Une guerre pour en cacher une autre

Dans son livre La guerre des métaux rares, paru en janvier, le journaliste Guillaume Pitron propose une critique de la «révolution verte» à travers le prisme des matières premières. Malheureusement, le livre est entaché d’approximations et l’enchaînement des chapitres laisse progressivement paraître un agenda politique beaucoup moins enthousiasmant.


Le «Rare Earth Lake» A Baotou (Chine), dans lequel sont déversés les résidus miniers.

Les «métaux rares» dont parle Guillaume Pitron ne sont pas tous difficiles à trouver sur Terre mais sont hautement stratégiques pour la Commission européenne et l’État français (voir encart). Ils ont été listés sur la base de leur «criticité» et de leur «importance économique». Mais important pour quoi? pour qui? Appelons-les simplement «métaux stratégiques» car ils sont essentiels à la bonne marche des industries de l’armement, de la chimie et de l’agriculture intensive.

Si l’auteur s’appuie sur six années d’enquête, il y mêle aussi des positions idéologiques pour le moins dérangeantes. Pour lui, la «révolution verte» liée aux énergies dites renouvelables et aux réseaux dits intelligents suivrait l’évolution naturelle de nos civilisations, nouvelle étape logique après les précédentes révolutions industrielles. À ces scientistes qui voudraient nous faire croire que la technique a toujours libéré l’humanité, on aimerait répondre qu’il est surtout grand temps que l’humanité se libère de la technique.

Pour Pitron, on ne pourrait pas fabriquer d’éoliennes, de panneaux solaires, de voitures électriques ou de smartphones sans métaux stratégiques, et surtout pas sans les terres rares (voir l’encart). En réalité, si la plupart des technologies standards utilisent bien des terres rares, l’auteur reconnaît lui-même que certains véhicules électriques et 30 % des éoliennes n’en contiennent pas. Et pas un mot sur les nombreuses alternatives existantes.

Surtout, une partie importante des métaux produits sert uniquement à l’industrie de l’armement, et sont donc extraits dans une logique purement militaire. Mais il est plus simple de continuer à culpabiliser les utilisateur·rice·s de smartphones que de s’attaquer au complexe militaro-industriel.

Cette «révolution verte» n’a rien d’une révolution si elle reproduit les codes économiques du néolibéralisme. C’est bien du «capitalisme vert» qu’il faut faire la critique. L’exploitation des métaux stratégiques est un désastre écologique? C’est important de le dire, mais c’est l’exploitation de tous les métaux, quels qu’ils soient, qui s’accompagne de dommages irréversibles et systématiques sur l’environnement et la santé. Rappeler cela permet de mettre à mal la théorie centrale de Pitron, qui propose d’ouvrir de nouvelles mines en France pour rétablir les équilibres géopolitiques et protéger l’environnement.

On nous vante la pertinence de politiques publiques permettant de répondre aux besoins de l’industrie française, alors que la grande majorité des projets miniers se focalisent sur l’exploitation de l’or. Rappelons que les faibles besoins en or de l’industrie mondiale sont largement couverts par le recyclage. L’extraction d’or est un non-sens au 21e siècle et ne sert qu’à produire plus de lingots et de bijoux. On nous parle de milliers d’emplois potentiels, pourtant l’auteur reconnaît lui-même que la mine ne génère que très peu d’emplois. D’ailleurs, une fois les métaux extraits, qu’est-ce que la France va en faire? Les renvoyer vers les usines chinoises? On marche sur la tête. Ouvrir des mines ici n’en fermera pas d’autres ailleurs.

Le vrai problème n’est donc ni de savoir si on va propulser des voitures avec du pétrole ou avec des batteries au lithium, mais si nous voulons continuer à vendre des autos vouées à ne plus rouler après 5 ou 10 ans, si nous voulons continuer à fabriquer et vendre toujours plus d’armes, si nous voulons stocker des milliards de données informatiques à travers le monde, et si nous voulons continuer à briser les vies de milliards de travailleurs·euses subissant des conditions de travail souvent mortelles et des niveaux de rémunération indécents.

Si nous voulons des sociétés justes et respectueuses de la planète, les énergies dites renouvelables et le numérique ne seront qu’un outil, pas une fin en soi. C’est tout notre modèle d’exploitation des ressources, de production et de consommation qu’il faut critiquer et repenser. La «révolution» ne se fera pas en reproduisant ici la misère que nous avons créée ailleurs.

Pedro Spluzjoni


Un problème de définition

Le terme métaux rares est de plus en plus utilisé, mais il n’en existe pas de définition claire. Dans ce livre, il recouvre un mélange bancal de «criticité», de rareté géologique et de valeur commerciale.

Et on y amalgame souvent les «terres rares», 17 métaux ayant des propriétés communes et qui, contrairement à leur nom, sont communément répandues sur Terre. Mais ce sont de très petits métaux, très dispersés. C’est pourquoi nous n’avons découvert leurs propriétés qu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

En fait, les métaux rares dont parle Guillaume Pitron proviennent de la table des «matières premières critiques» identifiées par la Commission européenne.