Uber condamné

Les chauffeurs·euses Uber sont bel et bien des salarié·e·s. C’est ce qu’a reconnu le Tribunal des prud’hommes de Lausanne, dans un jugement du 4 mai pour licenciement abusif. Cette victoire pourrait faire jurisprudence, peut-être dans toute la branche.

Manifestation des chauffeurs Uber à San FranciscoPhoto: David-Bychkov

Cela faisait longtemps que la grogne montait chez les chauffeurs·euses Uber. En cause: leur statut d’indépendant·e affilié·e à un « distributeur de clients », conçu pour libérer la société mère de toute obligation sociale envers ses employé·e·s. Les chauffeurs·euses, complètement dépendant·e·s de la plateforme, se retrouvent néanmoins à devoir payer leurs propres cotisations sociales et leur propre assurance accidents, en plus de l’entretien de leur véhicule. Autant dire que le revenu net n’est pas au rendez-vous, tout comme la sécurité de l’emploi.

C’est justement cette dernière question qui a poussé le tribunal à statuer en faveur du chauffeur. Les courses sont notées par les client·e·s, et les chauffeurs·euses sont avertis, voire « interdits d’accès à la plateforme » (lire: licencié·e·s à effet immédiat sans droit de recours) dès que leur cote descend en-dessous de 4,5 étoiles sur 5. C’est ce qui est arrivé au plaignant quand sa note a atteint 4,3 étoiles, et il a été limogé par SMS sans même en connaître les raisons.

La pression comme standard

En plus de sous-payer ses employé·e·s, Uber les met donc sous une intense pression en leur fixant des standards qualité irréalistes à tenir absolument sous peine de renvoi. Il ne manquerait plus que la plateforme déduise des amendes du salaire des employé·e·s pour que les conditions de travail s’approchent de celles des mines du 19e siècle.

Le chauffeur a obtenu aux prud’hommes deux mois de salaire, ses vacances non-octroyées et un préjudice moral, pour un total de 18 000 francs. Plus largement, la décision pourrait forcer Uber à affilier rétroactivement ses chauffeurs·euses à une caisse de pension et à leur verser leurs cotisations.

Uber va probablement faire recours, tant les enjeux sont gros: son modèle économique dépend entièrement du dumping social permis par le statut d’indépendant. La responsabilité sociale n’est pas rentable, comme dans tous les autres secteurs. Uber n’en est que la manifestation brute, permise par des décennies de néolibéralisme.

Marc Leemann

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SOLIDARITÉ VS UBER

Mercredi 8 mai aux USA et dans de nombreux autres pays, des chauffeurs·euses Uber, comme de son concurrent Lyft, se sont mis en grève et ont lancé un mouvement de protestation concernant leurs conditions de travail et de salaire, à deux jours de l’entrée en bourse d’Uber.

Le « modèle » d’affaires de cette société se base sur de très bas salaires, sur une obligation faite aux salarié·e·s de fournir leur propre outil de travail, sur une forte flexibilisation des conditions de travail, une couverture sociale inexistante et le déni de l’existence d’un rapport salarial avec ses employé·e·s. À ce déni de tout droit du travail, il faut ajouter des montages fiscaux discutables, des amendes par millions dans divers pays pour avoir laissé fuiter les données personnelles de ses client·e·s. Uber a été dénoncé aux USA pour des prêts de type « subprime » proposés à des chauffeurs·euses sans crédit pour que ces derniers·ères achètent une voiture. Ces prêts les amenaient à rembourser jusqu’au double du prix du véhicule ou à voir leur outil de travail saisi pour arriérés.

Les histoires de chauffeurs·euses dont la voiture sert de logis, payé·e·s une misère, sont nombreuses. La branche allie les pires travers du capitalisme sauvage avec une « modernité » dont le graal est l’exploitation de voitures automatiques sans chauffeur.

Malgré ses pertes annuelles se chiffrant en milliards, cette société controversée escomptait écumer de vastes capitaux par son lancement en bourse annoncé depuis des mois, et remplir ainsi ses caisses et les poches de ses investisseur·e·s. Elle visait jusqu’à 120 milliards de dollars mais ce ne sont en fait « que » 82 milliards qui étaient au rendez-vous ce vendredi 10 mai. Et, du vendredi au lundi, la valorisation des actions Uber a plongé de vingt milliards.

Certes, la grève du 8 mai des Uber n’est qu’un début. Mais par sa visibilité mondiale, par la sympathie qu’elle a suscité, par l’apprentissage de la solidarité qu’elle a induit, elle est prometteuse et ce combat mérite notre soutien.

PV

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Genève

Il y a quelques années à Genève, la Lex Maudet sur les taxis était dénoncée par le soussigné, comme une Lex Uber, laissant la porte ouverte aux pires abus, dans un marché concurrentiel problématique où c’est la logique de service public qui devrait plutôt primer. Aujourd’hui, une majorité parlementaire s’esquisse à Genève pour commencer à boucher les trous permettant à Uber d’échapper à ses obligations patronales, mais aussi fiscales. Nous reviendrons sur ces développements dans un prochain numéro. PV