Pour la démocratie syndicale et un syndicalisme de lutte: entretien avec Philippe Sauvin
Pour la démocratie syndicale et un syndicalisme de lutte: entretien avec Philippe Sauvin
Philippe Sauvin, permanent syndical depuis six ans à la section du SIB-La Côte, a été licencié du SIB pour insubordination, au 31 juillet 2003. Il a été relevé de toutes ses fonctions avec effet immédiat. Sa collègue, Maud Ravay-Vogler, a, quant à elle, reçu un avertissement. Philippe est un syndicaliste actif depuis les années 70. Il a notamment participé aux brigades ouvrières de construction et de formation, au Nicaragua durant 3 ans, projet soutenu à lépoque par le SIB. Cest un syndicaliste de terrain qui est ainsi mis à lécart, un syndicaliste respectueux des droits des membres du syndicat, cherchant à mettre en pratique le projet dun syndicalisme de lutte. Nous lavons rencontré pour quil nous explique les tenants et aboutissements de ce licenciement.
Quelle sont les raisons de ton licenciement et de lavertissement adressé à ta collègue?
La toile de fond en est lélection foireuse du nouveau secrétaire syndical de La Côte, effectuée en violation des règles de la démocratie syndicale. Cette élection sest faite pendant les vacances dété 2002: sur huit membres du comité de section, cinq étaient en vacances! En tant que candidat je nai même pas été entendu par le bureau. Les aspirations des membres nont pas non plus été prises en compte. En fait, cest lappareil qui a imposé son candidat. Jai alors déposé un recours interne au SIB pour dénoncer ces graves manquements à la procédure, recours qui na à ce jour (plus de dix mois après les faits!) toujours pas reçu de réponse Il y a eu une volonté délibérée de lappareil décarter ma candidature: elle représentait en effet une pratique syndicale de terrain, de proximité, fondée en particulier sur lexpérience de la défense collective des droits des salarié-e-s les plus faibles (travailleurs-euses sans-papiers, immigré-e-s, dans des secteurs comme lagriculture, lhorticulture, les paysagistes ou le bâtiment). Un jour après la grève du bâtiment du 4 novembre 2002, le nouveau secrétaire, appuyé par lappareil, alors quil na aucune expérience syndicale, a rédigé un rapport maccusant à tort et à travers et mettant en cause le fonctionnement et les activités de la section de la Côte du SIB. Ce rapport a suscité des prises de position et des protestations dautres délégué-e-s syndicaux, telle ma collègue Maud, et surtout des membres actifs-ives de la base du syndicat. Ce sont ces réactions qui sont à lorigine de mon licenciement et de lavertissement adressé à Maud.
Comment sont intervenu-e-s les travailleurs-euses, syndiqué-e-s au SIB La Côte?
Un grand nombre de militant-e-s, syndicalistes actifs-ives, se sont senti-e-s trahi-e-s, constatant un énorme gâchis par rapport à toutes les activités déployées. Ils-elles sont alors intervenu-e-s avec leurs moyens: pétitions, participation au comité de section (jusque-là ouvert), demande dune assemblée sur lavenir de la section et enfin demande statutaire, signée par 238 membres, dune assemblée extraordinaire des membres. Ils-elles se sont heurté-e-s à une fin de non-recevoir des instances syndicales qui craignent avant tout de perdre leur pouvoir, avec la remise en cause du fonctionnement «traditionnel» du syndicat. Lexigence de ces militant-e-s est pourtant tout à fait légitime: le SIB, ce sont elles et eux, le syndicat nappartient pas à un comité ou à un appareil! De nombreuses pressions sur les membres ont été exercées: entretiens personnels, lettre dexplication mensongère adressée à tous les membres de la section. Un membre du comité de section, opposé à mon licenciement, sest même vu sommé de choisir entre revoir sa position ou quitter le comité! Le parcours de ce travailleur est tout à fait exemplaire. Il correspond très souvent à la trajectoire professionnelle dun immigré: dabord travailleur agricole, sans papier, puis, après lobtention dune autorisation de séjour, ouvrier dans le bâtiment, puis aujourdhui employé CFF. Il sest fait dire quil nétait plus dans le bon syndicat! Dégoûté, il a donné sa démission. Est-ce ainsi quil faut aborder la construction dun syndicalisme interprofessionnel?
Face à la fusion SIB-FTMH (UNIA) qui constitue aussi la toile de fond pour ton licenciement et lavertissement de Maud, quelle orientation syndicale défendre?
La fusion pour le nouveau syndicat interprofessionnel UNIA se fait par le haut et non par le bas! Il règne actuellement une activité intense de «lutte des chaises» (en opposition à la lutte des classes!), orchestrée par les secrétaires syndicaux à tous les niveaux, section, région, sur le plan national, pour se positionner dans UNIA. De plus les employé-e-s du SIB (délégué-e-s syndicaux et personnel administratif) sont dans une situation incertaine face à leur avenir. La perspective de cette restructuration naméliore ni les prestations syndicales, ni le climat de travail. Dans ce contexte, les membres du SIB sont très souvent instrumentalisé-e-s et sont utilisés-e-s comme caisse de résonance pour des décisions concoctées au sommet par tel ou tel secteur de lappareil syndical. Ils-elles sont sans prise réelle sur des choix déjà faits: la démocratie syndicale est formelle. Le formidable succès de la grève du bâtiment du 4 novembre passé ne sest traduit ni par la poursuite dune mobilisation ni par le renforcement du syndicat sur les lieux de travail. Au contraire, comme le démontre la situation dans la section du SIB La Côte, les aspirations et la détermination à se battre des travailleurs sont mises systématiquement sous le joug. Celles et ceux qui les soutiennent sont brutalement écarté-e-s!
Cest en sappuyant sur la volonté des travailleurs et travailleuses de construire un syndicat de proximité, qui les défendent avec vigueur et conviction quil faut aller de lavant. Le syndicat nest pas une assurance, mais une organisation de lutte qui doit agit collectivement dans les conflits avec les employeurs. La multiplication des structures et leur hiérarchisation extrême conduisent inévitablement à un éloignement de la base. Les salarié-e-s doivent être les véritables acteurs-actrices du syndicat et ce contrairement à lorientation dun syndicalisme hiérarchisé et dappareil que renforce aujourdhui la fusion (SIB/ FTMH) qui sorganise par le haut. Tout doit être mis en uvre au contraire pour constituer loutil syndical sur la place de travail, dans les entreprises. En lien avec ce travail de base, un syndicat de lutte pourra apprendre et se joindre réellement aux autres combats menés dans dautres secteurs de la société, comme le mouvement altermondialiste ou les mouvements de défense des droits des sans-papiers.
Rédaction