10 000 employés-e-s d'UBS sacrifiés sur l'autel du profit

En 2008, les autorités fédérales décident par décret – c’est-à-dire sans décision parlementaire préalable – de renflouer UBS, au bord de la faillite : 40 milliards de créances « toxiques » sont rachetées par la Banque nationale suisse (BNS), et la Confédération accorde à UBS un prêt de 6 milliards. La « classe politique », en contrepartie, jure que désormais, une surveillance plus étroite des instituts financiers sera instaurée, couplée avec une loi garantissant une plus forte régulation du système bancaire. Peu après, un premier signe indique qu’il y a loin de la parole aux actes : la Confédération se défait au plus vite de sa créance de 6 milliards, la partie pourtant rentable du sauvetage d’UBS, dans la mesure où le prêt a été accordé à un taux d’intérêt de 12 %; en outre, ce prêt aurait pu permettre aux autorités d’exiger une représentation au Conseil d’administration de la banque, premier pas élémentaire vers une surveillance accrue des activités du géant financier. Trois ans plus tard, les promesses de régulation accouchent définitivement d’une souris, sous la forme d’une ordonnance relevant légèrement le niveau de fonds propres des banques « trop grandes pour faire faillite » (en l’état : UBS et Crédit Suisse). Toute régulation plus poussée aurait pu, selon le Message du Conseil fédéral, nuire à la compétitivité de la place financière suisse. A ce titre, même l’initiative du populiste schaffousois Thomas Minder « contre les rémunérations abusives» est combattue par le gouvernement.

     Cette complaisance du Conseil fédéral permet au géant bancaire de fonctionner comme avant, comme l’illustrent deux épisodes récents. Premièrement, UBS a fait un retour tapageur sur le marché des « subprimes », ces crédits immobiliers pourris à l’origine de la crise de 2008. Il s’en est vendu pour 7 milliards de dollars rien qu’au mois de septembre 2012, selon les données collectées par l’agence Bloomberg: soit le même volume qu’en 2007. Quand bien même la BNS n’a pas encore réussi à se débarrasser de quelque 15 milliards de titres pourris issus des « subprimes » avec lesquels jonglait UBS avant 2008, la banque compte aujourd’hui parmi les institutions financières les plus agressives dans ce secteur: en mai dernier, sa division d’affaires écoulé sur les marchés un immense paquet de crédits « subprimes », baptisé UBS-B Commercial Mortgage Trust, totalisant 1,22 milliard de dollars.

     Deuxième épisode emblématique : l’affaire Kweku Adoboli, du nom de ce courtier aujourd’hui jugé à Londres pour avoir fait perdre 2,3 milliards de dollars à UBS. La stratégie choisie par la défense d’Adoboli est intéressante, car elle vise à démontrer que les pratiques frauduleuses de ce trader auraient été en réalité encouragées à demi-mot par la hiérarchie. Ses avocats ont ainsi versé au dossier de nombreux e-mails et SMS de collègues, qui avaient connaissance des transactions ultra-spéculatives d’Adoboli.

     La reprise du business as usual permet au navire amiral de la place financière suisse de renouer avec les profits: UBS verse 7,2 milliards de dividendes à ses actionnaires en 2010, 4,2 milliards en 2011. Mais cela ne suffit pas : le cours de l’action stagne depuis 2009, après avoir chuté de 75 CHF à 8 CHF. Il faut donc adopter une politique « plus favorable aux actionnaires», comme l’a demandé à plusieurs reprises ces dernières semaines le quotidien de la Bahnhofstrasse, la NZZ. Ainsi, UBS annonce il y a quelques jours la suppression de 15 % de ses effectifs, soit 10 000 personnes, dont 2 500 en Suisse. Les actionnaires se montrent reconnaissants, le titre s’appréciant en trois jours de plus de 15 %. La Ministre des finances Widmer-Schlumpf « salue» également ces 10 000 licenciements (NZZ, 1.11).

     La banque, soucieuse de son image, assure qu’un plan social a été prévu : en réalité, il s’agit seulement pour chaque employé·e licencié d’entretiens avec un « coach», censés les aider à retrouver du travail. Parmi ces milliers de licencié·e·s, il n’y a pourtant pas que des golden boys brassant des millions, mais beaucoup d’informaticien·ne·s, de technicien·ne·s ou de secrétaires, des salarié·e·s payés normalement, et qui ont consenti à de nombreux sacrifices ces dernièrs années, par exemple en multipliant les heures supplémentaires et en acceptant une flexibilisation de leur horaire de travail. Malheureusement, des décennies de matraquage de l’idéologie néolibérale, et la mise en œuvre des pratiques qui vont avec – notamment le développement des salaires au mérite et le licenciment systématique des salarié·e·s les moins performants selon un système anonymisé de « ranking» – ont réussi à briser presque toute forme de solidarité entre les employé·e·s, sans parler de l’affiliation syndicale, quasi inexistante. L’Association suisse des employés de banque (ASEB) s’est ainsi contentée de demander que les licenciements ne soient pas prononcés «de façon précipitée».

     Ces suppressions d’emploi, essentiellement dans le secteur de la banque d’affaires, sont aussi le signe qu’UBS se recentre sur la gestion de fortune, autrement dit l’aide à la soustraction fiscale, son activité la plus rentable : un secteur qui crée très peu d’emplois, dans la mesure où un gestionnaire de fortune à lui seul est responsable de plusieurs dizaines de millions d’actifs sous gestion. Qui a dit que le secret bancaire était mort ? 

 

Hadrien Buclin