Stonewall: un témoignage

Il y a 50 ans l’écrivain étasunien Edmund White a vécu les émeutes du Stonewall. Dans un témoignage* dont nous publions quelques extraits, il rend hommage aux personnes LGBT de couleur, aux drag queens et aux jeunes de Harlem qui ont ouvert la voie à la liberté.

Manifestation à New York dans la foulée des émeutes de Stonewall (été 1969)

Manifestation à New York dans la foulée des émeutes de Stonewall (été 1969)

J’y étais aux émeutes de Stonewall, il y a 50 ans, qui ont marqué le début du mouvement pour les droits LGBT. Pas parce que j’étais radicalisé. Jeune blanc de classe moyenne, à 29 ans en thérapie depuis des années pour essayer de devenir hétéro, j’ai été d’abord choqué de voir tous ces gens noir·e·s et basané·e·s s’affrontant – quelle idée! – la police. J’avais un temps été un client régulier de ce bar de Greenwich Village, mais les derniers mois les habitué·e·s avaient changé, avec surtout des jeunes de Harlem, beaucoup en drag queen. […]

Alors qu’avant les gays fuiaient toujours, craignant d’être arrêtés et emprisonnés, ces Afro-américain·e·s, Porto Ricain·e·s et drag queens du Stonewall n’étaient pas si facilement intimidés. Ils ont allumé des feux, renversé des voitures et se foutaient de la gueule des flics, allant jusqu’à entreprendre de défoncer les lourdes porte du Stonewall où les flics retenaient des membres du personnel et des client·e·s en attendant que le panier-à-salade revienne.

Un basculement révolutionnaire

Les protestations ont continué trois jours durant. Toute la zone autour de Christopher Street et la 7e Avenue a été bouclée. La nôtre, a peut-être été la première révolution vraiment drôle. Quand quelqu’un·e a crié « Gay is good! » imitant le « Black is beautiful! » on a tous rigolé et, à ce moment-là, on a basculé hors d’un état où on se voyait comme affligés d’une maladie mentale… et on s’est vus comme une minorité.

Certes, c’était une ère de rébellion, avec les mobilisations contre la guerre du Vietnam, le mouvement du Black Power et le MLF. On avait tous vu à la TV des hommes brûlant leurs papiers militaires, des athlètes noirs saluant le poing levé, des femmes radicales comme les Red Stockings se comportant de manière « intolérable » (selon leur slogan). Là c’était une ligne de danseurs·euses composées de garçons gay qui apparaissait, distribuant des coups de pied derrière les flics en criant « On est les panthères roses! » A cette époque, il y avait dans ce coin une prison pour femmes (rasée depuis). Ces femmes nous criaient des encouragements de leurs cellules en raclant les barreaux avec leurs tasses.

Si j’avais été choqué d’abord par ces actions exubérantes, bientôt je me suis senti euphorique de pouvoir exprimer une indignation trop longtemps réprimée. Et je me suis mis à participer, malgré mes années de soumission. […]

Retour aux sources

Et l’énergie a duré… […] Les études gay ont démarré, des politiques gay étaient inventées par de nouveaux groupes tous plus radicaux les uns que les autres. J’ai commencé à participer à des groupes d’élévation de conscience « maoïstes » dans lesquels personne ne pouvait contester quiconque. Dès la fin de la décennie, j’étais membre d’un groupe d’écrivains facétieusement dénommé « La plume violette ». Personne ne voulait imiter le mode de vie hétéro, nous étions contre l’« assimiliation » […]

Les premiers à bénéficier des libertés conquises il y a 50 ans ont été des hommes blancs. Maintenant la lutte continue pour les jeunes lesbiennes, les gens de couleur, la population trans – et pour tous ceux·celles qui subissent des régimes dangereux, religieux et hostiles. Dans un sens, le retour sur le devant de la scène de gens au genre fluide et de gays ou de lesbiennes de couleur renvoie aux guerrier·ères originaux du Stonewall, ces drag queens et jeunes durs de Harlem. Ils·elles donnnent une nouvelle vie à un mouvement, qui dans les USA des grandes villes du moins, était devenu maussade, matérialiste et sans inspiration.

Traduction et intertitres de notre rédaction