Prêts immobiliers en franc suisse: illégitimes et illégaux

De la Pologne à la France, en passant par la Croatie, la Hongrie, la Slovénie, la Grèce et d’autres pays des Balkans, l’affaire des crédits hypothécaires en franc suisse concerne plus d’un million de victimes de la rapacité des grandes banques privées.

BNP Paribas à Paris
Action du Collectif Innovations / Illuminations politiques sur le siège de BNP Paribas à Paris

Le 3 octobre 2019, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu un arrêt donnant partiellement raison aux victimes en Pologne des prêts bancaires abusifs octroyés principalement pendant la période 2004–2010. Cette escroquerie concerne près de 700 000 ménages en Pologne qui ont été convaincus par des grandes banques privées d’emprunter en franc suisse.

Le mécanisme abusif utilisé par les banques peut être résumé de la manière suivante: les banques ont octroyé des prêts hypothécaires en franc suisse qui devaient être remboursés en monnaie locale, le zloty. Elles affirmaient à leurs client·e·s que la valeur du franc suisse étant très stable, ils·elles faisaient une bonne affaire. Or, à partir de 2010, la valeur du franc suisse a très fortement augmenté par rapport au zloty, à l’euro, à la couronne croate, au forint hongrois…

Un exemple concret: un ménage polonais qui a emprunté 150 000 francs suisses il y a 15 ans et a remboursé régulièrement les intérêts et une partie du capital, se retrouve à devoir, aujourd’hui encore, l’équivalent en zloty de la somme initiale en francs suisses. Ce ménage, comme les autres victimes des prêts en franc suisse, est enchaîné à un mécanisme de dette perpétuelle.

Vu la lenteur de la justice et la complicité du gouvernement polonais et des banquier·ère·s, plusieurs victimes ont porté l’affaire devant la Cour de justice de l’Union européenne qui vient de leur donner partiellement raison. Jusqu’ici, face au drame social provoqué par le comportement odieux des banquier·ère·s, le gouvernement polonais a seulement mis en place un mécanisme d’aide ciblée, limité aux ménages les plus pauvres. Le gouvernement polonais utilise de l’argent public pour aider les banquier·ère·s à être remboursé·e·s par les pauvres pour des dettes hypothécaires en francs suisses. Cela permet aux banquier·ère·s de continuer à faire des profits juteux.

À la place de cette politique, un gouvernement réellement au service de la population et de la justice sociale aurait dû proposer au parlement d’adopter une loi d’annulation de ces dettes illégitimes et illégales au lieu de recommander aux victimes, comme l’a fait le gouvernement en place, de faire appel individuellement à la justice. […]

Une escroquerie utilisée dans de nombreux pays

En 2015, le gouvernement de Croatie a également dû alléger la dette de près de cent mille ménages endettés. En Slovénie, des procès sont en cours. En Grèce, la cour suprême de justice a donné tort aux 70 000 victimes des prêts hypothécaires en franc suisse en avril 2019, montrant une fois de plus qu’elle défendait l’intérêt des puissant·e·s contre le peuple.

En France, BNP Paribas Personal Finance (BNP PPF) a commercialisé des emprunts immobiliers toxiques auprès de 4655 ménages entre mars 2008 et décembre 2009. Ce type d’emprunt appelé Helvet Immo, destiné pour l’essentiel à un investissement locatif, est souscrit en francs suisses mais remboursable en euros. L’envol du franc suisse sur le marché des changes face à la devise européenne a pris au piège les emprunteurs·euses qui ont vu le capital restant dû de leur prêt augmenter significativement au fil du temps, malgré le paiement de leurs échéances. Face à une banque refusant toute négociation amiable, les client·e·s ont engagé des actions en justice. […]

Le prix de la crise

La grande crise financière de 2007–2008, qui produit toujours ses effets aujourd’hui, a révélé au grand jour les pratiques délétères des banques, dont les populations payent le prix fort. Loin de servir l’économie et de financer les grands projets justes socialement et nécessaires du point de vue écologique que nécessite l’urgence de notre temps, les banques poursuivent leurs activités spéculatives au profit d’une poignée de capitalistes qui spolient les populations et les acteurs publics locaux.

Face à cette situation une solution s’impose: prendre le contrôle des banques en les socialisant à travers la mise en place d’un service public bancaire au service de l’intérêt général. Il est aussi très important d’agir de manière coordonnée au niveau européen pour combattre les dettes illégitimes privées et dans ce cas précis les crédits liés au franc suisse qui ont été octroyés par des grandes banques privées.

Eric Toussaint
Article paru initialement sur le site du CADTM. Coupe et intertitres de notre rédaction.