Discriminer, contrôler, surveiller et punir
Discriminer, contrôler, surveiller et punir
Le projet de nouvelle loi sur les étrangers (LEtr) comme celui de la nouvelle révision de la Loi sur lasile (LAsi) sont marqués du sceau de la prétendue lutte contre la clandestinité, la fraude et le détournement de procédures. Overdose de surveillance, de suspicion et de contrôle! Ces nouvelles dispositions législatives, discriminatoires et racistes, seront discutées – et très vraisemblablement adoptées – prochainement par les Chambres fédérales. Elles sinscrivent parfaitement dans la tradition dune politique vis-à vis de limmigration, menée de concert par les autorités fédérales et cantonales, la police des étrangers en particulier, et par employeurs visant à précariser au maximum les conditions de vie et de travail de centaines de milliers de femmes et dhommes séjournant en Suisse.
Limmigration dans un contexte de crise
Laccord sur la libre circulation des personnes conclu avec lUnion européenne (UE) est laboutissement dune politique migratoire plus «différenciée», mis en place au début des années 90 par le Conseil fédéral, une politique dite des trois cercles, puis des deux cercles. Cette approche avait été rendue nécessaire par le choix politique et économique des dominants darrimer, même partiellement, la Suisse à lUE. La reconstitution dun chômage durable et massif, en Suisse (près de 150000 chômeuses et chômeurs officiellement inscrit-e-s au printemps 2003) comme dans la quasi-totalité des pays européens, a facilité la mise en uvre de politiques de déréglementation et de flexibilisation. Les besoins en main duvre étrangère non-qualifiée sont devenus moindres, à lexception de secteurs vivant sur la surexploitation des immigré-e-s, tels lhôtellerie, la restauration, lagriculture, le nettoyage ou le textile. De surcroît linsécurité sociale et la précarité sont devenus le lot quotidien de très nombreuses personnes, salarié-e-s, retraité-e-s, jeunes et constituent dès lors un terreau très favorable au développement du racisme et de la xénophobie. Cest dans ce contexte que la politique dimmigration fait lobjet dun certain nombre d«ajustements» législatifs: pour lessentiel, ceux-ci doivent fermer la porte aux immigré-e-s non ressortissant-e-s de lUE, émigré-e-s des pays du Sud ou de lEst et poussé-e-s à partir de chez eux en raison des effets de la crise et des destructions, provoquées par les guerres, les politiques du FMI, de la Banque mondiale et des multinationales.
Du statut de saisonnier à celui de lautorisation de courte durée ou dune forme desclavage à une autre!
La LEtr abolit le statut de saisonnier, «remplacé» par celui de lautorisation de courte durée, dune année au plus. Cet ajustement illustre très bien comment le «droit des étrangers» met en place des mécanismes de discrimination permettant en particulier dassurer à limmigration son rôle de main duvre corvéable et malléable à merci. Le statut de saisonnier était délivré pour 9 mois au maximum, le-la saisonnier-ère devant séjourner pendant trois mois au mois à létranger en lespace dune année civile. Il ne pouvait être octroyé quaux travailleurs-euses provenant des pays de recrutement traditionnel et le-la saisonnier-ère navait pas le droit de se faire accompagner par son-sa conjoint-e et ses enfants. Le-la conjoint-e dun-e saisonnier-ère qui exerçait une activité lucrative était un-e clandestin-e. Lautorisation saisonnière pouvait être transformée en autorisation à lannée, à certaines conditions. Le projet de LEtr remplace donc ce statut par une autorisation, accordée aux ressortissant-e-s de pays non membres de lUE et uniquement sils-elles sont cadres, spécialistes ou particulièrement qualifié-e-s. Cette autorisation ne pourra être prolongée que jusquà deux ans, mais il ne sagit pas dun droit. Elle devra être assortie dun but déterminé de séjour (un travail de durée déterminée). Un changement demploi ou de canton ne sera quexceptionnellement possible. Il ne sera pas possible de la transformer en autorisation de séjour (de plus dune année). Quant au regroupement familial, comme le relève le Message du Conseil fédéral, «dans le cadre de leur liberté dappréciation, les autorités cantonales doivent avoir la possibilité dautoriser le regroupement familial en faveur de létranger titulaire dune autorisation de courte durée, pour la durée de son séjour. Ces personnes doivent remplir les mêmes conditions que les titulaires dune autorisation de séjour, mais ne disposent pas dun droit légal. Le fait que lenfant soit scolarisé ne constitue pas en soi un motif pour la prolongation de lautorisation de séjour».
Le statut de saisonnier passe donc à la trappe, considéré comme contraire à des droits aussi fondamentaux que celui du respect de la vie familiale. Il est cependant remplacé par un nouveau «statut», en tout cas tout aussi précaire et tout aussi contraire aux droits de la personne. La lutte contre la LEtr et pour légalité des droits de toutes celles et ceux qui vivent et travaillent en Suisse est plus que jamais dactualité!
Jean-Michel DOLIVO