Libre de passer des frontières meurtrières

Agriculteur dans la vallée de la Roya, Cédric Herrou a été condamné en France pour « délit de solidarité » après avoir aidé plus de 250 migrant·e·s à passer la frontière franco-italienne. Nous l’avons rencontré à l’occasion de l’avant-première du film Libre.

Peux-tu nous parler de Libre dans lequel tu es le principal protagoniste?

C’est un film politique qui montre comment des habitant·e·s d’un territoire le défendent et se mettent en conflit avec l’État et ses représentant·e·s de la justice, et comment on peut lutter contre la problématique du blocage de frontières, qui a été décidée à Paris. En tant qu’habitant·e·s de la Roya, nous sommes dans une vallée frontalière entre la France et l’Italie avec des personnes bloquées, des personnes en danger et nous décidons d’agir.

Nous ne sommes pas des militant·e·s au départ: nous décidons sans réfléchir d’aider ces personnes à passer la frontière. Pour y arriver, on s’entoure d’infirmières et d’infirmiers, d’avocat·e·s, de juristes, de bon sens paysan et de bonnes bières aussi et nous commençons à lutter comme ça. Ce film, c’est une histoire simple d’une lutte compliquée dans un tout petit territoire qui s’appelle la vallée de la Roya.

Quelle est ta réponse aux personnes qui affirment qu’on ne peut pas accueillir « toute la misère du monde »?

Nous n’avons pas accueilli toute la misère du monde, nous avons géré une problématique. Nous avons accueilli des gens, beaucoup de gens, et ça s’est bien passé. Je pense que c’est ce qui a un peu dérangé l’État et le gouvernement, c’est qu’on ait réussi, sans qu’il y ait eu de problèmes ou de vols. On a accueilli en tout 2500 personnes sur une vallée de 5000 habitant·e·s, ce qui est quand même beaucoup.

Chez moi, on a eu jusqu’à 250 personnes à dormir en même temps. Ça a été compliqué, difficile, mais nous avons relevé le défi avec les moyens du bord et avons réussi à prouver qu’avec pas grand-chose, on pouvait réussir à gérer les choses modestement et faire comme on peut dans l’urgence. Quand on voit que la France, septième puissance mondiale, n’arrive pas à gérer la migration, et que la migration est instrumentalisée par des politiques pour fédérer autour de la peur, c’est là qu’on comprend la médiocrité de la politique. Il est plus que jamais nécessaire de considérer les personnes migrantes comme des individus, et non pas comme un problème. Car notre point faible, c’est qu’on n’arrive pas à montrer que derrière les chiffres et les statistiques, il y a des gens.

Propos recueillis et adaptés par Alexandre Salama & Jorge Lemos