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Médias : Vous avez dit jounalisme indépendant?

Lausanne Cités revendique son indépendance politique mais se fait surtout le porte-voix de ses annonceurs. Exemple avec son traitement de la polémique sur le deal de rue.

Le 30 mai, le monde libre a poussé un soupir de soulagement. Lausanne Cités échappait – comme le genevois GHI – au rachat par Christoph Blocher de la moitié de ses parts. Tamedia, propriétaire à 50%, comptait vendre ses actions à l’élu UDC reconverti en magnat de la presse. Mais Jean-Marie Fleury, détenteur de l’autre moitié du journal, a pris son courage à deux mains: c’est lui qui a racheté ses parts à Tamedia.

Les habitant·e·s de Lausanne et de ses environs vont donc continuer à recevoir, avec ou sans leur consentement et au mépris des autocollants antipubs, le gratuit local. Et celui-ci ne se changera pas en organe de la droite conservatrice et nationaliste.

Impertinence à géométrie variable

Pour marquer cette victoire, les fidèles lecteurs et lectrices attendaient sans doute que s’affirme au plus vite la liberté de ton dont se targue Lausanne Cités. Le rédacteur en chef en personne s’est chargé de ne pas les décevoir. Dès le 20 juin, Philippe Kottelat s’attaque au «fléau» du deal de rue via un éditorial et une interview, pas moins.

Dans le premier, il vole au secours de Fernand Melgar, injustement traîné dans la boue. Il conclut sur un réquisitoire impitoyable contre «la bien-pensance ambiante».

Mais l’interview est plus savoureuse. Alors que la Société coopérative des commerçants lausannois a engagé une compagnie de sécurité privée pour effectuer des patrouilles antidealers, son président Philippe Bovet répond aux questions de Kottelat.

On se dit que, sans doute, il devra justifier le recrutement d’une police privée, au mépris de l’État de droit. Ou révéler l’objectif assez mystérieux derrière la distribution de 20000 (!) badges «J’aime ma ville, pas le deal».

Première question: «Votre démarche est louable et compréhensible, mais…». On tremble d’impatience après ce «mais»: le rédacteur en chef d’un journal marqué par son «ton impertinent» va mettre l’interviewé face à ses contradictions. Mais l’impertinence n’est pas toujours là où on l’attend et la suite de la question laisse songeur: «…mais elle peut paraître un peu tardive».

Indépendant, mais de qui?

Le reste de l’interview relève de l’encart publicitaire. Et une semaine plus tard, on croit rêver en lisant une enquête sur le sujet: alors que le texte souligne l’inefficacité des patrouilles de police pour lutter contre le deal de rue, le chapeau de l’article parle de «dispositif gagnant». Deux pages plus haut, à propos de la Riponne, un autre journaliste libre et impertinent dénonce la «présence omniprésente [sic] des drogués», ajoutant la finesse du style à celle de l’analyse.

Bref, la liberté de pensée de Lausanne Cités s’arrête au portefeuille de ses annonceurs. Et pour ces derniers, le deal n’est pas un problème de santé publique, mais un enjeu commercial, comme la mendicité. Se prétendant «apolitique», l’hebdomadaire gratuit n’en demeure pas moins la caisse de résonance des entreprises vaudoises, dont les préoccupations sont on ne peut plus politiques.

Échapper au contrôle d’un parti politique n’exclut pas de se soumettre au parti de l’argent. À quand un badge «J’aime ma ville, pas le journalisme aux ordres»?

Guy Rouge