Femmes et violences: combattre le mal à la racine

Femmes et violences: combattre le mal à la racine

Les violences faites aux femmes (violences physiques, psychologiques, sexuelles, économiques et sociales) sont des stratégies destinées à les priver de leur droit à l’autonomie et de leur pouvoir de décision.


Ces violences permettent de contrôler étroitement toutes leurs activités, leur faisant intérioriser la légitimité de leur infériorité. Elles visent également à contrôler leur sexualité et leur fécondité, à maintenir la division sexuelle du travail et l’appropriation de la force de travail des femmes.


Ces violences sont massives et universelles, même si elles prennent des formes différentes en fonction des pays, des pratiques traditionnelles ou du développement socio-économique.


En saisir toute l’étendue, le continuum, l’universalité, la fonction oppressive première et les particularités, voilà qui est aujourd’hui indispensable pour en faire apparaître les enjeux politiques.

Constat universel

la violence conjugale et le viol se retrouvent dans tous les pays, dans toutes les «cultures», indépendemment du niveau socio-économique ou éducatif. Ils expriment un pouvoir de domination brutal, un contrôle étroit sur les activités des femmes et sur leur corps. Ils sont endémiques! Selon le Conseil de l’Europe, sur le vieux continent, la violence conjugale est la première cause de décès et d’invalidité des femmes de 16 à 44 ans, avant le cancer, les accidents de la route ou la guerre; 20 à 50% des femmes sont victimes de violence conjugale une fois dans leur vie. En France, chaque année, 1,35 millions de femmes sont victimes de violence domestique. En Russie, 13000 femmes sont tuées de cette façon chaque année, la plupart par leur mari ou leur partenaire. Dans le monde, un tier des femmes au moins ont été battues, contraintes à des rapports sexuels ou maltraitées, le plus souvent par une personne connue; une femme sur quatre est maltraitée pendant sa grossesse; une femme sur dix, selon l’UNICEF, a été violée au moins une fois dans sa vie.

Pratiques traditionnelles

Les mutilations génitales, les crimes d’«honneur», les mariages forcés, l’enfermement et la négation de droits individuels, etc. concernent plus particulièrement certaines sociétés. Quelque 5000 femmes et jeunes filles sont victimes de crimes d’«honneur» chaque année; 130 millions de femmes ont subi l’excision (2 millions de plus chaque année, soit 5 petites filles par minute). Plus de 100 millions de petites filles manquent aussi à l’appel, décédées prématurément, du fait de la préférence accordée aux fils (soins, alimentation, etc.).

Sur le marché du travail

Le harcèlement sexuel, l’esclavage, le trafic des femmes et des enfants dans le commerce du sexe et des travaux clandestins touchent aussi de nombreuses femmes. Ainsi, environ 4 millions de femmes et de fillettes sont vendues chaque année dans le monde à de futurs époux, à des proxénètes ou à des marchands d’esclaves; en Asie du sud-est, près de 70 millions de femmes et d’enfants ont été victimes du trafic sexuel depuis 10 ans. En Europe, 2% des travailleuses – 3 millions – ont fait l’objet de harcèlement sexuel.

Etats complices

Les Etats légitiment la criminalisation des femmes ou répriment celles qui ne se soumettent pas à leur statut inférieur, par des législations discriminatoires ou des peines dégradantes: emprisonnement des victimes de viol, criminalisation de l’avortement, des pratiques contraceptives, ou des relations hors mariage. Certains Etats légifèrent eux-même, mais souvent la législation prévoit de déléguer aux hommes de la famille ou aux instances religieuses le jugement et l’application des peines, livrant les femmes à l’arbitraire. La Suisse n’est pas à l’abri de telles lois discriminatoires, en particulier envers les femmes migrantes, dont le statut est lié – pour la majorité d’entre elles – à l’état civil.

Culpabilisation et banalisation

Actuellement, des d’enquêtes sont menées par le Conseil de l’Europe, l’ONU ou l’OMS, qui dévoilent l’ampleur des violences faites aux femmes. Mais, ces violences ont des particularités qui en occultent la réalité, ratifiant leur banalisation et leur impunité.


Tout d’abord, les femmes sont rendues responsables des violences qu’elles subissent. Elles les «provoquent», les «tolèrent», les «méritent», etc. On constate une inversion perverse: les victimes seraient responsables des violences qui leur sont infligées. Ensuite, les violences spécifiques aux femmes sont banalisées et minimisées: très souvent, elles ne sont pas considérées comme des délits. Les femmes doivent apporter des preuves souvent impossibles à fournir, se trouvent face à un système judiciaire masculin, machiste et très patriarcal, dans lequel elles n’ont pas de place. De même, les victimes sont souvent dépendantes de leur(s) agresseur(s), qui est un membre de leur famille, un proche ou leur employeur, dont elles dépendent pour leur subsistance et celle de leurs enfants. Enfin, les victimes ont honte, se sentent coupables et impuissantes. Ce sont des sentiments que l’on retrouve toujours, qui sont aussi destructeurs qu’ils enferment les victimes dans un isolement émotionnel et social.

Effets de la mondialisation libérale

En précarisant la situation des femmes, la mondialisation libérale a augmenté tragiquement leur vulnérabilité aux violences. En effet, le corps des femmes n’a pas échappé à la marchandisation généralisée. Elle s’est accompagnée d’une banalisation du proxénétisme et d’un développement du tourisme sexuel. Aujourd’hui, ce commerce génère 9 milliards d’euros au profit du crime organisé, des bénéfices supérieurs au trafic de drogue ou d’armes. En effet, les êtres humains peuvent se vendre et s’acheter plusieurs fois; 90% des victimes de ces trafics sont des femmes ou des fillettes.


La précarisation des conditions de travail augmente les risques de mauvais traitements et de harcèlement, empêchant les femmes de se défendre, sous peine de perdre leur emploi. D’autre part, si la délocalisation des entreprises dans les pays a bas salaires a pu permettre aux femmes d’entrer sur le marché du travail, c’est au prix de leur santé, d’une exploitation extrême, et au mépris de leur dignité et de leurs droits humains.


Enfin, des millions de femmes ont été contraintes à émigrer pour assurer leur subsistance et celle de leur famille. Sans droit, sans statut légal, elles doivent survivre dans la peur et subire des conditions de vie souvent infra-humaines; elles sont ainsi des proies faciles…

Que faire?

Il est urgent que les mouvements féministes, les mouvement sociaux et les forces politiques progressistes fassent de la violence faite aux femmes un thème prioritaire de leurs activités. Pour cela, il faut les dénoncer, punir sévèrement les agresseurs et tous leurs intermédiaires, protéger les victimes et leur donner des droits.


La lutte contre les violences faites aux femmes passe par l’affirmation décidée du droit à l’autonomie et au pouvoir de décision de chaque femme, que ce soit au travail, dans sa vie de couple, dans ses décisions d’être mère, dans ses activités sociales. Ce droit à l’autonomie doit s’accompagner de mesures législatives et sociales concrètes qui garantiront aux femmes sécurité et respect de leur dignité. Il n’est pas compatible avec le libre jeu des forces du marché et avec la dérégulation des relations de travail. Le monde n’est pas une marchandise, les femmes non plus!


Claire MAGNIN