O solo mio...Vous avez dit indépendants ?

O solo mio…Vous avez dit indépendants ?

Avant la crise des années 80, la figure de
l’indépendant réunissait trois personnes en une.
Dans cette trinité laïque, on trouvait à la fois le
paysan, l’artisan et le notable, membre d’une profession
libérale (le «bourgeois» dans l’appellation de
l’ancêtre de l’UDC, le PAB). La révolution du
mode de production enclenchée depuis lors a aussi
bouleversé cette catégorie fourre-tout des
indépendants, qui compte désormais dans ses rangs des
franges plus ou moins fluctuantes du salariat.

En gros, la population active suisse se décompose en 84% de
salarié-e-s, 2% de collaboratrices et collaborateurs familiaux
et 14% d’indépendant-e-s, ce qui représente
557’000 personnes. Parmi ces dernières, on distingue les
indépendant-e-s à leur propre compte (70% environ) et les
salarié-e-s, propriétaires de leur entreprise.
L’importance relative de ces deux catégories évolue
en sens contraire: alors que les petites entreprises ont de la peine
à résister aux longues périodes de déprime
économique, le chômage vient gonfler les rangs des
travailleurs-euses indépendants, certains salarié-e-s
sans perspectives sur le marché du travail créant leur
propre emploi. Cette relation s’inverse lors des phases de
reprise.
ant-e à son propre compte (ou travailleur-euse
«solo») apparaît donc non plus seulement comme un
choix de carrière ou de statut social, mais aussi comme un
bricolage possible pour répondre au rejet du marché du
travail. On voit ainsi que la part des mères de famille est
nettement plus élevée chez les indépendantes (32,
8%) que chez les salariées (27,3%). La possibilité
d’exercer son activité à domicile et donc de
pouvoir davantage concilier vie familiale et vie professionnelle
l’explique certainement. On constate également que la
probabilité de devenir indépendant-e à son propre
compte devient significativement plus élevée chez les
55-64 ans, traduisant les difficultés à retrouver un
emploi salarié à cet âge.

Mais le phénomène le plus marquant de ces
dernières décennies est certainement l’apparition
des pseudo-indépendant-e-s, résultant de
l’externalisation des tâches pratiquées par nombre
d’entreprises. Souvent, les caractéristiques de leur
activité les placent à la frontière du salariat.
Ainsi, près d’un-e indépendant-e sur cinq (soit
73’000 personnes) travaille pour un seul client ou mandant, avec
quelquefois un accord de travail à long terme (24’000). Un
cinquième des pseudo-indépendant-e-s avait
déjà été employé par ce client
(15’000). Un sur neuf recevait des instructions du client quant
à la méthode de travail (9’000) et quasiment autant
recevaient des instructions quant à l’horaire de travail
(8’000).

La plupart des «solos» ont en outre une mauvaise protection
sociale (indemnités journalières en cas
d’incapacité de travail, deuxième et
troisième piliers). Le rapport de l’Office
fédéral de la statistique, dont proviennent ces
données, note que «la
situation financière et sociale de bien des indépendants
semble difficile (…) ils bénéficient nettement
plus souvent que les salariés d’une réduction
cantonale des primes à l’assurance-maladie
».1 Certains solos sont ainsi plus près du chœur des esclaves que de l’Hymne à la joie.

Daniel SÜRI

1    OFS, L’activité indépendante en
Suisse. Une étude basée sur les résultats de
l’enquête suisse sur la population active. Neuchâtel,
octobre 2006.