Revenu Minimum de Réinsertion (RMR)

Projet de loi


Revenu Minimum de Réinsertion


En attendant le RMR promis par Guy Olivier Segond, la commission du personnel de l’Hospice Général a proposé ses réflexions dans son bulletin d’avril 98 et de novembre 2000. Nous aurons l’occasion de revenir sur les enjeux analysés par ces contributions. Le texte qui suit développe un point de vue critique sur le principe du RMR, au profit d’un revenu social de type allocation universelle.


Par J.-Daniel Jimenez


En 1994, le Grand-Conseil genevois votait une loi, entrée en vigueur en janvier 95 et sujette à évaluation tous les deux ans, offrant un revenu minimum cantonal d’aide sociale (RMCAS) pour les chômeurs ayant épuisé toutes les prestations fédérales et cantonales. Selon le Ministre de tutelle du département de l’action sociale et de la santé, cette nouvelle prestation n’était qu’un ballon d’essai pour introduire un revenu minimum de réinsertion (RMR) au plan cantonal. Sa volonté: remplacer l’assistance financière et sa dette par un droit individuel contractualisé à un revenu social. Si je peux acquiescer à la 1ère partie de l’énoncé, je redoute l’introduction du RMR compris comme un droit individuel contractualisé.


Depuis 1995, les chômeurs en fin de droits répondant aux critères d’octroi du RMCAS ont l’obligation de fournir une contrepartie. Cette dernière doit s’inscrire dans un cadre non marchand limitée à 20h. hebdomadaires. Ce concept de contrepartie (CP) est présenté comme novateur en travail social. Pourtant, l’assistant social travaille avec un contrat social, souvent verbal et inscrit dans une relation de confiance avec des outils méthodologiques propres à permettre l’évolution des personnes sollicitant l’aide des services sociaux, est partie intégrante de l’intervention sociale. Le demandeur, pour sa part, doit agir sur son environnement. Chacune des deux parties est porteuse et actrice du projet social. La notion de CP est très réductrice. Elle conduit à ne prendre en considération la personne que sous l’angle de sa capacité à se réinsérer et établit un rapport mercantile (un client) avec une personne nécessitant une prise en compte plus globale (un être humain). Le bénéficiaire signe un contrat. Il doit respecter toute une série de règles assimilées au contrat de travail sans en percevoir les avantages. Il doit prouver son «employabilité». Par ailleurs, la loi ne prévoit aucune obligation de l’Etat de proposer une CP à chaque bénéficiaire.


«Employabilité»


L’institution utilisatrice n’a aucune obligation d’apporter un accompagnement formateur qualifiant aux bénéficiaires pour augmenter leurs chances de retrouver un emploi. Il n’y a pas non plus de contrainte dans la durée d’utilisation de cette main d’oeuvre à bon marché. Ce système a permis à toute une pléiade de services de l’Etat et de secteurs subventionnés de trouver un moyen de suppléer aux baisses d’effectifs et de subventions qui ont prévalu durant les années 90.


Certains services de l’Etat ont les mêmes personnes en CP depuis l’ouverture du RMCAS. Sans elles les services se-raient incapables d’assumer leurs missions de services publics. A l’origine, les CP devaient apporter un plus qualitatif mais ne pas suppléer des postes de travail existants! Affirmer que ce nouveau système est dynamique est faux. Il s’inscrit dans une dynamique de l’exclusion dans la durée. Des personnes qui fournissent des CP depuis cinq ans à raison de 20h. par semaine ne cotisent plus, par exemple, au 2ème pilier, ni à la caisse de chômage pour s’ouvrir de nouveaux droits. A ceci s’ajoute la mise en concurrence des divers types de contrats se côtoyant sur les lieux: salarié, occupation temporaire, astreinte au service, bénévole et contre prestataire. Ce système produit du dumping salarial.


Un certain nombre de bénéficiaires sont prêts à accepter des emplois précaires, mal rémunérés pour échapper au contrôle social produit par le RMCAS.


A mon sens, dès le départ ce service avait un défi à relever dans une société qui produit de l’exclusion. Celui d’élaborer des activités répondant à des besoins sociaux non satisfaits. Ces besoins sont pour la plupart dus à des facteurs comme la dégradation de notre environnement naturel et social, le développement des zones urbaines. Il n’est pas question de créer de nouvelles formes de domesticité mais bel et bien de concevoir des activités compensatoires qui, par volonté politique, déboucheraient sur des nouveaux emplois salariés. Il est important d’écouter le constat des bénéficiaires qui après quelques mois d’activité de CP ne trouvent plus la motivation nécessaire pour s’investir car l’activité proposée n’est qu’une voie sans issue.


Est-il judicieux d’introduire à Genève un RMR si ce dernier est calqué sur le principe du RMCAS? L’Etat n’ayant aucune obligation de fournir une CP au quatre milles bénéficiaires de l’aide sociale, le système offrira des activités aux plus «compétents» (au sens de «l’employabilité») et laissera dans la marge les moins «qualifiés». Ce constat, déjà relevé par l’Institut Ressources chargé de faire la première évaluation de la LRMCAS, personne n’a cherché à y donner une suite. Un élément aussi essentiel dans un processus d’exclusion ne méritait-il pas d’être analysé?


Contrat social


Par ailleurs, vouloir présenter le RMR comme un système dynamique en prétendant que l’assistance publique est «un système passif»(1) n’est pas très respectueux de l’ensemble des collaborateurs de l’Hospice général oeuvrant à une cohésion sociale de par leur action et leur professionnalisme. «…l’assistance publique est un instrument d’action sociale destinée :



  • a) à garantir à chaque intéressé des moyens minimums d’existence;
  • b) à maintenir et accroître l’autonomie de toute personne aidée.

L’aide financière ne doit pas être dissociée de l’aide sociale: ces deux formes d’action concourent à la promotion de l’autonomie et de l’intégration sociale des intéressés, à laquelle ceux-ci sont appelés à participer activement (contrat social)…».(2)


Comment cet instrument d’action sociale est-il passé d’un état actif à un état passif? L’Etat s’est désengagé d’une politique sociale volontaire d’intégration pour se soumettre aux impératifs de l’économie de marché. Par ce retrait, il démontre qu’il renonce à supprimer les causes de l’indigence et donc contribuer à créer une place respectueuse et digne pour chacun. Sa mission se réoriente vers un contrôle social des plus démunis en prétextant l’assèchement des deniers publics.


Formation au rabais


Le droit individuel présenté comme un système novateur n’est qu’une réminiscence de la Genève protestante du XIXème siècle considérant les plus démunis comme des oisifs risquant de sombrer dans le vice par l’inactivité. On leur proposait donc une activité en contre partie du gîte et du couvert. Ici, j’affirme que ce système novateur n’est qu’une célébration moralisatrice de la responsabilité individuelle directement en lien avec un Etat libéral, conservateur et paternaliste. Il ne cherche plus à prévenir les risques de paupérisation par des moyens de réinsertion mais il soumet les populations au bénéfice de l’aide sociale à un contrôle social accru.


J’en veux pour preuve qu’il est octroyé un droit individuel que la personne doit défendre et justifier à chaque instant, mais est-elle réellement la seule responsable de sa situation économique, sociale, culturelle et affective?


Accorder un droit à un revenu social est un devoir moral reconnaissant la responsabilité individuelle et collective de notre société dans l’exclusion qui touche les personnes au bénéfice de l’aide sociale, mais elle devrait conduire à octroyer un droit non remboursable et non contractuel. Je suis certain que le futur projet de RMR n’apporte aucune réponse aux changements structurels que connaît notre société conduisant une partie de la population à solliciter l’aide sociale.


Repenser l’assistance publique est peut être l’occasion pour Genève d’octroyer un droit individuel et sans CP à chacun de ses résidants (revenu de «vagabondage», allocation universelle). Cet angle de vision novateur et précurseur permettrait de retirer au travail salarié sa place centrale dans la vie de chaque individu dans notre société industrialisée et consumériste. Je pourrais multiplier les exemples démontrant la pertinence de ce modèle tout en concédant que le versement de la prestation financière n’enlève rien au phénomène d’exclusion. Cependant, il permet au travailleur social de se décharger de la corvée du contrôle social pour se vouer entièrement à l’accompagnement social que nécessitent les phénomènes d’exclusion et de marginalisation. Elément important, cette utopie doit être liée et promulguée par un Etat social fort.


Dès lors, la notion de droit s’entendrait en tant que droit universel au logement, à la santé, au travail et aux ressources, à la satisfaction des besoins de base. Pourtant, dans le projet de RMR, il n’est question que du droit juridique individuel de recourir contre des décisions prises par le service dispensant des prestations. Notons que les réclamations formulées par les bénéficiaires contre des décisions du RMCAS sont à adresser au Président du Conseil d’administration de l’Hospice général, institution dirigeant le service du RMCAS!


Il y a quelque temps l’association Marge se créait à Genève. Elle revendique un revenu universel pour chacun. Elle se profile aussi en mouvement de défense des bénéficiaires du RMCAS. Elle peut être un lieu de ressource où les «sans-emploi», les «sans voix» auront un lieu nouveau d’écoute et de défense.


Enfin, si le RMR voit le jour, il devra être dispensé par des travailleurs sociaux nommés. Je suis issu de cette profession et ma formation m’a permis de développer les outils méthodologiques nécessaires à interroger la société dans son fonctionnement et ses dysfonctionnements. C’est grâce à ceux-ci et à l’écoute des besoins des personnes que je côtoie au quotidien que les systèmes et modèles d’intervention et de prévention sociales liées aux risques de paupérisation peuvent être développés et créés.


Un contrôle social humiliant


Pour conclure, le projet de loi RMR ne peut être déposé et voté sans un réel débat de société sur l’état social que nous voulons. La transformation de l’assistance publique en un droit individuel contractualisé à un revenu social n’est pas qu’un simple exercice de suppression de la dette d’assistance. Il concernera une part grandissante de la population et les dernières études sur la pauvreté le confirment. Il s’agit donc d’un changement en profondeur dans l’intervention sociale et la prise en charge des exclus de la prospérité. L’intervention sociale doit-elle s’inscrire autour d’un contrôle social humiliant pour en contrepartie être contraint d’exercer une sous-activité ou une formation au rabais, ou doit-elle pro- mouvoir une place digne pour chacun de nous dans cette société mercantile et individualiste?



  1. Balises, lettre d’information du Département de l’action sociale et de la santé – N°13 – 31 août 2000.
  2. Balises, N°8 – 6 mai 1996.