Zimbabwe

Zimbabwe : Une nouvelle dictature?

En 2017, le président Mugabe a été forcé de démissionner. Son bras droit, Emmerson Mnangagwa, dirige le pays depuis. Mais il n’a pas tenu ses promesses et la population craint un retour de la dictature.

Le coup d’État orchestré par l’armée en novembre 2017 a signé la fin de près de 40 ans de règne répressif. Le régime de Robert Mugabe a entraîné le pays dans une spirale de pauvreté, d’inégalités et de chômage, avec un taux d’inflation astronomique (79 600 000 000% en novembre 2008).

Président de 1987 à 2017, Mugabe était un fervent nationaliste, soi-disant anti-impérialiste et anticolonialiste. Si le pays était bel et bien miné par le racisme et la domination de la communauté blanche sur la communauté noire, Mugabe a répondu à ce problème en appelant à la violence et à la haine des Blanc·he·s, ce qui se traduisait par des insultes à caractère racial ou par la réappropriation forcée des terres agricoles.

Les premières contestations et l’indépendance

Son élection comme Premier ministre en 1980 arrive après des mouvements de contestation de presque 30 ans. La deuxième moitié des années 1950 voit en effet des mouvements de révolte de plus en plus organisés, que le gouvernement blanc réprime notamment par la confiscation des foyers aux Noir·e·s participant aux mobilisations et l’expulsion du territoire.

Dès les élections de 1980, année de l’indépendance du Zimbabwe, le pays est dirigé par le parti de Mugabe, l’Union nationale africaine du Zimbabwe (ZANU, qui deviendra ZANU-PF). Le marxisme affiché de Mugabe masque un programme néolibéral et conservateur, aux politiques profondément antidémocratiques et LGBTIQ-phobes. Durant son règne, il s’est discrètement débarrassé de ses rivaux et, pendant les années 1980, a démantelé les mouvements syndicaux alors puissants. La colère populaire ne s’arrête pas après son élection: de larges mouvements étudiants dans les années 1980 et 1990 dénoncent la corruption du gouvernement postindépendance et son intolérance à la critique.

La chute du régime s’est déroulée sur plusieurs jours fin 2017. Passé le choc de la fin de quatre décennies répressives, la population a voulu croire en un futur démocratique et de meilleures perspectives économiques. Emmerson Mnangagwa, bras droit de Mugabe, est sorti victorieux des élections de juillet 2018 à 50.8%, face à Nelson Chamisa, qui l’a ensuite accusé de fraude électorale.

De larges mobilisations ont suivi, face auxquelles l’armée a utilisé des gaz lacrymogènes et tiré à balles réelles sur les manifestant·e·s. Un grand nombre de personnes identifiées comme sympathisantes de l’opposition ont été enlevées, battues et violées par des hommes armés. Depuis, l’espoir de la population zimbabwéenne s’effrite.

Des promesses non tenues

Après des mois d’effondrement économique et une nouvelle inflation, avec des infrastructures et des services publics qui se détériorent toujours plus, les médecins ont fait grève en décembre 2018 pour une augmentation salariale et l’amélioration de l’équipement hospitalier. Le gouvernement a répondu en déclarant la grève illégale.

Le 14 janvier 2019, le Congrès des syndicats du Zimbabwe a appelé à trois jours de grève générale pour contester l’augmentation continue du coût de la vie, les politiques d’austérité, la pénurie alimentaire et en carburant, dont le prix a augmenté de 250%. La plupart des écoles, des magasins, des entreprises et plusieurs départements du gouvernement étaient fermés. De nombreuses barricades empêchaient la circulation des transports publics. Et les fiefs de la ZANU-PF se sont joints à la grève.

Réaction violente du gouvernement

Paniqué à l’idée d’une insurrection, le gouvernement a envoyé l’armée et les forces de police, qui ont arrosé les grévistes de gaz lacrymogène et tiré à balles réelles. Parmi les centaines de personnes – y compris des enfants – arrêtées sans motif, la plupart ont été passées à tabac et torturées par des hommes armés et masqués avant d’être enlevées. Plus de 800 prévenu·e·s ont été jugé·e·s en comparution immédiate par groupes de 50. On compte des dizaines de morts et de disparitions, dont celles de syndicalistes. Le 16 janvier, le gouvernement a fermé Internet «dans le but d’apaiser les manifestant·e·s», dissimulant une répression brutale.

Pendant la grève, Emmerson Mnangagwa – que beaucoup tiennent pour responsable des massacres de 20 000 civil·e·s entre 1983 et 1987, avec l’appui de Mugabe et du régime nord-coréen – est allé en Russie faire les yeux doux à Poutine, qu’il considère comme son «frère aîné». Après que son porte-parole a rappelé que la répression des manifestant·e·s n’était «qu’un avant-goût de ce qui allait leur arriver», le président a décidé de rentrer au pays et de passer outre sa participation au Forum économique mondial de Davos, où il espérait rencontrer de futurs investisseurs.

Ursula Rouge