Révolution féministe et parole retrouvée des femmes
Révolution féministe et parole retrouvée des femmes
Ce texte sappuie sur des éléments de larticle de Marco Spagnoli intitulé «Pour une économie politique des rapports sociaux de sexe», paru dans le journal solidaritésS du 26 avril 2006. La démarche adoptée est dialectique, et non uniquement polémique, dans un souci tout platonicien de recherche de la vérité. Je remercie dailleurs lauteur de larticle en question de me permettre de clarifier par son apport ma propre réflexion
Tout dabord je résumerai brièvement lessentiel de larticle mentionné ci-dessus afin de formuler ce qui pour moi mérite un nouveau débat. Lun des constats avancés est que tant que le système capitaliste gérera les rapports économiques des sociétés, les avancées vers légalité entre hommes et femmes seront bloquées. Les féministes, leurs activités et leurs associations, ne sont, puisque soutenues par ce même système, perçues que comme des émanations du système capitaliste qui les opprime, des soldates au service de la droite, doù leur impuissance à le modifier et à faire valoir leurs intérêts.
Le discours très théorique de cet article contient en filigrane des attaques contre le mouvement féministe, des interprétations fallacieuses des événements de lactualité et nie le chemin parcouru. Avec Madame Badinter (de droite pourtant), Marco Spagnoli nous dit: vous faites fausse route! Pourtant, peut-on ramener ainsi le féminisme à une question dintérêts de classes et en évacuer sans plus de manière laspect domination de genre? Peut-on ainsi faire du capitalisme le grand méchant loup responsable de tous les maux et se disculper en tant que militant-e de gauche de toute responsabilité dans la persistance des discriminations sexistes?
Le texte très théorique laisse supposer quune révolution anticapitaliste, qui permettrait à légalité de faire un bond qualitatif, est la seule porte ouverte à de véritables progrès. Cependant, dans un même élan, lauteur se défend dune simplification hâtive et admet quil nest plus à lordre du jour de penser quil «suffirait dédifier le socialisme car le reste suivrait doffice y compris lémancipation des femmes»; son hypothèse reste que la résistance à légalité est une résistance de classe et non de genre. Mais alors quelle est la solution? Et pourquoi les systèmes socialistes ou communistes, purifiés du spectre capitaliste, nont-ils pas abouti à une égalité de fait entre hommes et femmes?
La voie cubaine et ses limites
Et cest là que jaimerais amener un éclairage non plus politico-économique, mais de genre. Dans cette optique, je partirai dun exemple de système politique socialiste pur, Cuba, et essaierai de montrer pourquoi lidéologie socialiste na pu construire la société idéale que tout le monde attendait, et pourquoi, selon moi, tout réduire à une question de classe est sobstiner à reproduire les erreurs du passé.
La révolution cubaine, révolution de barbus sil en est, comme jusquà présent toutes les révolutions liées à la lutte des classes, a été sanglante, violente, armée: quelle a été la place des femmes dans ce changement brutal de société? Elles ont agi, dans lombre des hommes, ont pris les mêmes armes, ont suivi le même chef charismatique. Elles obéissent maintenant au même dictateur éclairé. Cette révolution sest construite contre, contre le capitalisme, et surtout sans les femmes, et comme toutes les révolutions jusquà présent, dans le sang et la violence.
Lobsession1 actuelle de la parité, qui fait tant sourire ou grincer, participe de ce souci de ne pas faire de la révolution féministe une révolution des femmes contre, contre les hommes. La parité dans tous les domaines est au centre des débats actuellement, parce quelle permet déviter le piège dans lequel les révolutions précédentes sont tombées: la soumission de la réalité à lidée, la soumission de tous et toutes à lidée dun seul. Cette volonté de parité ne doit pas se comprendre comme volonté de prise de pouvoir des femmes (On pourra se passer dune étude sur le «matriarcat», qui en effraie plus dun, semble-t-il, non pas létude, mais le spectre des femmes au pouvoir), mais comme une volonté de partage du pouvoir, partage producteur dune parole plurielle.
Une société basée sur lécoute
La parole retrouvée des femmes (droit de vote, formation, éducation) a permis lémergence de nouvelles exigences dans la lutte pour une société plus juste: lexigence pacifiste, dune part, (Le féminisme ne veut pas seulement construire une société pacifique mais obtenir les changements pacifiquement) et lexigence dune écoute des besoins de toutes et de tous, besoins qui sexpriment actuellement dans les revendications issues des multiples mouvements altermondialistes.
Certes, la construction dune société basée sur lécoute des besoins et non sur la réalisation dun fantasme idéologique prend du temps; le temps déjà de permettre à ceux et à celles à qui la parole, donc la pensée, a si longtemps été refusée, de retrouver ou de construire une rhétorique qui leur soit propre hors du champ de la rhétorique dominante. Dans cette optique, la lutte contre les discriminations de genre parcourt le même long chemin que celles de tous les autres groupes discriminés.
Si la marche vers légalité entre homme et femme est si lente, ce nest pas seulement parce quelle se heurte aux intérêts capitalistes qui la récupèreraient et qui sen nourriraient, (ou par manque sur le marché démenti par la réalité de femmes compétentes, manque quon expliquerait historiquement par laccès tardif des femmes aux formations ad hoc ou par leur récente apparition sur la scène politique), mais parce quelle traîne dans son sillage la marche vers légalité de tous les groupes discriminés dont elle est solidaire.
Acceptons cette lenteur comme le signe dun changement en profondeur dune société qui remet en question le pouvoir dans toutes ses manifestations réductrices et destructrices (patriarcat et violence conjugale, capitalisme et précarité, idéologies de droite et même, bien souvent, de gauche, ainsi que lutte armée). Acceptons le flou théorique, labsence de modèle à proposer, puisque le modèle à venir, en construction, passe par lécoute dune parole plurielle à inventer ou à redécouvrir, aussi par conséquent par la parole des femmes.
Nota bene
Vous aurez compris qu’en filigrane également, je réponds au message implicite de Marco. Sous son apport théorique, j’entends surtout son refus de la visibilité des femmes, de leur indépendance de pensée retrouvée au sein des associations, son refus de la parole des femmes, avec laquelle pourtant il faudra bien compter. Non, les féministes, hommes ou femmes, ne font pas fausse route, et les femmes féministes nont aucune envie de faire marche arrière et de servir à nouveau le café aux mâles révolutionnaires.
Gisèle THIEVENT
1 Il convient de ne pas confondre, comme Marco Spagnoli le fait, lintérêt des médias pour les élections, et la parité qui en était lenjeu, et lintérêt des féministes, qui ne se seraient mobilisées que parce quil y avait du pouvoir à prendre. La parité est un enjeu complémentaire, à mettre sur le même plan et non au-dessus des autres revendications féministes, mais moins chargé démotion pourtant que lenjeu de la violence conjugale et de ses 40 victimes annuelles en Suisse, quarante femmes mortes sous les coups de leur compagnon, ami ou mari, meurtres que le système de domination masculine réduit dune seule voix à lémanation romantique de la passion amoureuse.