Socialisme et utopie

Socialisme et utopie

«C’est la volonté utopique qui guide tous les mouvements de libération (…)»1
C’est ainsi que Ernst Bloch, dans le Principe espérance,
définit de manière non-orthodoxe et à
contre-courant l’esprit qui anime le socialisme.

Friedrich Engels dans Socialisme utopique et socialisme scientifique
(1880) jetta le blâme de manière durable sur
l’utopie. En effet, celle-ci, selon Engels, quoique ayant
anticipé le marxisme avec des auteurs comme Fourier, Owen ou
Cabet, ne contient encore que les premiers balbutiements d’une
conscience de classe. Sa structure, trop rationnelle et statique,
l’invalide face à la dialectique historique et à la
lutte des classes. Pour Engels, l’utopie ouvrière doit
laisser la place au marxisme, seul outil permettant au
prolétariat d’instaurer une société sans
classes.
Pourtant, selon Ernst Bloch, l’utopie ne participerait pas tant
d’une pensée encore enfantine, mais au contraire serait
avant tout la manifestation d’un espoir, qui se verrait ensuite
reproduit dans des représentations particulières, comme
ce que nous qualifions d’utopies littéraires ou
architecturales.

En ce sens, le socialisme à l’heure actuelle
nécessite une utopie au sens de «idée-force»,
ou «idée-image», à savoir: une architecture
de notions et de concepts qui nous permettra de poursuivre et de
stimuler l’érection de la cité de demain. Le but
poursuivit est de «réenchanter le monde», de
transmettre la foi en un projet socialiste, comme ce fut le cas pour
l’idéal communiste avant la stalinisation de l’URSS.

Il nous semble important de souligner ici, dans une première
approche, les grandes lignes telles qu’elles se
présenteraient dans un monde non capitaliste.

En premier lieu un véritable projet socialiste doit être
écologiste. A l’heure actuelle, il ne semble pas que le
monde capitaliste de la concurrence et de l’intérêt
personnel soit en mesure de véritablement affronter les
difficultés qui nous attendent ces prochaines décennies.
Jusqu’à ce jour, toutes les réunions
multiétatiques qui se sont penchées sur le
problème climatique n’ont fait que décider des
semi-mesures peu ou pas appliquées. L’économie
capitaliste étant une machine à engendrer de la richesse
pour ceux qui la dirigent, elle ne prendra probablement des mesures au
niveau mondial, que le jour où l’ampleur des catastrophes
l’y obligera. A ce moment-là il sera déjà
trop tard pour une grande partie de l’humanité.

L’autre grande tâche qui nous attend est celle de la
construction d’une économie alternative. Sans projet
économique toute volonté de changement est vouée
à l’échec.

Par rapport à cela, le noyau de base à promouvoir semble
être l’autogestion. Néanmoins, il nous faut
également réfléchir aux moyens à mettre en
œuvre afin de répartir la propriété entre
les divers employés des noyaux autogérés, ainsi
qu’à encourager et développer l’initiative
individuelle sans pour autant que celle-ci devienne un vecteur de
l’exploitation et de l’impérialisme ainsi que cela
se passe à l’heure actuelle. Sans oublier également
l’organisation des échanges entre les diverses
entités autogérées, ainsi que les rapports avec
les pays environnants. De ce point de vue, il faut
réfléchir à la question suivante: la conservation
d’une organisation de type étatique est-elle
nécessaire?

L’alternative d’une économie globalement
planifiée n’est plus aujourd’hui défendable.
De par la concentration de pouvoir qu’elle engendre entre les
mains de quelques individus, de par l’ampleur démentielle
et totalement inefficace de l’appareil bureaucratique et
également de par la sophistication matérielle atteinte
par la civilisation actuelle.

L’écologie et l’économie semblent ainsi au
sens large, se dégager comme les deux contraintes fondamentales
dans la construction d’un type de société
différent.

L’idéal poursuivit par un tel projet est toujours le
même, à savoir l’homme. En effet, il est de notre
devoir d’élaborer un monde qui se présente enfin
comme une réelle progression pour le genre humain. De nos jours,
il n’y a dans le marché aucun projet de
société globale, aucune volonté de
réalisation historique de l’humanité. Le capital ne
propose qu’un monde de consommation vide,
d’aliénation, d’apathie, de violence et de haine.

Nous devons enfin mettre un terme à la tyrannie du monde de
l’entreprise capitaliste, c’est-à-dire mettre
à bas le carcan de mesures et de règles sans cesse
renouvelées par les entreprises et qui enserrent nos vies
quotidiennes comme les barreaux d’une cage. Ainsi, un être
humain qui n’a pas demandé à naître,
n’est également pas destiné à suivre une
formation dans le seul objectif de trouver un travail et de gagner sa
vie. Un homme étant né, n’a plus besoin de
justifier son existence. Par contre, il ressent le besoin de lui donner
un sens. Par rapport à cela, le monde capitaliste ne fait que
broyer aspiration sur aspiration, ne présentant que comme seuls
règles valables celles qui sont validées par la
nécessité des patrons.

C’est donc à nous d’imaginer un monde où
chacun pourra enfin choisir l’existence qui lui convient le
mieux, selon ses désirs personnels en perpétuel
changement, sans pour cela avoir à souffrir la moindre
discrimination, qu’elle soit de nature économique,
politique ou sociale. Le bien-être des autres consistant, bien
entendu, la seule barrière à
l’épanouissement personnel.

Helder Mendes Baiao


1    BLOCH, Ernst, Le principe espérance,
trad. de l’allemand par Françoise Wuilmart, Paris,
Gallimard, 1976, (1954), vol. 1, p. 15.