Mort de Li

Mort de Li

Elle s’appelait Li… Je n’ai pu retenir la suite de son nom. Elle habitait la campagne en Chine du nord. Une campagne très pauvre, où sa famille peinait à vivre tant leur revenu agricole était faible, sans compter les taxes. Ont-elles été conçues aussi pour inciter les paysans à quitter leurs terres et venir grossir les stocks intarrissables de mains-d’oeuvre?


La Chine, en bonne élève du capitalisme néolibéral, a compris qu’elle peut produire d’énormes quantités de marchandises pour l’exportation. Elle bénéficie en effet d’un avantage comparatif décisif: «une main-d’oeuvre à bas prix». Grâce aux revenus d’exportation, les entrepreneurs privés s’enrichissent et le régime renforce son pouvoir, engraisse ses mandarins et réinvestit dans les infrastructures pour améliorer les conditions cadres… de l’économie.


Mais revenons à Li. A quinze ans, elle quitte son village et se rend en ville (sur la côte Est) pour trouver un emploi. Son salaire est dérisoire. Elle travaille 14 à 18 heures par jour, 6 jours sur 7. Mais rassurez-vous, il y a une cantine, un magasin d’entreprise et tout le confort de base. Zola ou Dickens, avec quelques commodités en plus. Bref, Li travaille, ou plus exactement elle se défonce au labeur, sous l’oeil vigilant de ses matons-contremaîtres, chefs d’atelier ou gestionnaires de ressources humaines. Trois ans plus tard, elle succombe d’une overdose d’exploitation, au cours de sa dix-neuvième année.


Que fabriquait-elle au juste? Des ours en peluche. Elle cousait des pièces sur ces jouets – jouets de qualité «handmade» – pour la plus grande joie des parents et amis des enfants que nous sommes. Consommateur, pourrais-tu un jour être plus clairvoyant que les trois premières lettres de ton nom ne l’indiquent? Il est grand temps de rompre avec cette sotte croyance qui veut que la croissance du PNB entraîne une amélioration du sort de toutes et tous. Elle est surtout indispensable à l’accumulation exponentielle du capital. Et cette accumulation non répartie augmente évidemment les inégalités, la violence.


Jacques SILBERSTEIN