Finances fédérales

Finances fédérales : Baisser de moitié l'imposition des grandes entreprises...

Depuis son rejet, le 12 février dernier par 59,1 % du corps électoral, la troisième réforme de l’imposition des entreprises (RIE 3) a subi un check up. Selon le Conseil Fédéral, un changement de nom et quelques réglages devraient suffire à relancer la machine. Pour nous, c’est toujours et encore non.


Présentation des recommandations de l’organe de pilotage pour le PF 17, le 1er juin 2017

Au lendemain de l’échec de la RIE 3, l’Union européenne (UE) et l’OCDE ont assuré la Suisse de leur compréhension. Le report de l’abolition des statuts spéciaux des holdings et autres sociétés de domicile, qui bénéficient d’une imposition extrêmement faible, pourra attendre 2020.

Des différences minimes

Le Conseil fédéral avait profité de la RIE 3 pour permettre aux cantons de baisser massivement la fiscalité de toutes les entreprises et de renforcer la concurrence fiscale intercantonale. Au lendemain de son échec, il disposait de près de 2 ans pour revoir sa copie, et il n’a pas chômé. Au printemps, son groupe de pilotage a élaboré une solution de rechange (PF 17).

Globalement, la première version de PF 17 maintient l’architecture de la RIE 3: suppression des statuts fiscaux privilégiés des holdings et sociétés de domicile, baisse massive (à la discrétion des cantons) de l’imposition de toutes les sociétés et introduction d’un nouveau kit de déductions. Ces dernières ont été légèrement recadrées et les compensations ont été revues à la marge (cf. encadré).

Comment fâcher tout le monde?

La tactique du Conseil fédéral est évidente: ne rien toucher à la RIE 3 et lui trouver un emballage plus vendeur (nouveau nom, renonciation à la NID, taxation légèrement accrue des dividendes et petite hausse des allocations familiales). La manœuvre mise sur l’affichage pour faire bouger les lignes et rassembler un front plus solide.

Pour amadouer le PSS et les directions syndicales, on a misé sur les 30 francs de plus aux allocations familiales (qui ne concernent que les cantons où elles sont faibles) et sur une petite limitation de l’exemption d’impôts sur les dividendes des gros actionnaires. Cela suffira-t-il? C’est possible.

En revanche, ces deux mesures ont mis le feu aux poudres à droite. L’USAM et l’UDC sont partis en croisade contre elles, parce que les actionnaires des PME se sentent doublement sacrifiés sur l’autel des plus grandes sociétés: par une imposition accrue de leurs revenus et par une hausse de leurs charges, aussi modestes soient-elles. Ces milieux brandissent déjà la menace du référendum.

Foyers de discorde dans les cantons

Du côté des cantons, le consensus est aussi loin d’être atteint. Tout d’abord, ils exigent le maintien de l’augmentation prévue de leur part au produit de l’impôt fédéral direct (IFD), tel que prévu par la RIE 3, soit de 17 % à 21,2 %, et non à 20,5 %. Ensuite, ils s’inquiètent des effets des ajustements proposés par le Conseil fédéral sur leurs recettes.

L’abandon de la NID pose problème aux grandes sociétés zurichoises, qui entendaient jouer à fond sur le nouveau kit de déductions, dans un contexte où leur canton ne propose pas de baisser ses taux autant que Genève ou Vaud. Et comme leur grogne menacerait tout l’édifice, la Conférence des directeurs cantonaux des finances a plaidé récemment pour la réintroduction facultative de la NID au niveau cantonal…

A Genève, on s’inquiète de voir le taux réduit de l’imposition du capital ne plus concerner les prêts intragroupes, une inflexion de PF 17 qui froisse le Groupement des entreprises multinationales (GEM), largement dominé par les sociétés à statuts spéciaux, qui pèsent ici plus lourd qu’ailleurs. Et ainsi de suite.

Le banco des Vaudois

Plus grave encore pour l’équilibre de l’Arc lémanique, le canton de Vaud vient d’annoncer qu’il introduirait les baisses d’impôts et les compensations annoncées dès le 1er janvier 2019, soit un an avant l’adoption prévue de PF 17 au niveau fédéral. Il peut le faire, puisqu’il s’agit de mesures cantonales, même si la facture s’annonce très salée. Ainsi, sa planification financière prévoit un bond de sa dette cantonale de 0,5 milliard en 2017 à près de 4 milliards en 2021.

A défaut d’une introduction de PF 17 au niveau fédéral, la hausse de l’imposition des sociétés à statut vaudoises n’est pas envisageable (sauf sur une base volontaire), tout comme la participation accrue du canton au produit de l’IFD. Tout ceci met bien sûr en rage les autorités genevoises qui, avec une dette de 12 milliards et un déficit de 180 millions de leur projet de budget 2018, n’ont pas les moyens de faire un tel cadeau fiscal à leurs grandes entreprises sans contrepartie.

On le voit, les artisans de PF 17 devront encore mettre de l’eau dans leur vin, et remettre du vin dans leur eau, avant d’arriver à un compromis jouable. Mais le breuvage sera-t-il prêt à temps et toujours consommable? Cela n’est pas certain, en dépit des formidables intérêts en jeu. Le Conseil fédéral publiera son message aux Chambres en mars-avril et celles-ci en débattront en juin, pour une adoption au mieux en septembre 2018. Tout est donc encore possible, mais une chose est sûre: un second échec de la réforme de l’imposition des entreprises ouvrirait une crise politique sans précédent.

Jean Batou


RIE 3 et PF 17: quelles différences?

Cadrage plus serré du nouveau kit de déductions:

Pas de déduction des intérêts notionnels (NID) ;
Limite des déductions des dépenses de R & D aux dépenses de personnel ;
Pas de réduction de l’imposition du capital sur les prêts intragroupes ;
Plafonnement des déductions à 70 % des bénéfices déclarés.

Compensations actualisées:

Part des cantons à l’IFD (aujourd’hui 17 %) haussée à 20,5 %, au lieu de 21,2 % ;
Exemption d’impôts plus limitée (30 %) sur les dividendes des gros actionnaires ;
Allocations familiales relevées de 30 fancs ;
Garantie de la prise en compte des recettes des communes.