Formation professionnelle et continue: au (petit) bonheur des firmes

Formation professionnelle et continue: au (petit) bonheur des firmes

Il est de bon ton dans les salons bernois et bruxellois de se gargariser d’expressions ronflantes comme celle de la «société de formation». ça vous pose son homme, la société de formation (autre variable: la société de la connaissance. Plus chic encore: la société cognitive). Sauf que la formation et le savoir continuent à être distribués selon une division sociale des plus traditionnelles et que rien n’indique un quelconque changement en la matière. Sur son site web, l’Office fédéral de la statistique (OFS), après avoir rappelé que le système éducatif ne corrigeait pas – ou trop peu – les inégalités sociales de départ, explique que «la formation continue sert avant tout une élite» et que «telle qu’elle fonctionne à l’heure actuelle, la formation continue n’est pas un instrument qui sert à compenser les occasions manquées dans la formation de base. Au contraire, elle renforce les mécanismes de sélection existants et accentue les inégalités sociales.» Salariés, femmes et immigrés sont les laissés pour compte de cette politique. A tel point que les cantons s’encouragent mutuellement…à prendre des mesures spécifiques.


Principaux responsables de cette situation? D’une part les pouvoirs publics, qui traînent les pieds et laissent la plus large place à l’initiative privée – et donc à la recherche de rentabilité d’abord. La Conférence des directeurs de l’instruction publique a encore récemment souligné (recommandation du 20.2.2003) que «la place importante occupée par le secteur privé ne doit aucunement être concurrencée par des offres dans l’enseignement public qui feraient double emploi». D’autre part, les entreprises elles-mêmes, qui comme le confirme l’OFS, «investissent de manière sélective dans la formation continue de leur employés». Les plus soutenus? Les membres de la direction (43%) et les cadres (38%). Etonnant, non? Seul un quart (24%) du reste du personnel a trouvé une forme ou une autre de soutien. La formation, c’est pas pour les sous-fifres!


La nouvelle loi sur la formation professionnelle (LFPr), qui entrera en vigueur en janvier prochain ouvre un vaste chantier de réorganisation administrative, politique et financière de la formation professionnelle de base et de ses débouchés. Le principe de la formation duale, pourtant régulièrement responsable de la pénurie de places d’apprentissage au moindre retournement conjoncturel, n’est pas touché. Bien que 17% seulement des entreprises forment des apprenti(e)s – et 15,3% dans le secteur en expansion des services privés – un rôle majeur leur est concédé par de nombreux biais. Par exemple les «procédures de qualification», qui remplaceront les examens, «permettront aux branches économiques et aux écoles de déterminer elles-mêmes les modèles d’évaluation leur convenant.(…) Ainsi l’examen de fin d’apprentissage peut comprendre un travail personnel ayant trait à l’entreprise formatrice et que celle-ci peut diriger en commun avec l’école». (Message du Conseil fédéral). Les fameuses «compétences sociales et méthodologiques» viennent renforcer cette adaptation aux besoins immédiats des entreprises et à leur organisation du travail. Ailleurs, le même message explique, à propos de la formation commerciale: «il devra être possible dorénavant de suivre l’apprentissage commercial à différents niveaux d’exigence, en fonction des besoins du marché du travail et du potentiel des personnes en formation.» Le tableau d’ensemble est clair: l’adaptation des parcours individuels de formation aux demandes à court terme des entreprises, au détriment d’une solide formation de base polyvalente, deviendra la tendance dominante. Il ne restera alors aux salarié(e)s qu’à payer de leur poche leur formation continue, puisque selon le gouvernement, il est de la responsabilité des travailleurs de s’adapter en permanence aux exigences du monde professionnel. A Berne et à Bruxelles, on appelle cela l’apprentissage tout au long de la vie…

(ds)