En 2011, les forces principales qui avaient été à l’initiative des mobilisations de 2001 sont toutes présentes. Côté syndical, c’est tout d’abord la CGIL 1, principale confédération italienne, proche à l’origine du PCI, et surtout la FIOM, la puissante fédération de la métallurgie, qui a toujours été l’aile gauche de la confédération 2. Ce sont aussi des syndicats indépendants, comme les COBAS 3, plus radicaux que les grandes confédérations, et souvent mieux capables de coller aux revendications de la base.

    Le monde associatif est là aussi, en particulier avec ARCI (Associazione ricreativa e culturale italiana), qui regroupe des milliers de centres culturels et d’associations locales, et Legambiente, la principale organisation environnementale italienne. Sont enfin présents les « centres sociaux », une spécificité italienne: d’anciennes usines ou bâtiments publics inutilisés, investis par des militant·e·s qui les convertissent en centres sociaux où se multiplient représentations artistiques, concerts et rencontres culturelles et politiques qui attirent avant tout la jeunesse. Sur le plan politique, on retrouve toutes les forces situées à gauche du Parti démocrate, à l’époque rassemblées en partie dans Rifondazione Comunista, mais nous y reviendrons.

Gênes 2001: un point de bascule

En 2001, Gênes avait été le point de bascule à partir duquel le mouvement altermondialiste allait devenir en Europe un vrai mouvement de masse. Mais Gênes avait aussi permis aux Italiens d’expérimenter de nouvelles formes d’alliances entre les mouvements implantés depuis des décennies – la CGIL, la FIOM ou ARCI – et d’autres beaucoup plus jeunes qui avaient pris leur essor dans les années 1990, comme les centres sociaux, les COBAS et les syndicats indépendants, et surtout Rifondazione Comunista. Rifondazione avait été créé par ceux qui, dans le PCI, refusaient la social-démocratisation de ce parti, rejoints par ce qui restait des forces issues de mai 1968, et des syndicalistes comme Fausto Bertinotti. Il s’est rapidement imposé comme un parti-mouvement, capable à la fois d’être présent sur la scène électorale et partie prenante des mobilisations au même niveau que les forces syndicales ou associatives.

    À partir de Gênes, les mobilisations vont se développer à un rythme très rapide sur de nombreux terrains: l’altermondialisme avec le Forum social européen de Florence, les questions sociales, les premières mobilisations contre Berlusconi, le refus de la guerre en Irak en 2003, etc. Mais cette vague de mobilisations marque rapidement le pas, vu l’absence de victoire significative sur le plan international : intervention en Irak de la coalition dirigée par les États-Unis, avec participation italienne, et surtout, avancée du néolibéralisme sur les plans politique, économique et social.

    En 2006, la victoire de la coalition de centre gauche dirigée par Prodi, avec la participation de Rifondazione Comunista, va amplifier le recul: après quelques mois d’euphorie pour fêter la défaite de Berlusconi, la coalition va poursuivre une politique similaire sur le plan économique et social, provoquant par là le désenchantement de beaucoup de ceux qui avaient participé aux récentes mobilisations, puis la désagrégation de Rifondazione Comunista…

Remobilisation du mouvement social ?

Une nouvelle phase de mobilisations a commencé dès 2009, avec la conjonction de différentes luttes et campagnes. Sur le terrain de l’environnement et de la défense du bien commun, deux campagnes majeures ont marqué l’Italie, qui étaient très présentes à Gênes cette année : la campagne contre la privatisation de l’eau, avec comme objectif un référendum qui a été largement gagné en juin 2011, et celle des vallées alpines du Piémont contre le train à grande vitesse, la ligne Lyon-Turin, qui a braqué la grande majorité des populations locales. Au cours de ces derniers mois, une nuée de mobilisations ont vu le jour, notamment celle des femmes contre Berlusconi. Sur le terrain social c’est la métallurgie, et donc la FIOM, qui se trouve à l’avant-garde pour préserver ses acquis sociaux. Enfin des luttes étudiantes se sont développées dans toute l’Italie ces deux dernières années.
   
La manifestation de Gênes, le 23 juillet 2011, a été le symbole de cette remobilisation, avec une participation bien supérieure à ce qui était attendu (les organisateurs·trices ont annoncé 30 000 manifestant·e·s), et la présence de toutes les composantes et de tous les fronts de lutte. Mais si tous ceux-celles qui étaient à Gênes se félicitaient de cette remobilisation, trois préoccupations étaient partagées par de nombreux militant·e·s : les nouvelles formes de l’engagement, les alliances à construire entre mouvements sociaux et démocratiques et les stratégies à mettre en œuvre sur le terrain politique.

    Sur le terrain politique, les élections locales de juin 2011 et les référendums populaires qui les ont suivies ont confirmé l’effondrement de la crédibilité de Berslusconi et de son gouvernement : l’opposition de gauche a largement gagné les élections locales et les référendums populaires – contre la privatisation de l’eau, pour l’arrêt du nucléaire et le refus de toute impunité pour Berlusconi – ont non seulement été gagnés à une large majorité, mais ont pu surtout – et c’était là l’enjeu majeur – dépasser la barre fatidique du quorum fixé à 50 % +1 voix, condition sine qua non pour que leurs résultats soient entérinés.

    Mais plus encore que les résultats [participation de 57 % des votant·e·s et plus de 90 % de oui aux quatre questions posées ; cf. solidaritéS, n° 190, NdR], c’est la façon dont ils ont été obtenus qui est remarquable. Pour ces référendums, et en particulier pour la défense de l’eau comme bien commun, partout des comités se sont créés qui ont animé la campagne au niveau local. Pour les élections locales, dans plusieurs villes et régions, on a vu des processus similaires avec des milliers de citoyen·nes, surtout des jeunes, qui se sont investis en imposant des thèmes et des candidat·e·s qui n’étaient pas ceux des grands partis.

Appel à une démocratie directe

À Milan, la capitale économique du pays jusque là acquise à Silvio Berlusconi, ce processus a emprunté la voie des primaires. En Italie, la loi électorale a changé plusieurs fois ces dernières années, et il existe aujourd’hui un système proportionnel par régions qui donne une prime majoritaire à la coalition arrivée en tête de l’élection, tout en gardant une place pour chacun des partis coalisés; chaque électeur·trice vote pour la coalition de son choix et pour le parti qui a sa préférence, ce qui détermine le nombre des sièges au Parlement ou dans les conseils municipaux 4. Depuis le milieu des années 2000, la coalition de gauche et de centre gauche, dominée par le Parti démocrate (PD), a choisi le principe des primaires pour désigner celui ou celle qui sera son responsable, au niveau national comme au niveau local.

    De très nombreux jeunes et des militant·e·s associatifs et syndicaux se sont emparés de cette disposition pour s’approprier l’élaboration du programme de la gauche à Milan, et surtout pour désigner leur responsable. Ainsi, au moment des primaires pour désigner le candidat de la coalition de gauche à la mairie de Milan, c’est Giuliano Pisapia, soutenu par Sinistra Ecologia Libertà (SEL) et la Federazione della Sinistra 5, qui l’a emporté face au représentant du PD. Durant la campagne électorale, rien n’a été épargné à cet avocat très connu en Italie, qui a défendu les militant·e·s inculpés pendant les années de plomb, et qui était encore récemment député de Rifondazione Comunista. Pourtant, lors des élections à la mairie de Milan, bastion historique de Berlusconi, Giuliano Pisapia s’est également imposé face à la maire sortante Letizia Moratti du PdL (Popolo della Libertà).

    À Naples, la grande ville du sud de l’Italie, l’élection a emprunté un chemin un peu différent : le PD a choisi de faire une alliance avec le centre pendant que les écologistes, la gauche plus radicale et des militant·e·s associatifs créaient une coalition menée par le juge anti-corruption Luigi De Magistris. C’est cette liste qui l’a emporté très largement, avec plus de 60 % des voix, alors même que le PD refusait de faire alliance avec elle entre les deux tours…

    Ces exemples ne prétendent pas dessiner la totalité du paysage politique issu des élections locales: le rejet de Berlusconi est tel que tous les moyens ont été utilisés pour battre ses listes, y compris celles menées par les représentant·e·s les plus classiques de la vieille gauche modérée, comme à Turin, où les primaires ont été gagnées par Piero Fassino, ancien leader du PCI parmi les plus en pointe dans la transformation de ce parti en ce qui allait devenir le Parti démocrate… Mais ils présentent d’intéressantes analogies avec les mobilisations des « Indigné·e·s », en Espagne, au Portugal ou en Grèce : une agrégation rapide – et non anticipée par les états-majors politiques – de jeunes et de citoyen·ne·s qui se regroupent dans un souci de transformation radicale de l’état des choses, mais en refusant toute création de structures ou mouvements plus pérennes et en ne s’investissant pas réellement dans celles qui préexistent.

Quels nouveaux mouvements ?

En Italie, des expérience aux caractéristiques proches de ces mouvements ont eu lieu depuis quelques années, pensons notamment aux « Violets » (« Popolo viola » et « Rete viola ») qui se constituent en décembre 2009, lors de la manifestation contre Berlusconi (No-Berlusconi-Day). En 2011, à la différence de l’Espagne, où les citoyen·ne·s et les jeunes se reconnaissant dans les « Indigné·e·s » ne se sont pas directement inscrits dans la campagne de tel ou tel parti, les règles du jeu électoral italien ont laissé des espaces pour un investissement citoyen efficace dans les primaires de la gauche, efficace mais ponctuel et sans lendemain.

    Cette situation pose deux problèmes aux forces situées à gauche du PD, en particulier à SEL, Sinistra Ecologia Libertà (Gauche, Ecologie et Liberté), et  à la Federazione della Sinistra. Le premier est la conséquence du système des primaires. La gauche l’a choisi quand les règles électorales ont donné une prime à la coalition arrivée en tête, ce qui est une incitation forte à concentrer ses voix sur les coalitions susceptibles de l’emporter, à l’image des élections à un tour, comme en Grande-Bretagne, où il est très difficile de se présenter contre le Labour Party car cela favorise les chances des conservateurs.

    Les primaires ont permis dans plusieurs cas une mobilisation citoyenne qui a changé la donne, mais elles ont instauré un continuum entre le PD et les autres courants de la coalition qui obscurcit les différences entre les diverses options politiques et stratégiques. Cet obscurcissement pourrait être particulièrement dommageable en cas de victoire de la gauche aux prochaines élections législatives, le PD se présentant déjà comme le champion du désendettement sans remettre en cause en quoi que ce soit les règles néolibérales, préparant ainsi une politique qui pourrait être très proche de celle de Papandreou en Grèce ou de Zapatero en Espagne.

    Le deuxième problème découle du caractère ponctuel de l’investissement des jeunes et des citoyen-nes dans les élections locales : les partis ne se renforcent pas et ne bénéficient pas de l’apport d’un sang neuf qui permettrait de renouveler les termes des discussions internes, souvent dominées par l’histoire des courants constituants des partis situés à la gauche du PD.

    Au-delà de la description du paysage politique de la gauche italienne, il faudrait faire une analyse plus précise de ces nouveaux mouvements – « Indigné·e·s », « Violets », etc. – qui changent la donne dans de nombreux pays européens, voire sur d’autres continents6. On peut déjà noter trois caractéristiques communes à ces mouvements: des revendications très générales, voire consensuelles (contre la corruption ou pour le droit au travail) qui permettent d’agréger les soutiens de l’opinion publique; un deuxième niveau de discours contre le « système » (le capitalisme, les élites, etc.) et en faveur d’une véritable démocratie ; et un refus de toute délégation qui s’inscrit dans la culture politique altermondialiste, mais en la radicalisant encore un peu plus en en rabattant la légitimité au niveau de l’individu7.

Quel front contre les politiques néolibérales ?

Les mouvements sociaux et citoyens présents à Gênes en juillet 2011 avaient également au cœur de leurs préoccupations les deux éléments majeurs de la situation politique et sociale italienne : la décomposition du berlusconisme et la crise économique. Leur crainte majeure est d’être confrontés à une situation pire encore que celle de 2006, où ils se sont retrouvés paralysés devant le gouvernement de centre gauche de Prodi qui n’avait rompu en rien avec les politiques néolibérales.

    La première préoccupation des mouvements est donc de construire le chemin d’une action commune, ce qui implique à la fois un accord sur un corps minimal de revendications et l’affichage d’une convergence entre forces de nature différente. Le premier obstacle à surmonter est interne au mouvement syndical, où le centre de gravité des grandes confédérations8 s’aligne sur la politique des forces de centre gauche et s’oppose donc à une réelle remise en cause de la politique néolibérale du gouvernement. A Gênes, les discours étaient ainsi notablement différents entre la direction de la CGIL d’un côté, et sa fédération du secteur de la métallurgie, la FIOM, de l’autre… La FIOM se trouve aujourd’hui à l’avant-garde du combat syndical, avec une mobilisation très importante pour la défense du contrat de travail et des acquis sociaux.

    Après une première phase de mobilisation en juillet 2010, et devant la concomitance de celle-ci avec celles que les étudiant.e.s multiplient depuis 2008, la FIOM s’est alliée avec d’autres mouvements, en particulier avec les centres sociaux du Nord-Est9, ce qui leur a permis de faire le lien avec la jeunesse dans un nouveau front : « Uniti contro la crisi, uniti per l’alternativa » (Unis contre la crise, unis pour l’alternative). Plusieurs très grosses mobilisations s’en sont suivies, le 16 octobre 2010, à l’initiative de la FIOM, et le 14 décembre de la même année, où les étudiant·e·s étaient très majoritaires.

    A Gênes, le 22 juillet 2011, l’assemblée « contre la crise » a été la plus importante des réunions publiques avec près de 1000 participant·e·s, et le prochain rendez-vous a été fixé à Rome, le 17 septembre 2011, pour une grande assemblée de mobilisation. Sur le plan revendicatif, la FIOM et les centres sociaux se sont mis d’accord pour réclamer à la fois la défense du droit au travail et la défense du droit à un revenu pour toutes et tous. La difficulté ne porte pas sur les revendications mais sur l’élargissement du front unitaire: beaucoup de mouvements sociaux en Italie, en particulier les plus radicaux comme les COBAS ou les centres sociaux, sont des formations hybrides entre mouvements de masse et courants politiques et, parmi ceux-ci, les centres sociaux du Nord-Est sont très réticents à s’allier à d’autres courants, ce qui ne manque pas de créer des débats et des polémiques…

Défendre l’autonomie du mouvement

Le deuxième souci exprimé par les mouvements est de trouver la bonne distance avec les partis et forces politiques. L’expérience de la collaboration avec Rifondazione Comunista dans les années 2000 reste douloureuse : ce parti avait été accepté comme un « quasi-mouvement », à égalité avec les autres syndicats et mouvements sociaux, à partir des manifestations de Gênes, mais quand le parti a décidé, en 2006, de se joindre à la majorité de centre gauche, au Parlement et au gouvernement, il a exigé des mouvements avec lesquels il travaillait de rompre avec ceux qu’il estimait trop « radicaux ». Une exigence refusée par tous, mais qui a laissé un goût amer et le sentiment qu’il fallait en finir avec une vision utilitariste des mouvements sociaux.

    Aujourd’hui la question est revisitée avec une double préoccupation. La première vise à affronter une situation dans laquelle la gauche mettrait en œuvre une politique d’austérité particulièrement rigoureuse pour satisfaire les marchés financiers et répondre à la crise de la dette; c’est la motivation qui est à la base des débats sur la construction d’un front unitaire entre mouvements.

    La deuxième pose plus de problèmes et renvoie au bilan des élections locales de juin 2011. L’idée, soutenue par des militant·e·s issus de divers mouvements, serait de peser sur le programme de la gauche en s’investissant dans la bataille des primaires pour les législatives en faisant porter le débat non sur le·la candidat·e mais sur le programme politique et social du futur gouvernement.

    A nouveau, la difficulté sera la balance entre l’impact d’un investissement sur la scène politique qui pourrait changer les termes du débat, et le prix à payer pour une association de fait avec des forces politiques qui brouillerait l’indépendance des mouvements sociaux. Avec la difficulté supplémentaire d’avoir un mouvement de masse de citoyen-nes et de jeunes – très présents à Gênes ce mois de juillet – qui seraient les premiers à s’investir dans une campagne de primaires portant sur le programme, mais sans pour autant renforcer les organisations, seules à même de contrôler sur le long terme la réalisation des « promesses » d’un gouvernement de gauche.

    Certains des débats portés par les mouvements sociaux et les forces politiques de gauche sont marqués par les contingences locales, comme le rôle joué par les primaires. Sur d’autres thématiques, on retrouve les mêmes interrogations dans de nombreux pays européens. Comment les nouvelles formes d’engagement militant, à l’image des « Indigné·e·s » espagnols, portugais ou grecs, vont-elles peser sur la scène politique et sociale, et comment pourront-elles s’articuler aux structures plus anciennes que sont les syndicats et le monde associatif ? Comment enfin, question majeure, alors que l’Europe et le monde s’enfoncent dans la crise, trouver les réponses et les revendications adéquates, ce qui est loin d’être le cas, sur la question de la dette en particulier ?

    Il y a en revanche un domaine où les mouvements italiens font preuve d’une maturité probablement supérieure à celle de nombreux autres mouvements européens : leur capacité à anticiper les problèmes que ne manquera pas de poser une éventuelle victoire de la gauche aux prochaines élections et à tenter de construire les alliances à même d’y répondre au mieux.

Christophe Aguiton
Intertitres de notre rédaction ; D’après un rapport d’août 2011, communiqué par l’auteur, et adapté par notre rédaction.


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1    La CGIL était présente aux débats pour les 10 ans de Gênes, mais elle n’avait pas appelé, à la différence de la FIOM et des COBAS, aux mobilisations de 2001.

2    La FIOM était considérée dans les années 1990, à l’époque où Claudio Sabbatini en était le secrétaire général, comme le « 3e parti communiste », à côté de la majorité du PCI qui se transformait en ce qui allait devenir le Parti démocrate et de la minorité qui créait Rifondazione Comunista.

3    Les COBAS (Comités de base) sont nés dans différentes entreprises et secteurs professionnels dans les années 1980, face à des confédérations jugées trop conciliatrices dans leur orientation syndicale. Aujourd’hui, les deux principales forces syndicale sont la Confederazione COBAS dont la force principale réside depuis sa création dans le service public (en particulier les « Cobas della Scuola »), et l’Unione sindacale di base (USB), formée en mai 2010 par le regroupement de plusieurs syndicats indépendants dont les Rappresentanze sindacali di base (RdB), le Sindacato dei lavoratori intercategoriali (SdL), et une partie de la Confederazione unitaria di base (CUB).

4    En 2005, la loi n° 270 modifie le système électoral italien. Voulue par Berlusconi, cette nouvelle loi électorale proportionnelle prévoit une prime de majorité, de 340 sièges, à la coalition arrivée en tête. Dans le cas des élections parlementaires, à la différence des élections communales, régionales et européennes, les Italien-nes ne peuvent voter que la liste de candidat·e·s telle quelle. Ils-Elles sont donc dépendants des choix qu’effectuent préalablement les partis politiques. La bataille pour l’abrogation de cette loi, dite Loi Porcellum (une saloperie), a été lancée depuis plusieurs mois. Plus de 1,2 million de signatures ont été rassemblées sur les 500 000 nécessaires au lancement d’un référendum (NdR).

5    SEL est un regroupement de forces issues de Rifondazione Comunista, comme Nichi Vendola (président du nouveau parti), de la gauche du PD et des écologistes. Il a obtenu autour de 3-4 %, lors des élections locales de 2010/2011, juste devant la Federazione della Sinistra, qui regroupe la majorité de Rifondazione Communista et le Partito dei Comunisti Italiani, fondé par Armando Cossutta, dirigeant historique du PCI, en 1998.

6    Comme au Mexique avec le mouvement citoyen contre la violence et la corruption, lancé par le poète Juan Francisco Sicilia.

7    La culture politique du mouvement altermondialiste se retrouve dans la charte de principe du Forum social mondial qui entend favoriser la pluralité des opinions et des mouvements en refusant toute forme de délégation ou certains s’exprimeraient « au nom » du Forum ; mais la légitimité des prises de position se situent dans les mouvements sociaux, les ONGs ou les associations.

8    Les trois grandes confédérations italiennes étaient historiquement liées aux courants politiques dominants dans l’Italie d’après-guerre, CGIL et PCI, UIL et Socialistes et CISL et Démocrates-Chrétiens. Depuis les années 1960, ces confédérations forment un front commun.

9    Les centres sociaux existent dans toute l’Italie et ils sont animés le plus souvent par des militant·e·s issus de l’autonomie, courant très important dans les années 1970/1980. Ils sont aujourd’hui divisés en plusieurs sensibilités, la plus connue étant celle « du Nord-est », qui regroupe des centres sociaux de tous le pays, mais dont le point de référence reste Padoue avec Luca Casarini comme porte-parole. Les centres sociaux « du Nord-Est », idéologiquement assez proches des positions de Toni Negri, sont connus pour avoir lancé le mouvement altermondialistes des « Tute bianche » (Tuniques blanches), dissoutes en 2001 et dont les militant.e.s ont pour certains conflué dans le regroupement dit des « Disobbedienti » (Désobéissant·e·s).