Science fiction et politique: le futur de notre passé

Science fiction et politique: le futur de notre passé

11 septembre 2001, les Twin Towers s´effondrent et le Pentagone est en feu. En regardant les images transmises par les télévisions, une bonne partie de celles et ceux qui ont vu le film Independance Day ou Mars Attacks ont certainement pensé que la réalité rejoignait la fiction… On a souvent vu la science-fiction comme un cinéma qui parle du futur. Rien n´est moins sûr.



Dans un ouvrage récent, «De Beaux Lendemains?», treize chercheuses et chercheurs ont questionné le cinéma et la littérature de science-fiction1. Ce genre populaire a été observé du point de vue de l´histoire, de l´analyse littéraire et musicale, de l´anthropologie, de la sociologie, de l´architecture et de la théologie. Au fil des réflexions, il apparaît que ces mondes imaginaires, éloignés dans le temps et dans l´espace, finissent par ressembler, beaucoup, au nôtre.



Genre littéraire ancien, la science-fiction occupe le cinéma dès que celui-ci fait ses premiers pas. Aux films «à trucs» de Méliès, du début du siècle, suivent les grosses productions des années 20: le soviétique Aélita (1924) où Jakov Protozanov montre comment la révolution d´octobre s´étend à Mars ou encore Métropolis (1926) de Friz Lang qui montre comment accorder travail et capital. Deux films qui illustrent bien comment ce genre populaire tisse un lien étroit avec la politique. En effet, les sociétés hypothétiques, au centre de la représentation du futur proposée par les œuvres d´anticipation, sont construites sur l´allégorie des craintes et des espoirs de l´époque de production. En libérant les auteurs de certaines contraintes spécifiques à d´autres genres – souvent liées à des exigences de mimétisme historique, social et politique – la science-fiction propose des sociétés extrêmes, et fréquemment teintées de manichéisme. Or, ces mondes futurs ne sont pas autre chose qu´une représentation caricaturée et déformée de la société réelle.



Pour cette raison, la science-fiction peut facilement servir d´instrument de légitimation, comme de dénonciation. Le cinéma a parfois tendance à nuancer la critique sociale présente dans de nombreuses œuvres littéraires, ce qui, par ailleurs, ne réduit pas l´analyse des films de science-fiction à la seule recherche de l´idéologie dominante. Certes, celle-ci est particulièrement forte au cinéma. Cependant, parce qu´il est un produit de masse, le cinéma a la particularité de contenir les contrastes et les contradictions au travers desquels se dessinent les enjeux centraux de la lutte pour la définition de la société.



«De Beaux lendemains?» donne l´occasion à Laurent Guido de s´interroger sur les réactions hypothétiques du pouvoir américain face à des menaces de destruction planétaires , cela à travers un genre aux marges de la science-fiction, le film catastrophe. L´article (rédigé avant le fatidique 11 septembre) traverse trois films tournés à la fin des années 90, Independance Day, Armageddon et Deep Impact, et montre comment ce genre de représentation recourt sans retenue à l´affirmation de la domination américaine sur le monde, tout en intégrant une rhétorique teintée de populisme. Dans un monde sous l´emprise américaine, la menace ne peut venir que de l´extérieur de la planète: comètes, astéroïdes et extraterrestres servent alors à activer la «réponse américaine», dont la légitimité repose sur la même idéologie qui justifie les bombardements sur l´Afghanistan.



Mais le lien avec le politique comprend aussi d´autres aspects parfois perçus comme secondaires et pourtant très révélateurs. «Quels sont les enjeux politiques d´une transformation des corps?» se demande Olivier Simioni dans son travail qui porte sur des romans du courant cyberpunk. Si derrière l´image du corps se cache la définition de l´humain, on comprend l´importance d´un tel questionnement, surtout lorsque le physique peut être soumis à des mutations grâce à la génétique. Bien que partant de la littérature, cette approche ne concerne pas uniquement la fiction, car, comme le remarque Simioni, «Ce qui pourrait apparaître comme de simples inventions littéraires est pourtant très proche de ce que l´on peut trouver dans des discours ou projets techno-scientifiques». Finalement l´analyse devient politique puisque -dans la science-fiction comme dans la réalité- le corps flexible, malléable, se trouve à la croisée d´enjeux de pouvoir liés au marché du travail.



Pour 2002, Hollywood nous a concocté les remakes de quelques classiques, parmi lesquels Rollerball et Time Machine. On attend de voir comment ils seront mis à l´idéologie du jour.



Gianni HAVER

  1. Gianni Haver – Patrick J. Gyger, «De Beaux Lendemains?» Ed. Antipodes, 2001
    Dans cet ouvrage, le cinéma et la littérature de science-fiction ont été observés non seulement à partir du point de vue de l´histoire, mais également de celui de l´analyse littéraire et musicale, de l´anthropologie, de la sociologie, de l´architecture et de la théologie. Cette approche interdisciplinaire permet d´ouvrir un vaste panorama où se dessinent des représentations sociales et leurs enjeux politiques.