Santé: à qui profite la responsabilité individuelle ?

Santé: à qui profite la responsabilité individuelle ?

L’idée d’une
responsabilisation des malades est un des piliers de l’offensive
néolibérale dans le secteur de la santé. En
janvier, une initiative qui projette de soustraire l’IVG au
remboursement de l’assurance obligatoire a repris habilement
cette ritournelle.

Dans un contexte où les hausses des primes frappent durement les
salarié·e·s au revenu modeste, la manipulation du
thème de la réduction des coûts apparaît
comme une aubaine pour les partisan·e·s d’un
financement de la santé non solidaire. L’argument a ainsi
permis de sceller l’alliance entre néolibéraux et
ultraconservateurs à l’occasion du lancement de
l’initiative « Financer l’avortement est une
affaire privée » qui, selon ses
initiant·e·s, aurait recueilli 60 000 signatures
en juillet.

    Qu’importe en l’occurrence que
l’IVG ne représente que 0,02 % des coûts de
la santé, ce qui ne pèse pas bien lourd par rapport
à une hausse moyenne des primes de 11 % en 2010. En
revanche, un avortement, s’il était soustrait à
l’assurance obligatoire, pourrait représenter un poids
autrement plus conséquent dans un budget individuel,
puisqu’il coûte environ 2 000 francs (cf.
solidaritéS n°165, 25 mars 2010). D’autant que la
forte proportion des femmes migrantes – 55 % des
10 800 avortements du pays en 2008 – amène à
faire un lien entre précarité sociale, qui se solde
notamment par un accès moins aisé aux moyens de
contraception, et recours à l’IVG.

    Ici, on pourrait risquer un parallèle avec
l’obésité, dont l’Organisation mondiale de la
santé (OMS) a montré qu’elle était fortement
surdéterminée par la pauvreté et par un faible
niveau de scolarité : et justement, l’idée a
émergé ces dernières années, jusque dans
les rangs radicaux et démocrates-chrétiens de faire payer
une prime d’assurance maladie plus élevée aux
personnes affectées de surcharge pondérale.

L’UDC en première ligne

Ce n’est pas un hasard si une forte proportion des
initiant·e·s projetant de faire de l’avortement une
« affaire privée » sont issus des
rangs de l’UDC. Outre que ce parti est connu pour ses positions
ultraconservatrices et sexistes sur les questions de
société, l’UDC se fait le champion de
« la responsabilité individuelle »
depuis le lancement, en 2003, de son initiative pour
« baisser les primes » en démantelant
l’assurance de base. Des Conseillers nationaux du parti proposent
même épisodiquement de supprimer le caractère
obligatoire de cette assurance pour ouvrir la voie à la pure
logique marchande des assurances complémentaires : une
motion en ce sens avait ainsi été signée ,en mai
2009, par 29 UDC et 5 libéraux-radicaux.

    Mais comme un contre-projet reprenant la substance
de l’initiative UDC de 2003 a été refusé
à une large majorité en 2008 en votation populaire, il
s’agit à présent de revenir à la charge par
des chemins de traverse : l’initiative sur
l’avortement n’en est qu’un parmi d’autres.

La santé coûte-t-elle trop cher ?

A en croire le discours dominant, les coûts de la santé
exploseraient de façon insupportable et la baisse des primes
passerait inévitablement par des économies drastiques.
Cette réduction des coûts supposerait entre autre une mise
en cause du catalogue de prestations de l’assurance de base. Il
s’agirait d’en finir avec ce que les milieux dominants
appellent avec mépris la
« bobologie », soit un recours
prétendument abusif à l’assurance obligatoire, de
même qu’il y aurait un recours abusif aux autres assurances
sociales.

    Si l’UDC est souvent la première
à user de cette rhétorique, l’ensemble des milieux
bourgeois ne sont pas en reste. Ainsi, de manière symptomatique,
lorsque Couchepin a proposé, il y a quelques mois, une taxe de
30 francs pour chaque consultation, il était bien
spécifié que celle-ci devait être payée en
liquide « afin de ne pas atténuer l’effet
psychologique voulu », comme l’expliquait alors le
message du Département de l’Intérieur…

    En réalité, les coûts de la
santé, quoiqu’en hausse, sont demeurés stables ces
dernières années dans la part des richesses produites
mesurées par le PIB (10,6 % du PIB en 2007 contre
10,9 % en 2002). Ils ne représentent donc pas une charge
en augmentation pour la société. De même, invoquer
les dangers du vieillissement de la population n’est ici pas
pertinent. Selon les statistiques en effet, un homme de 65 ans
aujourd’hui dans un pays où l’espérance de
vie masculine atteint 75 ans est à peu près en même
santé qu’un homme de 55 ans en 1930, quand
l’espérance de vie était de 65 ans. Autrement dit,
l’état de santé évolue grosso modo au
même rythme que l’espérance de vie.

    En revanche, c’est bien le mode de financement
du système qui pose problème, dans la mesure où
celui-ci est assuré prioritairement par les
salarié·e·s (67 %) ; et ce, sans
tenir compte des différences de revenus entre eux. Sans compter
que des secteurs entiers ne sont en réalité pas couverts
par l’assurance de base (soins dentaires, moyens de contraception
justement) ou très imparfaitement couverts (séjours en
EMS). Enfin, les franchises prévues par la très
néolibérale Loi sur l’assurance maladie (LAMal)
– mise en œuvre par la socialiste Ruth Dreyfuss –
alourdissent encore l’ardoise pour les
salarié·e·s.

    De manière symptomatique, en Suisse, le
financement de la santé par l’impôt, qui
garantissait un minimum de progressivité – les hauts
revenus payant plus – est passé de 40 % en 1970
à 27 % en 2004.

    Tant que la santé sera financée de
manière aussi inégalitaire, un boulevard attendra les
partisans d’une médecine à deux vitesses, où
seul l’assuré fortuné pourra tracer son chemin dans
la jungle des assurances complémentaires. Après les
femmes devant recourir à l’IVG, quelle sera la prochaine
cible de leurs initiatives démagogiques : les fumeurs,
les malades psychiques, les sidéens, les obèses ?

Hadrien Buclin