Les Gilets jaunes et le combat pour la justice climatique

Nous reproduisons des extraits d’un article d’Andreas Malm qui explique que, pour sauver la planète, nous devons poursuivre une autre politique climatique. Celle-ci a beaucoup à apprendre des méthodes et tactiques des Gilets jaunes.


Manif climat, Paris, 8 décembre – Jeanne Menjoulet

Si quiconque avait besoin d’apprendre comment ne pas combattre le changement climatique, il peut remercier Emmanuel Macron: suppression des taxes pour les plus riches, puis augmentation des taxes sur les carburants. Une autre façon de se tirer une balle dans le pied tout en prétendant marcher vers un futur plus vert. La gestion capitaliste du climat a excellé au cours des deux dernières décennies dans ce genre de pseudoréformes.

D’une certaine façon, cela a toujours permis de s’assurer que le fardeau finisse par tomber sur les épaules des pauvres: conversion des terres agricoles en biocarburants et augmentation des prix de la nourriture ; « responsabilisation » des consommateurs et consommatrices ordinaires des pays occidentaux vis-à-vis des excès de CO2 et incitation à choisir des alternatives souvent plus chères, etc.

Des illusions vivaces…

Aujourd’hui, Macron est le soi-disant gardien de l’Accord de Paris, le dernier leader mondial à garder un œil sur le prix de la diminution des émissions. Mais il arrive trop tard, car le type de gouvernance qu’il chérit a révélé ses failles il y a longtemps. Il a fallu les Gilets jaunes pour le sortir de l’illusion: on ne peut combattre le changement climatique en laissant les plus riches accumuler du capital puis taxer les travailleurs·euses pour les pousser, toutes classes confondues, dans la bonne direction. Cela ne fonctionnera jamais.

Les lobbies verts rassemblés à la COP 24 ont accueilli la décision de Macron de suspendre la taxe sur les carburants avec consternation: « Si la France freine la taxe sur les carburants, elle freine la transition énergétique et envoie un très mauvais signal! » a déclaré Pierre Cannet, responsable des Programmes Climat, Énergie et Villes durables de WWF France.

Mais la taxe n’aurait pas transformé le parc automobile français en parc sans nuages. Son seul effet réel se serait fait ressentir dans le portefeuille des plus pauvres, qui ne peuvent se permettre de se débarrasser de leurs vieilles voitures.

Néanmoins, les voitures doivent être retirées des routes de toute urgence. Comment s’en assurer? D’abord grâce à l’expansion massive des transports publics dans les zones urbaines autant que rurales, la diffusion importante de modes de transport alternatifs, l’interdiction des voitures privées fonctionnant aux combustibles fossiles dans les villes, le redécoupage des zones d’activités économiques pour mettre fin à l’étalement, l’électrification rapide des voitures restantes. Bref: il faut un investissement et une organisation publics à une échelle qui correspond à l’urgence climatique.

…aux solutions radicales

Cela ne devrait sacrifier ni les emplois ni le niveau de vie des travailleurs·euses, mais les améliorer, en coupant les ailes aux ultra-riches. Macron, le président des riches, cherche plutôt à compenser les vices des possédant·e·s en faisant porter leur croix par d’autres. Mais l’époque où l’on pouvait imaginer que de telles mesures pouvaient faire une différence pour le climat est révolue: tout progrès qui veut empêcher le dérèglement climatique nécessite d’assiéger et de prendre d’assaut les citadelles.

Deuxième leçon de ces dernières semaines: c’est par la lutte que nous obtiendrons des progrès sur le front climatique, en bloquant la circulation, en refusant d’aller à l’école, en occupant les rues, en attaquant la forme de consommation la plus nuisible pour l’environnement: les orgies luxueuses et ostentatoires des riches. Et pourquoi pas en brûlant des voitures? Parce que ni Macron ni aucun autre leader d’un État capitaliste n’est prêt à faire ce qui doit être fait, nos États doivent être contraints d’agir, par le pouvoir d’en bas.

Il y a bien sûr des mouvements pour le climat qui agissent déjà dans cet esprit, comme Ende Gelände, qui, en octobre dernier, a vu quelque 6000 militant·e·s bloquer les voies ferrées transportant le lignite (un charbon), le combustible fossile le plus sale, des mines aux centrales électriques au cœur de l’industrie allemande.

En blanc et non en jaune, Ende Gelände était pourtant loin d’atteindre l’ampleur populaire ou le niveau insurrectionnel des Gilets jaunes. Raison de plus pour apprendre d’elles et eux. Un graffiti tagué au centre de Paris samedi dernier affirme que « la crise climatique est une guerre contre les pauvres ». On peut espérer une présence plus systématique du militantisme climatique parmi les Gilets jaunes. C’est précisément le genre de convergence des luttes qui est nécessaire.

Traduit de l’anglais par Sophie Coudray pour la revue Contretemps. Coupes, intertitres et adaptation de la rédaction