Sordide débat sur le deal de rue à Lausanne

Facette la plus visible la drogue, le deal de rue exacerbe les tensions à Lausanne, favorisant les mesures sécuritaires et les discours à caractère raciste. Fin mai, le cinéaste Fernand Melgar a relancé la polémique en dénonçant le «laxisme» de la Municipalité.

Chaque année, plus de 150 personnes meurent en Suisse à cause des drogues dures. Touchant particulièrement les couches les plus précaires, la consommation de drogues constitue un problème sanitaire et social qu’il faut traiter à la racine.

Vrai-faux débat

C’est l’inverse qu’a entrepris Fernand Melgar, s’attaquant à l’aspect le plus visible du problème: le deal de rue, pratiqué essentiellement par des personnes noires à Lausanne. Partant d’un décès survenu dans le quartier de Saint-Roch, le cinéaste dénonce un «homicide par négligence», accusant des dealers d’attendre les enfants à la sortie des écoles, voire d’échanger des doses contre des faveurs sexuelles. Ces individus souffriraient d’une «misère sexuelle» liée à leur parcours migratoire et, venant d’Afrique de l’Ouest, auraient «un fort potentiel d’être porteurs de VIH. Alors, sans vouloir les diaboliser, ajoute-t-il, y a juste une question de salubrité publique».

Ces amalgames, nourris de préjugés racistes, donnent une fausse réponse au sentiment d’insécurité réel que ressent une partie de la population.

À la racine du mal

Le problème est ailleurs, tant il est démontré que la proximité d’une zone de vente n’influe pas sur la consommation. Cette partie émergée de l’iceberg cache un système qui génère d’énormes profits: 31 milliards d’euros en 2016 en Europe. Des mafias usent des largesses de la législation helvétique en matière de blanchiment d’argent sale, avec la complicité des banques suisses. On ne combat pas un tel fléau en augmentant les effectifs policiers dans la rue.

Pourtant, la Municipalité vient d’annoncer un renforcement de la présence policière sur six «points d’attention du centre-ville». Or, réprimer le deal de rue déplace le problème tout en l’intensifiant, attise les tensions et renforce la stigmatisation des personnes qui dealent.

La toxicomanie n’est pas un problème sécuritaire. Dépénaliser et contrôler la distribution des stupéfiants permet d’endiguer le marché noir, avec ses violences et sa corruption. La dépénalisation fait aussi partie de toute politique pertinente en matière de santé publique et de prévention. Garantir un permis de séjour et de travail offrirait des perspectives autres que l’illégalité pour survivre. Des minima sociaux suffisants et des politiques de réinsertion réduiraient la précarité, propice à la consommation de drogues.

Le marché illégal de la drogue sert des intérêts bien loin de ceux des consommateurs·trices, des riverain·e·s, ou des dealers. Tou·te·s subissent cette situation. Prendre le problème à la racine implique d’en extraire les passions et les préjugés.

Pierre Conscience