Les cent jours de Lula: dérapage social-libéral

Les cent jours de Lula: dérapage social-libéral

A l’issue des cent premiers jours de son gouvernement, Lula tourne le dos à ses engagements en lançant un premier train de réformes libérales. Certains se demandent si, contrairement au slogan de la campagne électorale promettant une victoire de l’espérance sur la peur, la peur n’a pas déjà vaincu l’espérance.


La continuité de la politique de Lula par rapport à celle, hier tant critiquée, de Fernando Henrique Cardoso, l’emporte à l’évidence sur les velléités de rupture. Si l’hostilité des parlementaires du Parti des travailleurs a obligé le gouvernement à différer l’autonomisation officielle de la Banque centrale, le capital financier a obtenu l’essentiel avec la nomination à sa tête de Meireles, homme de toute confiance, et avec l’orthodoxie financière du ministre de l’Economie Palocci, obnubilé par l’objectif d’une inflation à 8%, quel que soit le coût social de cette politique. Le gouvernement a ainsi bien mérité les éloges que lui décernent les autorités de la Banque mondiale et du FMI (…) De fait, le gouvernement est aujourd’hui soutenu par une sorte d’unité nationale s’étendant sur la droite à des alliances plus larges encore que celles contractées pendant la campagne présidentielle.

Inégalités

Sur le plan social, les réformes sont des plus timides. Le programme «Faim zéro» (…) est en sourdine, faute de financement. Il en va de même des dossiers salariaux ou de la réforme agraire. On ne peut s’engager d’un côté à dégager des excédents financiers et commerciaux pour payer le service de la dette, rubis sur l’ongle, et satisfaire de l’autre les attentes sociales d’un pays parmi les plus inégalitaires du monde. Cette contradiction explosive est illustrée par un projet de réforme des retraites, [qui] rallonge notamment de sept ans la durée des cotisations pour les salariés de la fonction publique. (…)


Bien évidemment, le cours (…) social-libéral du gouvernement en matière économique et sociale nourrit des déceptions et suscite des résistances dans les mouvements sociaux comme dans les rangs du Parti des travailleurs. La Centrale unique des travailleurs est clairement hostile à la réforme des retraites. Le Mouvement des Sans Terre se mobilise et des accrochages ont lieu dans certains Etats avec les sbires armés des grands propriétaires. Des critiques s’élèvent dans les milieux intellectuels (…). Pour imposer un tel virage et les mesures antipopulaires qu’il implique, il faut faire régner l’ordre dans les rangs du PT et le transformer en courroie de transmission de la politique gouvernementale. C’est le sens des mesures disciplinaires annoncées par sa direction qui a décidé fin mai, par 13 voix contre 7, de traduire trois parlementaires (la sénatrice Héloïsa Helena, du courant Démocratie Socialiste et les députés Luciana Genro et Baba) devant une commission de discipline (baptisée conformément à l’air du temps, commission d’éthique), puis de suspendre immédiatement du groupe parlementaire Luciana Genro et un autre député, pour avoir diffusé un enregistrement de 1987, où Lula combattait point par point les mesures qu’il applique aujourd’hui.

Procès d’opinion

Héloïsa Helena avait déjà refusé d’avaliser l’élection de Meirelles à la tête de la Banque centrale et celle de l’oligarque Sarney, lié à la mafia du Nord-Est, à la présidence du Sénat. Les trois députés incriminés ont aujourd’hui déclaré le projet de réforme des retraites contraire aux orientations du dernier congrès du PT (décembre 2001), contraire à la politique suivie contre les projets Cardoso, et invotable en l’état. (…) Il s’agit de savoir si le Parti des travailleurs peut garder sa liberté de parole et d’action en tant que parti, distinct du gouvernement, ou s’il deviendra le simple relais des décisions gouvernementales dans la société civile, au prix de sa crédibilité sociale.


Déjà de nombreuses voix importantes se sont élevées contre le procès fait aux «trois radicaux», dont celles du sénateur Eduardo Supplicy, de Plinio Sampaio (représentatif des secteurs liés à l’Eglise), du journaliste Emir Sader, du sociologue Chico de Oliveira ou du philosophe Paolo Arantes. D’après un sondage réalisé de la Folha de Sao Paolo (21 mai), 57% des personnes interrogées estiment la position des «radicaux» légitime et fidèle à celle défendue par Lula en 1987; 8% seulement estiment qu’ils ont dépassé les bornes. (…)

Indignation

Dans ce contexte, la procédure d’exclusion engagée contre les trois prend valeur de test. Notre camarade Héloïsa a déclaré récemment qu’elle n’entendait pas abjurer sa position sur la réforme des retraites, étant, dit-elle, «de la tendance Jeanne d’Arc plutôt que de la tendance Galilée» (Le Monde, 25 mai).


Tous ceux qui ont vu naître au Brésil un parti de classe et l’ont soutenu seront choqués par la vitesse avec laquelle sa direction tourne le dos à ses principes et à ses engagements. Ils sont carrément indignés, moralement et politiquement, par les menaces de purges contre les militants radicaux auxquels ils ne manqueront pas de manifester leur entière solidarité. n


Daniel Bensaid et François Sabado
* Paru dans Rouge, 29 mai 2003.