Optimisation fiscale à la vaudoise

Une contribution à la mondialisation néocoloniale

Les quelques arrangements fiscaux dont bénéficie depuis son entrée en fonction le Ministre des finances du canton de Vaud ont fait le tour des médias. En collaboration avec l’inspection fiscale et un bureau d’audit, l’expert indépendant, juge retraité à Fribourg, en a dénoncé les détours à la limite de la légalité.

Pascal Broulis jure
«Je l’avoue, j’aime l’impôt, cet inséparable compagnon de la démocratie»

Au-delà de ce qui pourrait relever de la simple anecdote fiscale, les stratégies personnelles de Pascal Broulis s’inscrivent à vrai dire dans la ligne des abattements fiscaux dont il a fait bénéficier personnes morales et riches particuliers établis dans le canton de Vaud, depuis son accession au pouvoir et avec la complicité du Conseil d’État.

Du côté des grandes entreprises, on se rappelle le cas d’école offert par Vale, la grande entreprise multinationale d’origine brésilienne spécialisée dans l’extraction et le commerce des matières premières. Ayant installé son siège social dès 2006 à Saint-Prex, Vale a d’emblée bénéficié d’une exonération fiscale presque entière: 100 % de l’impôt sur les bénéfices pour l’impôt communal et l’impôt cantonal, assorti d’un abattement de 80 % sur l’impôt fédéral direct ; cela sous le prétexte d’un bénéfice prévisionnel de 35 millions de francs, alors que ce revenu s’est élevé à près de 5 milliards pour l’année concernée ; et cela jusqu’à que, en 2012, le Contrôle fédéral des finances exerce enfin sa fonction. Rappelons encore qu’en 2009 l’entreprise a rémunéré ses actionnaires à hauteur de 2,75 milliards de dollars alors que le total de sa masse salariale est inférieur à ce chiffre. En prime, l’exonération fiscale dont elle jouit en Suisse lui permet de soustraire plus des deux tiers de ses bénéfices à la fiscalité des pays dont elle les tire. Par ailleurs, on sait que l’activité extractive de Vale est responsable non seulement de différentes pollutions de l’environnement dans les pays pauvres dont elle exploite les mines, mais aussi de nombreuses violations du droit du travail et de multiples pratiques répressives notamment par le recours à des milices paramilitaires.

Du côté des individus, on se souvient avec quelle conviction Pascal Broulis a défendu les forfaits fiscaux accordés aux riches étrangers domiciliés en Suisse et censés ne pas y exercer d’activité lucrative. Grâce à la campagne active qu’il a menée, l’initiative demandant leur suppression a été repoussée en 2014 par un taux record de non dans le canton de Vaud. Résultat: en 2017, avec 1218 assujettis contre 127 à Zoug ou zéro à Zurich et les deux Bâle qui les ont abolis, la canton de Vaud bat le record absolu d’un favoritisme fiscal aussi injuste qu’immoral. C’est au bénéfice d’un très généreux forfait fiscal qu’Ingvar Kamprad, le patron d’IKEA, a pu continuer à administrer, par fondations interposées, des bénéfices qui lui ont permis d’accumuler une fortune estimée à 35 milliards de francs.

L’austérité derrière les cadeaux fiscaux

Et que dire de la RIE 3 vaudoise? En dépit du rejet par le peuple en février 2017 de la loi sur la réforme fédérale de l’imposition des entreprises, Pascal Broulis s’entête, avec le Conseil d’État, à vouloir abaisser le taux d’imposition des entreprises sises dans la canton de Vaud à 13,79 %. Dans la compétition à la sous-enchère fiscale, il bat ainsi même Donald Trump qui a obtenu du Congrès américain un abaissement du même impôt à 20 %, en fait 25,5 %. Et c’est sans compter toutes les niches fiscales réservées uniquement aux grandes entreprises, en général multinationales. Que dire par ailleurs de l’accueil inconditionnel réservé aux richissimes représentants de l’oligarchie économique et financière russe? Ils ne manquent pas d’investir sur tout l’arc lémanique dans un immobilier qui échappe totalement à la loi contre le blanchiment de l’argent sale.

Pendant ce temps, Pascal Broulis s’est refusé à prendre en considération l’achat de deux fleurons du patrimoine architectural et culturel vaudois, soit le Château de Hauteville et la maison Ramuz à Pully. Pendant ce temps, on apprend que sur une moyenne suisse de 37 soignant·e·s professionnel·le·s pour 100 places en EMS, le canton de Vaud se retrouve en queue de peloton avec 26 personnes seulement (chiffres 2016). Par ailleurs, l’intention est désormais de fermer l’un des quatre foyers qui, par l’intermédiaire de l’EVAM, permettent d’accueillir les mineurs non accompagnés, avec une dotation en personnel bien inférieure à celle des foyers réservés aux jeunes résident·e·s. Cela pour ne prendre que quelques exemples récents ; cela sans parler des pertes fiscales conséquentes qu’entraînera l’introduction de la RIE 3 vaudoise pour les finances des communes, en particulier celles qui assument les services sociaux les plus importants.

L’accueil fiscal avantageux réservé dans le canton de Vaud aux multinationales et aux étrangers·ères les plus fortunés est en contraste fort avec les contraintes policières imposées aux demandeurs d’asile et migrant·e·s: hommes, femmes et enfants particulièrement précarisés, qu’on n’hésite pas à enfermer en camps de rétention administrative pour mieux les expulser, souvent de manière violente.

«Je l’avoue, j’aime l’impôt, cet inséparable compagnon de la démocratie», écrit Pascal Broulis dans un livre récent. Le Ministre a de la démocratie une idée très sélective. Une fois encore, son critère est d’ordre purement financier et capitaliste.

Claude Calame