Vers une nouvelle récession

S’il est impossible de prévoir la date exacte de la prochaine récession, dont la marche peut être accélérée ou freinée selon les développements politiques, il ne fait aucun doute que la reprise économique amorcée en 2010 tire à sa fin.


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Trois signes annoncent au-jourd’hui une nouvelle récession:

  1. les performances de la bourse états-unienne déclinent depuis six mois ;
  2. l’économie chinoise a brutalement ralenti (des expert·e·s estiment que sa croissance réelle n’a été au plus que de 2% l’année dernière) ;
  3. l’économie allemande, «locomotive» de l’Europe, est en état d’alerte, son produit industriel ayant commencé à se contracter dès l’automne 2018.

La crise qui vient

On ne peut saisir la sévérité de la récession à venir par les seules données économiques. L’interrelation complexe de facteurs économiques et politiques est décisive. Par exemple, les cadeaux fiscaux que Trump a faits aux entreprises ont donné un élan artificiel à l’économie états-unienne, freinant ses tendances récessives. Mais la montée de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine peut hâter et aggraver la dépression qui s’annonce. Une crise liée au Brexit en Grande-Bretagne est aussi de nature à amplifier le ralentissement de l’Europe. Et une nouvelle vague de protectionnisme pourrait gravement endommager l’ensemble du système.

De nouvelles failles financières pourraient pour leur part susciter la panique sur les marchés monétaires, avec des effets dévastateurs dans le contexte d’une nouvelle dépression. Depuis le dernier choc, l’économie mondiale a connu une hausse de l’endettement à hauteur de 75 000 milliards de dollars, dont plus d’un tiers dans le secteur entrepreneurial. Or, une grande partie des entreprises endettées sont très peu solvables, et ceci pour un montant que des expert·e·s estiment supérieur à celui du marché hypothécaire subprime d’avant le dernier crash, d’où un risque de crise financière explosive.

Les séquelles du choc précédent

Une lente reprise économique a commencé dès 2010. Mais les taux de croissance et d’investissement sont restés parmi les plus modestes de l’après-guerre. Certes, les banques centrales ont réussi à éviter une dépression mondiale en 2008–2009. Il est difficile de se souvenir aujourd’hui de la terreur qui avait saisi les classes dominantes lorsque les banques s’effondraient, de Wall Street à Francfort, de l’Irlande à l’Islande, et que la Grèce ne semblait plus capable d’honorer une dette de milliards de dollars. «Je suis vraiment effrayé», avouait le Secrétaire du Trésor Hank Paulson. Et un banquier de Merrill Lynch confessait: «Notre monde est ruiné.»

Seul le renflouement bancaire le plus important de l’histoire a sauvé la mise pour la classe dominante. Le premier round de ces opérations de sauvetage a coûté 13 milliards de dollars aux États-Unis. Et il a été suivi par d’autres ainsi que par une série d’assouplissements monétaires (quantitative easing) aux États-Unis, en Chine et en Europe. Sur une décennie, pour réduire les charges des entreprises, les banques centrales du monde ont maintenu les taux d’intérêt à un niveau historiquement bas. Au Japon, ils sont encore négatifs (inférieurs au taux d’inflation). Les banques centrales ont ainsi évité un effondrement de la finance mondiale. Un succès partiel pour le capitalisme, mais qui n’a fait que repousser la restructuration indispensable à sa revitalisation.

Un système fragilisé

La dépression permet au capitalisme d’éliminer ses toxines. La faillite des sociétés les moins rentables garantit aux autres des parts de marché supplémentaires. En licenciant et en fermant des entreprises, elle force les salaires vers le bas. En supprimant des activités, elle réduit les coûts du crédit. Ce faisant, elle baisse les charges des entreprises et encourage celles qui ont survécu à réinvestir. Ainsi, la croissance peut reprendre au prix de destructions et de souffrances humaines considérables (fermetures d’entreprises, pertes d’emploi, pauvreté, espoirs et rêves brisés).

Les politiques financières qui ont prévenu la dépression ont limité la «destruction créative» dont le capitalisme a besoin. De faibles taux d’intérêt ont permis à des sociétés inefficientes de se maintenir, bloquant le «nettoyage» qui aurait dû ouvrir de nouveaux marchés aux plus rentables. Voilà pourquoi les taux d’investissement ont été particulièrement faibles pendant la «reprise» de ces neuf dernières années. D’où une hausse des profits, issue avant tout d’une pression accrue sur les salaires. Conditions de travail précaires et patrons de choc n’ont ainsi permis aucune amélioration significative du niveau de vie des travailleurs·euses. La plus grande part de la nouvelle richesse créée a enrichi le 1% des privilégié·e·s.

David McNally
Professeur à l’Université de Houston. Traduit et adapté par notre rédaction d’après l’original en anglais («Are We Headed For Another Crisis?» sur socialistworker.org).