Une marche des fiertés comme les autres?

Le 10 octobre, à Genève, se tient la première édition de la Mad Pride, autrement dit une marche des fiertés « des fous », organisée par Trajets, les HUG et Coraasp, faîtière romande regroupant plusieurs associations travaillant sur la santé mentale. Nous nous sommes entretenus avec Shirin Hatam, juriste en charge du conseil juridique à Pro Mente Sana pour évoquer les enjeux en lien avec cet événement.

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Cette marche des fiertés, à première vue une initiative louable pour lutter contre les discriminations envers les personnes atteintes de problèmes de santé mentale, ne fait pas l’unanimité. Comment te positionnes-tu?

Personnellement, ça ne me dérange pas que cela ne fasse pas l’unanimité. Je ne suis pas persuadée non plus que toutes les personnes LGBTI+ descendent dans la rue le jour de la marche des fiertés. Toutefois, défendre l’existence d’une manifestation de ce genre peut être dans l’intérêt général des personnes avec des troubles psychiques, dans la mesure où cela peut amener à déstigmatiser cette question. Au niveau associatif, Pro Mente Sana a décidé de soutenir pleinement la Mad Pride, sans toutefois nous y associer dès lors que nous n’avons pas participé à sa mise sur pied.

On parle assez peu de santé mentale. Quel sens cela a-t-il d’organiser une Mad Pride?

Selon moi, il est toujours bien de parler de santé mentale, car cela concerne tout le monde. Néanmoins, il y a le risque de diluer le problème des personnes qui ont un trouble psychique dans celui de la population au sens large, comme toi et moi, qui connaît des souffrances psychiques.

Ce qui est ambigu, c’est aussi que les personnes auxquelles je suis confrontée dans mon travail me semblent être de moins en moins revendicatives. Elles demandent plutôt à pouvoir s’insérer « normalement » dans la société. Je ne sais pas dans quelle mesure ces ambiguïtés ont été discutées avec les personnes concernées au moment d’organiser la Mad Pride.

La communication autour de l’événement reprend les méthodes généralement utilisées par les groupes discriminés: retourner les insultes en se les appropriant. Où en est la lutte contre les discriminations des personnes souffrant de problèmes de santé mentale?

De mon point de vue de juriste, une lutte intéressante consiste à utiliser la Convention sur les droits des personnes handicapées, qui modifie la définition du handicap. Ce n’est plus seulement la personne, mais aussi les obstacles que la société dresse qui sont pris en compte. Cette convention devrait donner un moyen de lutte aux concerné·e·s: exiger le droit de participer aux décisions les concernant. Par exemple, cela pourrait être de faire partie du Conseil d’administration de l’Hôpital. Ce qui signifie que cet organe devra s’adapter au fonctionnement des personnes avec troubles mentaux pour qu’elles puissent siéger.

Il y a également tous les moyens pour faire parler du sujet (faire des films, etc.) afin de montrer la normalité qui existe dans les troubles psychiques pour déstigmatiser.

Nous défendons l’idée que les luttes doivent être autant que possible « auto-organisées » par les personnes concernées. Peut-on en dire autant de cette Mad Pride qui semble avoir été mise sur pied par ces grosses institutions?

Je ne sais pas quelle était la demande de la base. Une chose est sûre, il est très difficile pour les personnes concernées de s’organiser. Il existe des groupes en autogestion ; certains marchent mais la plupart fonctionnent en dents de scie. Cependant, ces structures vont avoir plus de peine pour organiser un événement, ce sera plus compliqué pour des gens qui n’ont pas un fonctionnement stable. Il sera par exemple très difficile d’obtenir des fonds. À l’inverse, des institutions obtiendront facilement ces fonds, ce qui souligne aussi une discrimination. Si ces institutions ont répondu à une demande de la base – une information que je n’ai pas – alors leur soutien est juste. Les organisateurs nous ont indiqué avoir associé d’emblée et tout au long du processus des personnes concernées dans l’organisation de cette Mad Pride.

Plus largement, comment envisager le rapport entre les personnes concernées et les institutions?

De mon côté, j’entends principalement des personnes pour qui les choses se passent mal. Pour elles, il existe encore des tensions, un sentiment de maltraitance par rapport aux institutions. Autre biais, ces dernières voient les personnes uniquement lorsqu’il y a une crise ; or, elles ne sont pas tout le temps comme ça. Le problème des personnes concernées est de réussir à se faire entendre lorsqu’elles vont bien.

Propos recueillis par Aude Martenot