Écologie et égalité sociale : une équation impossible ?

Les rénovations pour rendre les logements plus écologiques sont nécessaires. Cependant, un certain nombre de celles-ci se font au détriment des locataires, surtout des plus précaires. Des votations sur ces questions auront lieu à Zürich et à Bâle.

Militante déguisée en Helvetia avec un panneau solaire
Action commune des Jeunes Vert’libéraux, jeunes évangéliques et jeunes Vert·e·s en faveur de la loi, Zurich, 13 novembre 2021

Les habitant·e·s du canton de Zürich voteront le 28 novembre sur une nouvelle loi sur l’énergie, qui vise principalement à remplacer les chauffages aux combustibles fossiles du canton (au nombre d’environ 120 000) par des systèmes durables. La votation a lieu à la suite de l’aboutissement d’un référendum mené par l’association des propriétaires zurichois et de l’UDC. Mais une acceptation de la loi dans les urnes ne préoccupe pas seulement la droite. Dans le lot des conséquences possibles des rénovations, il faut notamment compter sur des hausses de loyer.

Le porte-parole de l’association de défense des locataires zurichois (Mieterverband), Walter Angst, souligne dans un entretien au journal Le Temps (25.10.21) le risque important d’expulsion. Les lois cantonales de protection des locataires, plus permissives qu’à Genève ou dans le canton de Vaud par exemple, mènent à des milliers d’expulsions par année. Walter Angst fait état d’un tiers de rénovations menant à des expulsions (1500 appartements par an) et relaie les craintes d’une possible crise sociale en cas d’accélération – nécessaire – de ce type de transformations.

Comme le relève le quotidien romand, en se basant sur une étude commandée par la ville de Zürich en 2020, ce sont majoritairement les logements habités par les plus précaires qui entraînent le plus de rénovations, les immeubles les plus vétustes étant souvant les moins chers. Une logique qui oblige jusqu’à un quart des locataires touché·e·s à quitter la commune zurichoise, faute de trouver un nouveau logement accessible (selon une étude de 2017).

La dimension majeure que prend le phénomène a poussé l’Exécutif zurichois à ouvrir la discussion sur l’interdiction d’expulsion pour les propriétaires ayant reçu des subventions pour une rénovation. Il ne s’agirait cependant que d’une mesure cantonale, et l’association des bailleurs zurichois (HEV) menace déjà qu’aucun·e propriétaire ne se risquera à des transformations dans de telles conditions. Le parti socialiste planche quant à lui sur un projet d’initiative pour 2022 visant à contrôler les loyers : ceux pratiqués après la rénovation ou la transformation devront être annoncés en amont et ne pourront pas dépasser un taux de rendement défini.

Possible plafonnement des loyers à Bâle

À Bâle également, un spectre – relatif – hante les propriétaires immobiliers, sous la forme d’une autre votation liant préservation du climat et prix du logement. Une initiative sera également votée le 28 novembre et si elle aboutit, les hausses de loyer suivant une rénovation seront plafonnées.

Ici encore, l’argument économique est avancé par l’association cantonale des propriétaires qui souligne l’effet prétendument décourageant et donc finalement anti-écologique du projet. Le fait que des investissements absolument nécessaires au vu de l’urgence climatique semblent aussi inenvisageables aux propriétaires est à mettre en regard de l’augmentation des prix de l’immobilier suisse. Comme le rappelle le directeur de la banque Raiffeisen Heinz Huber dans un entretien avec la NZZ am Sonntag, ceux-ci ont doublé depuis 20 ans. Une marge confortable de profit.

Un phénomène général

Ces tensions entre mesures pour le climat et intérêts financiers, propres à notre système économique, se retrouvent à travers toute la Suisse. À Lausanne, un problème similaire se pose avec la perspective d’éviction du collectif militant Porno Diesel de la ferme qu’ils occupe à la Blécherette depuis 7 ans, pour construire à la place un lieu dédié à l’agriculture urbaine. S’il n’est pas inintéressant en soi de développer des projets agricoles biologiques, leur réalisation ne doit pas se faire au prix d’expulsions.

À Yverdon-les-Bains la problématique est un peu différente mais rappelons ici qu’une lutte pour le droit à la ville a également lieu : des militant·e·s occupent le site de Clendy-dessous face à un large projet immobilier présenté comme une réponse à la pénurie de logements. Prévu pour être réalisé en partenariat public-privé, celui-ci aura sans doute un effet de gentrification ainsi que différentes autres conséquences négatives (voir solidaritéS nº 397).

Que ce soit à Zürich, Bâle, Lausanne ou Yverdon, nous devons lutter pour une écologie qui ne serve pas d’excuse et qui n’entraîne pas la dégradation des conditions de vie d’une majorité de la population. Au-delà, ces votations rappellent que, comme dans tous les domaines, réaliser une transition écologique socialement juste est impossible sous le règne de la propriété privée des biens communs.

Marie Jolliet