Un manifeste écosocialiste en débat

Notre camarade Michel Ducommun vient de publier Un Manifeste écosocialiste, une contribution bienvenue à la discussion sur l’horizon de nos luttes.


George Nyssky, Kholkoze Zogorje, 1960

La réflexion que propose cette brochure s’ouvre sur un constat: la victoire du capitalisme à l’échelle planétaire signe la défaite de l’humanité. Elle se poursuit par un bref rappel: le ressort fondamental du système, c’est l’accumulation de la plus-value produite par le travail qui exige une augmentation sans fin du volume de la production, compte tenu du poids relatif croissant des immobilisations qui ne produisent pas de valeur par elles-mêmes. Elle débouche sur une mise au point: les révolutions socialistes du passé ont échoué parce qu’elles n’ont pas donné la priorité à l’extension de la démocratie (au niveau de la production comme de la société dans son ensemble). Jusqu’ici, on ne peut qu’être d’accord avec l’auteur.

Lénine contre Marx?

Son analyse des causes de l’échec de la révolution d’Octobre pose plus problème. Si Michel Ducommun souligne à juste titre l’impact négatif des mesures d’exception prises par Lénine et ses camarades, il ne les replace pas dans le contexte des ravages de la Première Guerre mondiale et de la guerre civile: tenir coûte que coûte jusqu’à la victoire imminente de la révolution dans les pays les plus avancés, en particulier en Allemagne. Lorsque cet horizon s’éloigne (dès 1921), les bolcheviks adoptent un cours plus prudent avec la Nouvelle économie politique (NEP), même s’il s’agit toujours de « tenir » (combien de temps?) dans un pays sous-développé, où la croissance des forces productives reste une priorité pour que « le socialisme » ne se réduise pas au partage de la misère.

Ceci dit, il est certain que les bolcheviks n’ont pas vu venir la corruption croissante de leur parti-État, incarnée par sa bureaucratie montante, dont le principal dirigeant était déjà Staline. Ils ont dès lors sous-estimé la nécessité impérieuse du débat démocratique et de la participation des travailleurs·euses à la gestion de l’État comme condition du socialisme en construction. La répression du soulèvement de Kronstadt (en mars 1921) a été une véritable catastrophe, tout comme le combat politique contre « l’Opposition ouvrière » au sein du parti. De là à faire de Lénine un précurseur du stalinisme… Ce serait oublier qu’il a été l’un des premiers au sein de la direction bolchevique, dans la dernière période de sa vie consciente, à tenter d’engager la bataille contre ce danger mortel (voir Moshe Lewin, Le dernier combat de Lénine, 1967).

Quel horizon écosocialiste?

Le maintien de l’organisation de la production sur le modèle capitaliste est l’autre critique formulée par Michel Ducommun à l’endroit des bolcheviks et de Lénine. Si ses remarques sont pertinentes dans le cadre d’un pays industriel avancé, il me semble qu’il fait une nouvelle fois abstraction de la situation concrète de la toute jeune république soviétique du début des années 1920. Faut-il s’étonner que les bolcheviks aient alors conçu la réhabilitation et la remise en marche d’un appareil productif dévasté, mu par des travailleurs·euses exsangues, en faisant appel au « capitalisme d’État »? Le droit à la paresse de Paul Lafargue (1880) n’aurait en effet guère pu leur donner de réponse à la pénurie généralisée des biens les plus essentiels. Mais de là à faire de nécessité vertu, il y a un pas à ne pas franchir. Michel a donc raison de renouer avec l’objectif d’une réduction massive du temps de travail pour les écosocialistes d’aujourd’hui.

Il conclut son essai par une série de remarques sur la bataille des idées, qui assume en effet une grande importance, en particulier dans la période actuelle, où les conditions du dépassement du capitalisme ne sont pas seulement mûres, mais menacent de déboucher sur la barbarie si la lutte de celles et ceux d’en bas ne parvient pas à se frayer un chemin vers un horizon écosocialiste révolutionnaire. D’où l’importance qu’il accorde à la présentation d’un projet de rupture radical: suppression de la propriété privée des moyens de production et du salariat ; organisation démocratique des producteurs et des productrices associé·e·s pour satisfaire les besoins humains fondamentaux ; gratuité du nécessaire et marche vers une abondance limitée par les seules contraintes écologiques ; dépassement de la division ville-campagne ; horizon international.

Un manifeste à lire, à questionner et à débattre.

Jean Batou

Michel Ducommun
Un Manifeste écosocialiste
Disponible dans les librairies du Boulevard et Fahrenheit à Genève, ou sur demande par mail à l’auteur: michel.ducommun@sunrise.ch