Catalogne

Catalogne : Autodétermination et droits sociaux

Alors que la répression s’est abattue sur les partisan·e·s du référendum sur l’indépendance de la Catalogne, il nous semble utile de revenir sur le sens à donner au droit à l’auto-détermination. La réaction de Josep Maria Antentas au débat soulevé par le référendum entre Alberto Garzón, coordinateur fédéral de Izquierda Unida (IU), et Pau Llonch des Candidaturas d’Unitat Popular (CUP) nous semble à cet égard particulièrement pertinente. Ses diverses prises de position ont été publiées dans le quotidien électronique Público et reprises en français dans la revue Inprecor (Réd.).


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Concernant le référendum  sur l’indépendance de la Catalogne du 1er octobre prochain, l’échange public de lettres entre Pau Llonch et Alberto Garzón est une bonne et stimulante surprise. Je n’ai donc pas résisté à m’inviter dans cette discussion, espérant ne pas trop m’immiscer et, surtout, ne voulant pas contrarier le camarade Garzón, avec qui j’ai un désaccord fondamental sur le 1er octobre et son analyse de ce qui est arrivé depuis le 11 septembre 20121. En fait, mon article est essentiellement une réponse à ce qu’a défendu le coordinateur de IU, accompagnée de quelques considérations sur le processus indépendantiste catalan et la politique d’Unidos Podemos (alliance entre Izquierda Unida et Podemos, lors des dernières élections espagnoles) sur cette question.

Le débat entre Llonch et Garzón a aussi glissé vers un duel méthodologique. Je ne crois pas que l’opposition entre eux concerne des conceptions différentes de l’abstrait et du concret. Il s’agit plutôt de la capacité de lire politiquement – une question très léniniste, certainement – les conséquences du mouvement indépendantiste catalan. C’est sur cela que je vais me concentrer.

Le processus indépendantiste

Le mouvement  qui a fait irruption massivement le 11 septembre 2012 est le résultat d’une triple dynamique cumulative: l’héritage de l’espagnolisme agressif du deuxième gouvernement Aznar (2000–2004), qui a conduit à l’échec de la réforme du Statut d’autonomie, échec qui a culminé de façon spectaculaire avec la sentence de la Cour constitutionnelle en juillet 2010, sur fond de crise économique et du tournant vers des politiques d’austérité très dures. Sous la direction de l’Assemblea nacional catalana (ANC) (organisation indépendantiste catalane), ce mouvement a été dès le départ construit comme un mouvement démocratique, autour de la revendication exclusive de « l’indépendance », déconnectée de toute proposition de changement du modèle social et de critique des politiques d’austérité.

Sa base sociale est interclassiste, mais il penche vers les classes moyennes et la population jeune ou d’âge moyen. La grande bourgeoisie catalane, comme Llonch l’affirme justement, s’y est opposée dès le début et a tenté de le faire dérailler ou de l’orienter vers une voie de garage, en agissant dans les coulisses. Les doutes de Garzón sur ce sujet ne sont pas pertinents. Cela n’empêche pas de constater qu’une bonne partie des classes populaires catalanes n’ont pas l’indépendantisme comme horizon d’avenir et restent divisées sur ce sujet. Il en va de même des activistes et des militant·e·s de ces classes populaires.

Illusions stratégiques et potentiel démocratique

L’indépendantisme  mainstream a été fondé sur la primauté de la question nationale en tant que cadre d’identité partagée («nous, les Catalans, devons nous unir parce que nous avons des intérêts communs») et dans la primauté stratégique de posséder un Etat comme levier pour décider du modèle du pays («sans un Etat rien ne peut être réalisé»). Cette double primauté – le national et l’Etat avant tout – est complétée par les partisan·e·s d’un changement du modèle économique par une perspective étapiste («d’abord l’indépendance et ensuite nous nous battrons pour le reste»). Cela a formé un mouvement qui a de grandes et solides illusions stratégiques mais, en même temps, un projet démocratique qui s’est heurté frontalement au cadre institutionnel du régime de 1978. Pour la gauche qui lutte contre le capitalisme néolibéral, c’est le point de départ de toute analyse stratégique sérieuse.

Garzón affirme à juste titre qu’il y a «une canalisation populiste de la frustration populaire devant la crise et le capitalisme. Autrement dit: l’indépendance a été également présentée non pas comme un droit démocratique du peuple catalan mais comme la solution aux maux économiques et sociaux subis individuellement». C’est la grande contradiction de la politique catalane contemporaine: une grande partie des aspirations à vivre mieux a été dirigée vers un projet concret, l’indépendance, qui ne les garantit nullement. Mais il est plus facile de faire comprendre les limites de la proposition indépendantiste de voter oui et du processus ouvert en 2012 à partir d’un engagement démocratique et de l’exercice du droit de décider, maintenant concrètement le 1er octobre, qu’en s’en distanciant. En même temps, ses apories n’empêchent pas de reconnaître son potentiel démocratique ni d’essayer de l’approfondir jusqu’à une pulsion constituante qui déborderait définitivement le Partit demòcrata europeu català (PDeCAT) (successeur du parti de droite Convergència Democratica de Catalunya). Le mélange de passivité et de rejet face à l’indépendantisme découlant de la politique de Unidos Podemos et, ce qui est plus étonnant, de celle de Catalunya en Comú, n’aide nullement à dépasser les limites ni à tirer parti de son potentiel.

La politique des CUP

Au cours de ces cinq années , les CUP ont combiné leur engagement dans le processus indépendantiste et l’affirmation d’un programme anticapitaliste. Ils/elles ont cependant joué trop à l’intérieur du cadre de ce processus sans pouvoir lier le contenu anticapitaliste de leur programme avec une réponse stratégique qui, sans sortir de la voie ouverte par ce processus en 2012, leur aurait permis aussi de jouer de l’extérieur et d’aider à redéfinir certaines bornes de l’indépendantisme mainstream. Leurs deux erreurs majeures, qui s’autoalimentaient partiellement, ont été: premièrement, ne mener aucune politique unitaire orientée vers la gauche non indépendantiste partisane du droit de décider au cours des trois moments décisifs: lors de l’émergence du Procès Constituant depuis avril 2013, de celle de Podemos lors des élections européennes du 25 mai 2014, et de celle de Guanyem (rapidement rebaptisé Barcelona en Comú) en juin de la même année. Si les CUP l’avaient fait, la carte de la gauche catalane aurait pu être modifiée.

La seconde erreur a été d’avaliser la séquence 9 novembre 2014/élections plébiscitaires/déconnexion durant dix-huit mois2 qui a essentiellement permis de prolonger artificiellement le rôle dirigeant du PDECAT dans la politique catalane et de tourner en rond durant trois ans.

Placés dans une position difficile à l’issue des élections du 27 septembre 2015, les CUP ont déjoué autant que possible leurs difficultés internes, fruit d’une ligne politique erronée, mais ils/elles l’ont fait en démontrant publiquement leur participation et leur démocratie interne, qui a brutalement contrasté avec le plébiscite autoritaire dans Podemos. Les CUP ont ensuite joué un rôle décisif, comme le souligne Llonch, en ayant reconduit «l’absurde feuille de route» post-27 septembre jusqu’au référendum en tant que catalyseur démocratique.

Le régime de 1978 et la dialectique centre-périphérie

Préoccupé par l’impact  dans l’ensemble de l’Etat espagnol de l’avancement du projet indépendantiste en Catalogne, Garzón se pose la question: «Relancera-t-il les forces de rupture dans le reste de l’Etat ou les conduira-t-il à une défaite alimentée par le renforcement du nationalisme espagnol! » Il n’est pas possible de donner une réponse claire à cette question cruciale, mais on peut dire que la tâche de la gauche espagnole est de travailler pour la réalisation du premier scénario, ce qui implique de combattre dès le début le projet nationaliste espagnol hégémonique et la rhétorique réactionnaire. Plus on cède devant l’argument hégémonique et plus on veut tourner autour du pot des questions épineuses, plus on prépare le terrain pour que le Parti populaire (PP) et ses comparses utilisent l’indépendantisme catalan comme distraction et comme bouc émissaire de leur propre manque de légitimité.

Ce qui est en jeu, c’est de savoir si les forces de gauche, d’ampleur étatique et de matrice fédérale/confédérale, et l’indépendantisme catalan (et tous les indépendantismes « périphériques ») seront capables d’articuler une stratégie commune, partant du respect de leurs projets propres, contre les piliers et les bastions du régime de 1978 et du pouvoir économique. Ou si, au contraire, elles se combattent et s’annulent de cette façon. En bref, le défi est de s’engager dans une complexe dialectique centre-périphérie consistant à la fois à ne pas concevoir les choses à partir du centre ni à s’enfermer dans une fuite périphérique. Cette question stratégique décisive a malheureusement brillé par son absence dans les débats politiques postérieurs à 2011 et 2012 et n’a pas paru trop intéresser ni Podemos et IU, d’une part, ni les CUP et l’indépendantisme mainstream, de l’autre. Dans ce panorama, Anticapitalistas est une exception saine. Précisément, le 1er octobre offre une opportunité concrète pour commencer à explorer les parcours d’action commune. L’argumentation de Llonch tente cette voie.

Nationalismes

Bien que Garzón  souligne qu’il «est absurde de mettre tous les nationalismes dans le même sac», le problème fondamental de son argumentation est qu’en pratique il tend à assimiler la fonction concrète contemporaine des nationalismes espagnol et catalan. «En accordant la même condition abstraite au nationalisme espagnol et au nationalisme catalan, on ne saurait prendre parti préalablement pour aucun des deux», poursuit-il. Dans l’abstrait, pourquoi pas. En termes abstraits, on pourrait imaginer une situation hégémonisée par un nationalisme espagnol démocratique (et de gauche) et un nationalisme catalan ultraconservateur (réagissant, par exemple, à un projet de gauche majoritaire dans l’ensemble de l’Etat).

Mais cela ne doit pas nous faire oublier deux choses liées entre elles: premièrement, la distinction classique entre le nationalisme des dominés et celui des dominants est une boussole politique qui fonctionne souvent comme un bon guide pour s’orienter dans la plupart des cas d’oppression nationale ; deuxièmement, la constatation des fonctions différentes des nationalismes espagnol et catalan sur le terrain démocratique. On peut être ou non nationaliste catalan, mais il faut reconnaître que cela n’a pas été construit sur la base de la négation à quiconque des droits démocratiques, alors que tel est le cas du nationalisme espagnol majoritaire, dans ses versions de droite ou de centre-gauche.

«Je suis convaincu que le nationalisme espagnol a créé des milliers de nationalistes catalans. Mais nous oublions souvent qu’un peuple espagnol existe aussi et que le nationalisme catalan crée autant d’autres nationalistes espagnols», déclare Garzón dans son argumentaire. Bien sûr que la propagande réactionnaire anti-indépendantiste dans de nombreux médias a contribué à renforcer le nationalisme réactionnaire espagnol. Mais cette affirmation oublie que les expériences endurées par les deux nationalismes sont totalement distinctes et que ces réactions ne sont pas de même nature.

Indépendantisme et fédéralisme

En se démarquant  de l’indépendantisme, Garzón rappelle à juste titre que «la défense du droit à l’autodétermination est compatible avec la défense d’un modèle fédéral». Le problème apparaît quand, comme le souligne Jaime Pastor en analysant la politique d’Unidos Podemos, le droit à l’autodétermination est conçu comme toujours lié à une solution fédérale et à une grande réticence à reconnaître le droit à la séparation en tant que tel. Deux problèmes supplémentaires apparaissent dans une telle approche. Premièrement, bien que le fédéralisme soit formellement plurinational, si l’on dit qu’un «Etat fédéral qui reconnaît les peuples et les nations d’Espagne et ne les affronte pas, est une belle aspiration», cette conception du fédéralisme paraît plus typique d’un Etat uninational. Deuxièmement, en relation avec ce qui précède, le fédéralisme est toujours conçu comme le résultat d’une rupture globale du cadre de 1978, en raison d’une nouvelle (et souhaitable) majorité politique au niveau de l’Etat, mais il n’y a aucune réponse pour un scénario d’absence d’une telle majorité et d’une pression de masse depuis la Catalogne afin d’exercer le droit de décider.

Tout cela empêche Garzón de supposer qu’un fédéralisme conséquent en Catalogne peut impliquer, dans le contexte actuel, de voter pour la séparation en tant que préalable d’une volonté de libre adhésion. Le noyau de l’argumentation de Llonch, que Garzón ne partage pas, se résume dans l’affirmation du premier «qu’il n’y a aucune façon possible d’être réellement fédéraliste dans cet Etat autoritaire qui n’impliquerait pas d’être d’abord indépendantiste». En réalité, c’est vraiment le cœur du problème stratégique. L’affirmation de Llonch est pour l’essentiel correcte, même si deux précisions doivent être ajoutées, la seconde plus importante que la première. D’abord, plutôt que «d’être d’abord indépendantiste», il suffit de défendre le oui à l’indépendance lors du référendum. Il ne s’agit pas exactement de la même chose et, pour certains, cela marque une distinction subjective. Deuxièmement, appeler au oui à l’indépendance et s’engager totalement dans l’exercice du droit à l’autodétermination est compatible – malgré l’existence de contradictions programmatiques, tactiques et stratégiques – avec le soutien politique depuis la Catalogne aux tentatives d’articuler une majorité nouvelle autour d’Unidos Podemos, Catalunya en Comú et En Marea (coalition de Podemos, Izquierda Unida et Anova-Irmandade Nacionalista en Galice pour les élections de 2015). Il est possible de voter, et de voter oui, le 1er octobre et d’aller voter pour Catalunya en Comú lors des élections générales. La voie unilatérale catalane et la recherche d’une nouvelle majorité politique au niveau de l’Etat sont complémentaires, même si leurs temporalités sont discordantes.

Des horizons qui bifurquent

L’opposition  entre fédéralisme (et droit de décider) et indépendance a été le principal handicap stratégique de la gauche catalane et, de ce fait, elle a été marquée par une ligne de division profonde. De manière surprenante, personne n’a essayé de formuler un accord stratégique entre les indépendantistes et les fédéralistes partisans du droit de décider, centré autour d’un projet de rupture démocratique fondé sur les revendications de la République catalane et d’un processus constituant. Sur le terrain politique cela a conduit à l’incapacité d’articuler de manière convergente les horizons émanant du mouvement des indignés et du processus indépendantiste, qui ont bifurqué. L’absence de toute réflexion sérieuse sur ce sujet, sauf des exceptions individuelles et minoritaires, dans le monde de Catalunya en Comú (et de Unidos Podemos à l’échelle étatique) et des CUP (et, d’autre part, également de l’Esquerra Republicana de Catalunya (ERC) (parti indépendantiste catalan de gauche) revient à se tirer une balle dans le pied et produit beaucoup de malheurs actuels qui menacent de s’installer en permanence dans un futur qui durera. Le résultat c’est que le PDeCAT bénéficie du gouffre entre le monde indépendantiste et le droit de décider, alors que l’ERC ne subit presque pas de pression pour contrer son alliance avec la droite.

1er octobre

Avant le référendum  annoncé par le gouvernement catalan, il faut faire quelques considérations stratégiques fondamentales. Premièrement, il est très difficile que cela finisse par être le référendum dont la Catalogne a besoin. Mais cela est dû, en premier lieu, à l’attitude autoritaire du gouvernement de l’Etat espagnol. Ne pas commencer le raisonnement par là est insoutenable politiquement. C’est un devoir fondamental de la gauche d’ampleur étatique de mettre cette question sur le tapis. La critique du nationalisme autoritaire de l’Etat est la question incontournable avant de souligner les limites de l’indépendantisme catalan. Il ne s’agit pas d’une formule rhétorique, mais du point de départ d’une orientation politique. Deuxièmement, tout en étant un rendez-vous problématique, le 1er octobre est pour le moment l’unique (tentative de) référendum apparaissant à l’horizon. Unidos Podemos défend correctement l’organisation d’un référendum en Catalogne et travaille pour cela. Cependant, la réalité, c’est qu’il n’existe pas à court ou moyen terme une perspective de pouvoir construire dans le Congrès des députés une majorité dans ce sens. Unidos Podemos s’oriente donc vers la formation d’une majorité alternative au Parti populaire en cherchant une alliance avec le Partido socialista obrero español (PSOE). Au-delà d’une si rapide et si surprenante réhabilitation du PSOE en tant qu’acteur du changement, il est évident qu’un bloc gouvernemental avec le PSOE n’ouvrira pas la voie à l’exercice du droit de décider et à un référendum sur l’indépendance de la Catalogne, mais à la réforme constitutionnelle. C’est quelque chose de très différent. Disqualifier le 1er octobre au nom d’un référendum meilleur qui n’est pas possible maintenant est une stratégie démobilisatrice.

Préoccupé par l’incertitude sur les garanties du 1er octobre, Garzón affirme: «La garantie serait que lorsque le peuple catalan est consulté, il peut exprimer son opinion clairement et nettement, après un débat sérieux et rigoureux. Le droit à l’autodétermination est en fait un clarificateur et c’est pourquoi nous le défendons. Mais pour que ce droit puisse être exercé, il faut des garanties qui n’existent pas dans le cadre du scrutin du 1er octobre». Mais il oublie de préciser que la principale raison de tout cela c’est que, depuis 2012, le gouvernement espagnol a non seulement refusé tout référendum, mais a évité tout débat « sérieux et rigoureux ».

Deux questions se posent alors. La première: devant ce blocage, quelle est la voie la plus émancipatrice? Celle d’une politique passive en Catalogne ou celle d’une tentative de continuer de pousser en avant? Entre une attente indéfinie, dont les seuls moments d’activation seraient de voter pour Unidos Podemos et Catalunya en Comú lors des élections, et une politique de mobilisation soutenue et d’engagement citoyen, je crois que la réponse est claire. La seconde question: si le 1er octobre le référendum dont la Catalogne a besoin ne réussit finalement pas, quelle attitude aide mieux à en obtenir un véritable, une politique attentiste ou un engagement actif pour que le résultat de l’automne soit le meilleur possible? Ce n’est pas la même chose de voir le gouvernement Rajoy sortir indemne de l’enjeu ou de le voir payer le prix fort en le forçant à accumuler des mesures répressives.

Référendum et affirmation démocratique

Lorsque le coordinateur  de l’IU écrit, en se référant au 1er octobre, «que le processus a été dirigé plus comme une arme politique que comme un instrument pour canaliser le conflit, il ne donne pas l’impression qu’il peut contribuer à résoudre quoi que ce soit», il se place dans la position d’un spectateur. Une politique qui est, de facto, celle suivie par Catalunya en Comú et qui se marie mal avec son importance après ses trois victoires électorales consécutives et alors qu’elle gère Barcelone. A la suite d’une orientation similaire, mais d’un raisonnement plus consistant dans le domaine de l’entente plurinationale et de la crise de souverainetés, le secrétaire général de Podemos, Pablo Iglesias, et le coordinateur de Catalunya en Comú, Xavi Domènech, affirment: «La mobilisation du 1er octobre peut être un acte d’affirmation des droits et de souveraineté face à une situation qu’il faut débloquer, compte tenu de l’échec fracassant du PP et de ses pulsions répressives. Dans ce sens, comme mobilisation politique, nous revendiquons sa légitimité et nous appuyons sa réalisation. Mais il y aura un lendemain et nous devrons continuer à travailler pour un référendum qui devra s’adresser à tous ceux qui sont impliqués.»

Il y a là deux problèmes. D’abord, on décrète d’emblée que le 1er octobre est une mobilisation et non un référendum, comme si c’était inévitable et n’avait aucun rapport avec la politique de ceux qui le conçoivent ainsi. En réalité, il serait beaucoup plus raisonnable de faire état du besoin de travailler pour que cela puisse être un référendum, exerçant ainsi une pression sur le PDeCAT (qui se précipite vers le 1er octobre à son grand regret) et sur le gouvernement catalan, tout en avertissant qu’il est possible que, finalement, ce ne sera qu’un «acte d’affirmation de la souveraineté» en raison de l’action répressive de l’Etat. Et préciser que si les choses étaient malheureusement ainsi, cet acte n’aura pas été vain parce qu’il sera une nouvelle étape dans la pression politique pour que le référendum soit accepté par l’Etat.

Décider d’emblée que le 1er octobre n’est pas un véritable référendum et déconnecter la lutte pour l’obtenir de ce qui se passe ce jour-là est dans le fond contradictoire dans ses propres termes avec la politique de ceux qui défendent cette perspective. Le résultat, c’est la passivité de Unidos Podemos et de Catalunya en Comú, ce qui est particulièrement grave dans le cas de cette dernière.

Ensuite, Garzón ajoute une autre réserve: l’absence d’une option fédéraliste parmi les réponses soumises au vote. Cette objection me semble très discutable. Les formulations de la consultation ont leurs racines dans le mouvement de masse qui a commencé en 2012 et dans la majorité politique des indépendantistes. Il est donc normal, que l’on partage ou non leur but, d’assumer que le référendum concerne l’indépendance. Est-ce que cela implique qu’une consultation incluant une option fédéraliste est inimaginable? Non, mais cela aurait un sens si en Catalogne existait une quelconque alliance entre les fédéralistes et les indépendantistes pour une action démocratique commune contre le cadre de 1978 ou s’il y avait une quelconque proposition fédéraliste de la part du gouvernement espagnol. En outre, l’absence de « l’option fédéraliste » sur le bulletin de vote ne signifie pas que cette dernière est « neutralisée », mais qu’elle doit être considérée par ses partisan·e·s comme une proposition postérieure à l’exercice du droit à la séparation.

La question décisive: quel internationalisme?

Nous arrivons  finalement au point stratégique de la plus grande portée, qui transcende à la fois le processus indépendantiste catalan et la question nationale elle-même, bien qu’il ne lui soit pas étranger: quel internationalisme pour notre époque? Trois grandes réflexions s’imposent ici. La première, c’est que tout internationalisme authentique commence par la défense du droit de décider, des droits nationaux des minorités et de la liberté des peuples. Cela confère une responsabilité particulière aux forces internationalistes appartenant aux nations dominantes. La seconde, c’est que tout internationalisme qui a un avenir pose le défi de refonder les formes de coopération et de solidarité pratique transfrontalière et/ou transnationale entre les opprimé·e·s et les exploité·e·s. La troisième, c’est qu’un internationalisme véritable pour le monde d’aujourd’hui implique de (re)imaginer l’idée même de nation en tant que communautés chaque fois plus plurielles, culturellement, linguistiquement ou ethniquement. C’est-à-dire de la concevoir politiquement et stratégiquement.

A juste titre Garzón nous demande de penser «à des formules qui nous permettent de discuter de la rupture démocratique et sociale dans laquelle ceux d’en bas de nos peuples respectifs peuvent coopérer.» Compte tenu du calendrier politique, le 1er octobre semble être une excellente occasion pour la coopération solidaire, dans laquelle le rôle actif de la gauche peut aider à combattre le PP comme à déborder la droite catalane.

Josep Maria Antentas

18 juillet 2017

Article publié d’abord dans le quotidien électronique Publico, puis dans Inprecor, nº 641, titre et adaptation de notre rédaction.

Josep Maria Antentas, professeur de sociologie à l’Université autonome de Barcelone (UAB), fait partie du Conseil éditorial de la revue Viento Sur.

  1. 1 Date de l’immense manifestation – les estimations officielles varient entre 1,5 et 2 millions de manifestants – sous le slogan « Catalogne, nouvel Etat européen », organisée par le mouvement social Assemblée nationale catalane (ANC).
  2. 2 Le 9 novembre 2014 a eu lieu le vote sur l’avenir politique de la Catalogne, autour de deux questions: «(1) Voulez-vous que la Catalogne devienne un Etat? » et «(2) En cas de réponse affirmative, voulez-vous que cet Etat soit indépendant?» Avec une participation de 47,63% des inscrits, une majorité de votants a répondu «oui–oui» (80,76%) et «oui–non» (10,07%), alors que seulement une petite minorité des votants a répondu «non» (4,54%). Les élections du Parlement catalan ont été avancées au 27 septembre 2015. Elles avaient un caractère plébiscitaire après que la Cour constitutionnelle a unanimement déclaré que le référendum du 9 novembre était anticonstitutionnel. Une déclaration commune des principaux partis (CDC et ERC) et mouvements sociaux (ANC et Omnium Cultural) proclamait en mars 2015 une feuille de route unitaire du processus souverainiste catalan, incluant les élections et une déclaration unilatérale d’indépendance au plus tard 18 mois après.