État espagnol

Y a-t-il une loi trans pourtout le monde ?

Le 16 février, le Congrès des député·e·s espagnol a approuvé la « Loi pour l’égalité réelle et effective des personnes trans et pour la garantie des droits des personnes LGBTI », connue sous le nom de Loi Trans (Ley Trans en castillan). Son approbation a donné lieu à une intense bataille politique dans un contexte de violence croissante et de remise en cause des réalités trans.

Manifestation LGBT en 1977
Première manifestation LGBTQI+ dans l’État espagnol, Barcelone, 1977

Sortir d’un modèle pathologisant

Si nous, activistes transféministes et queer de l’État espagnol, célèbrons l’adoption de la loi trans, c’est parce que ses racines se trouvent dans la lutte inlassable du mouvement trans. Elle est le résultat de la nécessité d’extraire de la vie des personnes trans un modèle discplinaire, médicalisé et violent, incapable de prendre en compte toute leur diversité, et de les reconnaître comme des sujets de droit et autonomes. 

Les processus administratifs soutenant la reconnaissance de l’identité trans en Espagne avaient été préalablement définis dans la loi 3/2007, qui réglementait la rectification du sexe des personnes inscrites au registre national. Cette loi normalisait un processus de tutelle médicale, de psychiatrisation de l’identité et de traitement hormonal obligatoire pour les personnes trans. Ainsi, le diagnostic de dysphorie de genre, le traitement hormonal pendant au moins deux ans et/ou la chirurgie de réassignation sexuelle étaient les mécanismes institutionnels par lesquels une personne trans pouvait être reconnue comme telle par l’État.

Le caractère obligatoire de ces mécanismes, considérés comme la seule façon d’accepter l’identité trans, implique la réification des corps trans, facilitant une lecture fonctionnelle qui garantit leur assimilation dans l’ordre social et dans un genre établi. Un corps trans était donc légalement lu comme un corps déviant, un corps erroné, dans lequel la dissonance entre les lectures sexuées et genrées devait intervenir et être corrigée par la modification médicale du corps. Un refus de ces exigences impliquait la négation de l’identité trans, la marginalisation et l’exclusion systématique des sujets dissidents de la pleine citoyenneté. 

Le droit trans : une politique du corps

L’approbation de la nouvelle loi signifie un changement de paradigme sur les questions trans. Ses avancées en termes de dépathologisation et de reconnaissance des droits des dissidents en font une action de justice réparatrice, qui élargit la vision du spectre trans, reconnaît la diversité des corps et des expressions de genre, et étend le droit à décider sur son propre corps. Ces éléments impliquent une remise en question des bases cis-hétéronormatives et patriarcales qui soutiennent le mode de production capitaliste qui ordonne nos sociétés – la famille, la division sexuelle du travail, la reproduction biologique, etc. 

Sans tomber dans les idéalisations de la norme, la loi trans rompt avec l’exigence implicite d’une correspondance entre les catégories de sexe, de genre et d’orientation sexuelle ; et en même temps, elle reprend le caractère social, historique et situé du genre et donc de la lecture sexuée des corps. La reconnaissance de droits formels permet non seulement aux personnes trans de se rapprocher de conditions de vie dignes, mais aussi de progresser vers des droits pour touxtes, marquant un avant et un après dans les politiques sur le corps. C’est là que réside le potentiel de la loi et l’importance de la victoire politique du mouvement trans et de ses alliéexs, une victoire à défendre bec et ongles contre les offensives réactionnaires, conservatrices et régressives. 

Réforme et révolution

La reconnaissance politique des progrès de la loi trans et sa célébration n’impliquent pas une lecture non critique de la loi ; il faut être conscientexs de ses limites pour pouvoir les dépasser. En ce sens, il est important de garder à l’esprit deux éléments :

1 Les questions trans ne peuvent être réduites aux politiques identitaires : il faut des changements structurels concernant les conditions matérielles liées aux existences trans, pour éliminer les barrières du quotidien. De la santé à l’éducation, des droits du travail à l’accès au logement, etc.

2 La non-reconnaissance des personnes non binaires, la non-prise en compte des droits des mineurexs de moins de 14 ans, la non-reconnaissance de l’égalité des droits des migrantexs trans soumisexs à la violence du droit des étrangèrexs sont de graves carences juridiques. Celles-ci questionnent le modèle cisgenre normativisé, les impacts des politiques frontalières sur les corps des migrantexs dont les droits sont souvent judiciarisés, à défaut de les protéger. 

La loi trans est une loi à célébrer, qui nous permet d’avancer et qui est nécessaire, sans oublier que nous voulons le pain et les roses : nous n’avons pas l’intention de renoncer à quoi que ce soit et nous avons l’intention d’aller bien au-delà de cette loi, parce qu’elle n’est pas suffisante et encore moins quand nous parlons d’améliorer la vie d’un collectif avec un taux de chômage de 80 % dans l’État espagnol. Ensemble et organiséexs, nous rendrons cela possible. 

Joana Bregolat
Traduit du castillan par Clara Almeida Lozar