Un pas vers une Irlande féministe et inclusive?

En Irlande, après 35 ans d’interdiction et des milliers de victimes, la légalisation de l’avortement a récolté 66,4 % des suffrages le 26 mai. Les féministes et proféministes des premières heures ont enfin récolté les fruits de leur activisme. Des personnes de tous bords ont rejoint leur campagne.


Ellen Musgrove

Entre 1980 et 2016, plus de 170 200 femmes ont quitté l’Irlande pour se faire avorter dans un pays voisin. Chaque année, 1500 femmes se procurent illégalement une pilule abortive, qu’elles prennent seules, sans supervision médicale possible.

En plus des souffrances psychologiques et physiques qui sont le lot de tout avortement, ces femmes subissent souvent stigmatisation et discrimination une fois rentrées au pays. Avec des conséquences bien plus graves pour celles qui sont déjà marginalisées en raison de leur pauvreté, d’un handicap, d’un trouble mental, de violences domestiques, ou qui sont en attente d’une régularisation.

Par ailleurs, avorter à l’étranger suppose d’assumer les frais du voyage et de l’intervention – jusqu’à 2400 euros – et d’accepter des soins postavortement souvent insuffisants du fait d’un séjour limité dans le pays d’accueil.

Depuis l’introduction du huitième amendement en 1983, durcissant la loi de 1861, les groupes pro-choix n’ont cessé de lutter pour un accès légal à l’avortement, afin d’offrir aux femmes l’autonomie et le libre choix que les conservateurs leur confisquaient. Malgré les risques – jusqu’à 14 ans d’emprisonnement pour diffusion d’informations sur l’avortement –, ces groupes ont non seulement réussi l’exploit d’une lutte active de 35 ans, mais ils sont parvenus à rassembler des personnes d’horizons divers.

Inclure les femmes handicapées

En avril, l’association de défense des droits des personnes atteintes de handicap mental, Inclusion Ireland, se joignait à la campagne. Ses membres ont mis en avant les difficultés rencontrées par les femmes handicapées lorsqu’il s’agit de leurs projets personnels et familiaux et du respect de leurs droits reproductifs. Difficultés auxquelles il faut ajouter les traitements souvent odieux qui leur sont réservés en cas de grossesse.

En 2017, l’activiste Suzy Byrne avait critiqué l’attitude de l’État, du personnel soignant et de nombre de citoyen·ne·s vis-à-vis des personnes handicapées, souvent reléguées au statut de citoyennes de seconde zone. En 2018, lors de la campagne pour la légalisation de l’avortement, elle s’est de nouveau fait entendre, dénonçant d’abord l’instrumentalisation du handicap dans certaines campagnes pro-choix ou anti-avortement.

Elle a aussi souligné, avec d’autres,les difficultés supplémentaires auxquelles font face les femmes handicapées qui souhaitent avorter: impossibilité physique de voyager à l’étranger pour certaines ; impossibilité financière d’une interruption de grossesse à l’étranger en raison du manque d’accès aux transports publics et à l’hôpital d’accueil, ce qui triple les coûts alors que les personnes handicapées sont plus exposées à la pauvreté ; impacts sur la santé et le bien-être psychiques, notamment à cause de l’obligation au secret qui accompagne tout le processus d’avortement ou de la séparation avec leurs proches et/ou soignant·e·s habituels ; manque d’accès aux informations permettant une décision éclairée.

Nombre de femmes handicapées désirant avorter sont ainsi contraintes de mener leur grossesse à terme, sans considération pour de possibles séquelles physiques et psychiques.

Le vote historique du 26 mai donnera aux femmes la liberté de disposer de leur corps et de leur vie comme elles l’entendent, de choisir d’avorter dans des conditions sûres et à des coûts moindres, entourées de leurs proches. Espérons aussi que cette victoire ouvre une discussion plus large sur le respect des droits sexuels et reproductifs de toutes les femmes.

Ursula Rouge