Femmes et globalisation: approches critiques

Femmes et globalisation: approches critiques

Sociologue et anthropologue française, Jeanne Bisilliat a réuni une somme de réflexions féministes critiques sur l’ambiguïté des aides au développement et l’inépuisable bonne conscience des institutions onusiennes qui veulent modeler le monde à leur image1. Son ouvrage devrait nous aider, féministes altermondialistes, à affiner notre réflexion, à nous renforcer et à lutter contre la récupération. Voici un bref aperçu de quelques unes de ces analyses stimulantes.


Francine Mestrum, spécialiste des problèmes du développement et collaboratrice à l’Université libre de Bruxelles, nous prévient contre toute naïveté en intitulant sa contribution: «De l’utilité des femmes pauvres dans le nouvel ordre mondial». En vertu des projets de développement des organisations internationales, les femmes pauvres du monde vont devenir des travailleuses exploitées, des consommatrices frustrées, puis souvent des chômeuses. L’image des femmes dévouées bénévolement à leur famille, tout à fait conformes aux stéréotypes bien-pensants, fait bien vendre les projets qui les cantonnent dans leur rôle de reproductrices et de gestionnaires des maigres ressources familiales, en leur accordant des «micro-crédits» ou des emplois mal rémunérés dans les nouvelles industries. Est-ce ce que nous voulons, nous les féministes, qui luttons pour un autre monde?

Les marchés contre les femmes

Dans le calcul du PNB, le travail non rémunéré des femmes est exclu de la richesse nationale! Celles-ci sont considérées comme inactives, alors qu’en réalité leur travail représente les deux tiers de l’ensemble du travail effectué de par le monde. L’économie libérale rattrape actuellement les femmes en «féminisant» les marchés du travail les plus précaires et en flexibilisant leurs emplois au maximum. Elle exproprie aussi les paysannes, principales travailleuses de l’agriculture, en excluant leurs savoirs traditionnels au profit de coûteuses semences sélectionnées et de nouvelles technologies.


Au Chiapas, par exemple, les grandes compagnies veulent s’emparer des sources de pétrole et implanter le tourisme de luxe dans les somptueuses forêts tropicales. Ce sont des femmes aux mains nues qui luttent contre l’armée pour préserver leur milieu et leur mode de vie. Le tourisme est particulièrement nocif pour elles: il supprime les terres de culture, crée des emplois mal rétribués catégorie (femmes de chambre), suscite la prostitution, mais aussi la migration. (cf. «Le capitalisme a besoin des femmes», par Robert Biel, spécialiste des relations internationales au College University de Londres).

Une évaluation féministe des projets de développement

Grâce à leurs compétences professionnelles, des féministes ont obtenu des postes dans les institutions internationales ou les ONG. Pourtant, la plupart de ces organismes ont adopté la culture du travail dominante, avec ses hiérarchies et ses rapports verticaux, soi-disant pour plus d’efficacité. Le mouvement féministe doit donc agir de façon totalement autonome ou se fondre dans les projets existants. Jules Falquet, une chercheuse des Caraïbes, connue en Suisse romande grâce aux Nouvelles Questions Féministes, a traduit les réflexions de Sud-Américaines rompues aux évaluations de projets par des groupes féministes.


Margarita Pisano, une Chilienne explique «comment faire des évaluations féministes ». Afin de ne pas se laisser piéger par la culture patriarcale, il faut que les femmes qui s’engagent professionnellement imposent leur culture alternative, ne renient pas leur appartenance, mais conjuguent rigueur, compétences approfondies et prises de responsabilités. Mercedes Canas, chercheuse guatémaltèque, pense que l’entrée des féministes dans les institutions est un débat difficile au sein du mouvement, «à tel point qu’aujourd’hui, une féministe tombera plus vite d’accord avec sa grand-mère sur des questions de sexualité, qu’une «autonome» avec une «institutionnalisée» parlant des relations avec les institutions»!


La Marche Mondiale des Femmes de 2000 a présenté des revendications politiques claires contre la globalisation économique. Cependant, elle a investi trop d’énergie dans sa collaboration avec l’ONU, organisation dirigée par des hommes, incapables de maintenir la paix dans le monde, ni d’éliminer la disparité croissante entre les pays, entre les riches et les pauvres, entre les femmes et les hommes. Mercedes Canas, ainsi que la plupart des auteures de ce recueil, considère que les féministes doivent tout faire pour préserver leur autonomie, des rapports horizontaux non hiérarchisés, la transparence, la probité et la solidarité. Elles appellent les femmes à «se plonger dans les profondeurs de notre mémoire collective pour en ressortir avec la sagesse et l’énergie de toutes les sages et les rebelles de notre histoire commune».


Maryelle BUDRY

  1. Regards de femmes sur la globalisation, sous la direction de Jeanne Bisilliat, éditions Karthala, Paris, 2003. Pour poursuivre la réflexion: «Intégration du genre dans le développement», séminaire de deux jours, organisé par le réseau de femmes «Ruptures», les 3 et 4 juillet à Paris, avec la participation de Jeanne Bisilliat et de ses collègues. Informations: Réseau LIEGE. Voir aussi Joni Seager, «Atlas des femmes dans le monde», éd. Autrement, Paris, 2003: l’état des femmes dans le monde selon quarante paramètres: mariage, contraception, avortement, maternité, violences domestiques, cancer du sein, sida, viol, travail salarial, analphabétisme, droit de vote, droits politiques, etc.