Afghanistan : un bourbier de plus en plus régional

Afghanistan : un bourbier de plus en plus régional

Ainsi donc Harmid Karzaï,
l’ancien président afghan, a été
réélu par défaut. Celui qui avait bourré
les urnes lors du premier tour et que beaucoup appelaient
« le maire de Kaboul » pour indiquer la
surface réelle de son pouvoir, sort toutefois affaibli de ce
scrutin. Son adversaire, l’ancien ministre des Affaires
étrangères, Abdullah Abdullah, est
l’héritier du défunt commandant Massoud, le
« Lion du Panshir », symbole de la lutte des
Tadjiks. La dissidence d’Abdullah prive Karzaï
d’appuis dans le Nord; ailleurs, ses alliances sont incertaines,
tenant aux montants alloués ou aux prébendes offertes.
Hamid Karzaï n’a pas hésité à faire
ami-ami avec Gulbuddin Hekmatyar, chef de guerre sanguinaire, premier
parrain militaire de Ben Laden, considéré comme un
terroriste par l’OTAN. Ce genre de soutien est évidemment
susceptible de se retourner au gré de l’évolution
du rapport de forces.

    Isolé, Karzaï l’est d’autant
plus que la corruption règne en maître dans le pays et que
son gouvernement n’est pas le dernier à en profiter. Le
propre frère du président est soupçonné
depuis longtemps de couvrir, sinon d’organiser, une partie du
trafic d’opium. Récemment, le New York Times a
affirmé que Wali Karzaï était aussi appointé
par la CIA.

    L’affaiblissement du président afghan,
c’est aussi celui de la stratégie occidentale dans la
région. Sous la direction de l’OTAN, la force
internationale, censée contribuer à la stabilisation de
son régime, se retrouve souvent en première ligne des
combats. En perdant leur 224e soldat, les Britanniques ont eu plus de
tués en  Afghanistan que durant toute leur intervention en
Irak. Au fur et à mesure de l’intensification de la
guerre, c’est la population civile qui souffre le plus. Entre le
premier semestre 2008 et celui de 2009, les pertes civiles ont
augmenté de 24 %. Les prétendus libérateurs
occidentaux sont de plus en plus perçus comme une armée
d’occupation. Si les forces de l’OTAN jouent le rôle
de de supplétifs des Américains, ceux-ci sont
aujourd’hui militairement à la croisée des chemins.

    Soit ils poursuivent, dans la logique des premiers
renforts envoyés par Obama, leur tentative de vaincre
militairement les talibans et leurs alliés locaux. Cela
impliquerait, comme le demande l’actuel chef du corps
expéditionnaire US, le général Stanley McChrystal,
un renfort supplémentaire de plusieurs dizaines de milliers de
soldats, s’ajoutant aux 69’000 présents. Cette
option contre-insurrectionnelle, cette
« pacification », sera coûteuse en
hommes et destructrice pour la population.

    Soit ils se rallient à la solution
préconisée par Joseph Biden, le
vice-président : frapper les zones tribales
pakistanaises, zones de repli des talibans et repaire supposé
d’Al-Qaida. Ce qui signifie multiplier les opérations
commandos dans la région, utiliser systématiquement les
drones de tout type, multiplier les bombardements aveugles et mettre en
péril le jeu d’alliance et de répression complexe
par lequel le régime pakistanais entend garder sous
contrôle relatif les zones frontières. La
déstabilisation ne toucherait plus seulement Kaboul, mais toute
la région « AfPak ».

    En perte de vitesse dans son pays, où son
parti vient de perdre deux élections aux postes de gouverneur,
le président Obama devra choisir. Quelle que soit son option, la
victoire – si victoire il peut encore y avoir – sera longue
à venir. Pour l‘obtenir, il faudra calmer le jeu ailleurs,
quitte à renier son propre programme, comme dans le cas de
l’exigence de l’arrêt de la colonisation
israélienne en Palestine, où Hilary Clinton a fait
ouvertement marche arrière. Obama va s’engager dans une
guerre qui deviendra de plus en plus impopulaire et qui depuis huit ans
qu’elle dure, n’a toujours pas débouché sur
un résultat tangible, sinon celui du renforcement des talibans.
Quant à retrouver Ben Laden…

    Peu à peu, aux Etats-Unis mêmes, la
distinction habituelle entre la « mauvaise »
guerre, celle de l’Irak, et la
« bonne », celle de l’Afghanistan,
s’estompe. A preuve, la décision de plusieurs composantes
du très diversifié mouvement antiguerre, qui se relance,
d’inclure désormais le deuxième pays dans leurs
préoccupations. Elles ont pris conscience de la portée
réelle des propos que le dernier « prix Nobel
d’encouragement » a tenus dans son discours devant
l’Assemblée générale des Nations Unies, fin
septembre 2009 : « Chaque nation doit le
savoir : l’Amérique agira selon ses valeurs et elle
dirigera par l’exemple ».


Daniel Süri