Etat espagnol

Etat espagnol : Grève féminste - Quand les femmes disent «ça suffit!»

Quand les femmes disent «ça suffit!»

Le 8 mars 2018 (8-M), à l’appel du mouvement féministe, des millions de femmes sont descendues dans les rues des villes et des villages.

Cette date passera dans l’histoire comme le jour de la plus grande mobilisation féministe jamais connue dans l’Etat espagnol et restera gravée dans la vie des femmes ayant partagé l’émotion de ce cri collectif indigné, revendicatif et d’espérance lancé ce jour-là.

Les commissions féministes du 8-M ont convoqué une grève féministe portant sur quatre aspects: production, travail des soins, consommation et grève étudiante. L’appel à la grève, concernant la journée complète, a été appuyé par certains syndicats, même si les syndicats majoritaires (UGT et CC.OO.) n’ont appelé qu’à des grèves de 2 heures.

Les motifs de cet appel ne se limitaient pas à la situation économique des femmes et n’étaient pas motivés par le seul fonctionnement économique du système capitaliste. Ils concernaient aussi nos corps, notre droit à décider, la reconnaissance d’identités non normatives, le droit à des vies libérées de la violence machiste et du racisme. Des droits individuels réclamés par le féminisme dans le cadre de la justice sociale et compris comme traversés par d’autres axes de hiérarchisation sociale.

On appelait à une grève sociale

L’argumentaire comprenait quatre axes: violences, corps, frontières et économie, articulant les dimensions économique, écologique, culturelle et sociale qui alimentent le système patriarcal, capitaliste, raciste, hétéronormatif et biocide. La force transformatrice de la proposition émise le 8-M réside dans cette articulation.

La grève a été gagnée, parce que le débat a été gagné et qu’il s’est traduit par une volonté de rendre cette protestation collective. Des collectifs très différents de femmes l’ont transformée en grève de toutes: des travailleuses domestiques aux retraitées, des étudiantes aux salariées précaires, des lesbiennes et des transgenres aux femmes migrantes, des écologistes à celles qui luttent pour le logement et contre la pauvreté énergétique, et un interminable etc. L’organisation des journalistes nous a donné le 8 mars une «panne» de 24 heures dans les rédactions de tous les médias, où les journalistes ont couvert les nouvelles, en montrant «le vide que laissent les femmes». Cela a démultiplié l’impact de la grève.

Le succès de cette proposition réside dans son caractère innovateur: elle transcende la grève traditionnelle comprise comme touchant uniquement le secteur de la production, pour la situer comme élément central de la reproduction sociale, soins et travaux domestiques effectués par les femmes. Elle articule ainsi le champ productif avec celui de la reproduction sociale en les situant comme faisant partie du même processus économique. Cela représente un défi, car à partir de cette date aucune grève ne pourra plus se dénommer «générale», si elle ne comprend pas la grève des soins. Ainsi, le mot «grève» acquiert une autre signification.

Le jeudi 8 mars, la grève était déjà gagnée grâce au processus mis en marche par des centaines d’activistes qui l’ont compris comme le début d’un processus de changement dans la conscience et les pratiques des femmes et comme un changement social.

Ce fut une protestation sociale, clairement politique, chargée d’émotion et de raison, répondant à un appel qui exige un changement. Et elle s’est manifestée ainsi par les manifestations massives du 8-M, par les concerts de casserole de la nuit précédente, les piquets matinaux et les rassemblements à midi sur les places de tous les quartiers et de toutes les localités.

Le féminisme a gagné l’hégémonie dans la rue et proposé un nouveau sens commun. Il reste à écrire le futur.

Justa Montero

Activiste féministe, membre de la commission féministe du 8 mars (Madrid) Traduction de l’espagnol: Hans-Peter Renk


«Pourquoi pas nous?»


Julia Camara lors de la conférence de Neuchâtel

Une question qui a inspiré des millions de femmes et de filles, mobilisées dans une grève d’un jour pour dire leur colère et leur détermination à ne plus se laisser harceler, exploiter, mépriser. Militante d’Anticapitalistas et porte-parole de la coordination 8 mars (Madrid), Julia Camara a passé trois jours en Suisse romande, invitée par solidaritéS, pour présenter l’incroyable succès de la grève féministe qui a secoué l’Etat espagnol.

Cette mobilisation hors du commun n’est ni tombée du ciel, ni le fruit du hasard. Préparée minutieusement depuis une année , elle s’est nourrie des mobilisations argentines #NiUnaMenos, des manifestations de masse qui ont suivi l’élection de Trump, du phénomème #Metoo qui a envahi l’espace public, mais surtout de l’exemple de la grève du 8 mars 2017 des féministes italiennes «Non Una di Meno», proches d’elles à maints égards.

Julia nous a expliqué comment, un an durant, les féministes espagnoles ont travaillé, débattu, mobilisé en mettant la vie au centre des priorités et en inventant des formes d’organisation permettant à toutes les femmes, y compris celles qui n’étaient ni politisées, ni syndiquées, de se sentir concernées. Partout dans le monde, les contradictions entre le capitalisme et la vie s’intensifient et s’aggravent. Le rôle social des femmes – la reproduction de la vie – est devenu quasi impossible. Se nourrir sainement, être soignée, se loger, trouver un emploi à la hauteur de nos compétences et payé correctement… Partout les femmes se heurtent à des murs.

En 1991 nous l’avions déjà dit: «Dans le mot grève, il y a grrr et rêve».

Marianne Ebel