Déni de droit pour les réfugiés érythréens

Le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) a annoncé début avril que les réfugié·e·s érythréens admis à titre provisoire (permis F) pourraient perdre leur statut. Des lettres ont été envoyées à 3200 concerné·e·s, précisant que le SEM a l’intention de lever l’admission provisoire et d’ordonner l’exécution du renvoi. Ce changement de pratique intervient après un arrêt du Tribunal administratif fédéral (TAF) d’août 2017, estimant que le retour en Erythrée pouvait être licite et exigible.

Avant tout, les motifs de fuite des Erythréen·en·s (environ 25 % des demandeurs·euses d’asile en Suisse, l’équivalent de 0,33 % de la population suisse) sont la désertion et les persécutions politiques ou religieuses. Hommes et femmes en Erythrée sont en effet tenus d’accomplir un «service national» de durée illimitée, dans un domaine militaire ou civil. Des violations des droits humains sont continuellement rapportées, notamment au sein du pan militaire du service national (détentions arbitraires, tortures, viols, etc.). Malgré cela, le TAF considère que le retour en Erythrée ne présente pas de risque. Ce jugement a également d’autres conséquences: sans statut, les Erythréen·ne·s sont contraints de vivre en Suisse dans la précarité de l’aide d’urgence, en se voyant privés du droit de travailler.

La Suisse devant le Comité de l’ONU contre la torture

Pourtant, cet arrêt se trouve à l’heure actuelle devant le Comité de l’ONU contre la torture (CAT), qui en examine la conformité avec la convention ratifiée par la Suisse. Ainsi, toutes les décisions prises par le SEM basées sur cet arrêt du TAF sont susceptibles de violer la convention anti-torture, la Constitution fédérale et donc le droit international et national. Pour respecter les conventions internationales, si ce n’est le droit à la sécurité et à la protection des Erythréen·ne·s, il s’agirait à tout le moins d’attendre que le CAT se soit prononcé quant à la légalité de l’arrêt du TAF avant de prononcer des décisions qui pourraient ensuite être annulées.

L’UDC chef d’orchestre

Par ailleurs, on observe depuis plu­sieurs années une augmentation des refus d’accorder l’asile à des personnes ayant fui l’Erythrée. Ces refus ne sont pas motivés par une amélioration de la situation en Erythrée, mais par une pression de plus en plus forte de l’UDC sur le Parlement. En 2007 déjà, Christoph Blocher propose un arrêté fédéral urgent pour exclure la désertion ou l’objection de conscience comme preuves d’une persécution politique. Cet article de loi (article 3, alinéa 3 de la loi sur l’asile), surnommé Lex Eritrea, finira par être avalisé par le parlement puis par le peuple dans la dernière révision de la loi sur l’asile en 2016.

Aude Martenot