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Lausanne : Violences et mauvaises pratiques policières? - Circulez, y a rien à voir!

Circulez, y a rien à voir!

Au Conseil communal de Lausanne, la majorité rose-verte, épaulée par la droite et l’extrême droite, a repoussé la proposition de solidaritéS et du groupe Ensemble à Gauche (EàG) de mettre sur pied une instance indépendante pour recevoir les plaintes et dénonciations contre la police. Dans la continuité des politiques sécuritaires engagées depuis 2012 et en dépit du climat de tension lié à plusieurs décès, passages à tabac et pratiques discriminatoires, la majorité estime qu’il est urgent de ne rien faire.


Manifestation contre les violences policières, Lausanne 10 mars 2018

Nombre d’institutions et services publics bénéficient d’organes neutres pour traiter les plaintes et conflits. Mais pour contester une pratique policière, nous sommes invités à nous adresser à… la police. Cet état de fait ne garantit pas l’impartialité des procédures, la police étant à la fois juge et partie. C’est pourtant dans le domaine de la sécurité – par définition confronté aux situations les plus tendues – qu’une instance indépendante trouve tout son sens. Il s’agit de se prémunir d’abus éventuels de pouvoir de la part de la police et permettre à chacun·e de faire valoir ses droits sans entraves lorsqu’il s’agit de contester les pratiques de l’autorité policière.

Autorités épinglées

Or une telle instance n’existe pas pour l’heure en Suisse, une lacune dénoncée par de nombreux organes de surveillance et observateurs internationaux. Amnesty International dé­nonce depuis plus de dix ans cette carence aux trois niveaux institutionnels en Suisse, et propose la mise sur pied d’une telle instance. Dans un rapport sur les droits humains en Suisse, l’Association des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT) s’alarme: «En Suisse, les cas de violences policières de la part des services de la police et de l’immigration […] se sont multipliés depuis 2015. Ces faits ne sont pas systématiquement portés à la connaissance des autorités […], et les auteurs de ces actes et comportements sont rarement traduits en justice». Et l’organisme de proposer l’instance indépendante.

Une quantité d’autres organismes nationaux ou internationaux épinglent la Suisse pour ses insuffisances en matière de procédures contre la police. Au point que le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, dans la version 2017 de ses Examens périodiques universels, encourage la Suisse et ses régions à mettre sur pied de telles commissions. Même la Confédération a accepté, pour la première fois, d’entrer en matière sur la recommandation.

Les justifications d’un attentisme coupable

Cela n’a pas suffi à la majorité rose-verte et à la droite. A l’exception des votes de quelques conseillers·ères Vert·e·s que nous saluons, un collège unanime s’est trouvé pour le statu quo, de la gauche gouvernementale à l’extrême droite.

Mises à part les injures et injonctions nauséabondes de l’extrême droite à notre encontre, nos opposant·e·s ont d’abord invoqué l’existence d’une Commission de déontologie au sein de la police lausannoise. Un organe intégré à l’institution policière, composé de policiers·ères et qui ne peut pas être saisi par des tiers extérieurs au corps de police, qui ne permet pas d’obtenir un traitement impartial des plaintes. De plus, son intégration à la police peut lui conférer un caractère dissuasif et restrictif, hypothèse que renforce le peu de cas saisis chaque année.

Les opposant·e·s se sont ensuite retranchés derrière de supposés problèmes de conformité au cadre légal. En dehors du fait que ces problèmes n’existent pas, rappelons qu’il s’agissait d’un postulat au Conseil communal, c’est-à-dire d’un objet de délibération peu contraignant pour être discuté et réévalué après son approbation.

On a enfin accusé EàG de qualifier de racistes les policiers et policières, et de ne fonder notre proposition sur aucune base statistique.

Racisme structurel et réalité du terrain

EàG ne pointe pas du doigt des mauvais comportements individuels. La mesure cible des phénomènes structurels, constitutifs d’un racisme bien réel dans notre société. Ces phénomènes ne résultent pas d’une addition de personnes aux mauvaises intentions, et touchent la police au même titre que d’autres coprs de métier. Des rapports de domination racistes forgent notre vie en société, de la même manière que le patriarcat structure des rapports d’inégalité entre hommes et femmes.

Aussi, cette réalité n’est pas qu’une affaire statistique, dont l’absence est de la responsabilité de celles et ceux qui gouvernent. Elle se ressent sur le terrain, quand une centaine de Noir·e·s se sont rassemblés une semaine avant le vote de ce postulat, lors d’un débat que nous avions soulevé sur la politique sécuritaire de harcèlement des dealers de rue à Lausanne et les abus et excès qu’elle génère. Ou quand des centaines de personnes racisées manifestent, témoignent, protestent contre des pratiques excessives voire morbides depuis deux ans. Ou encore lors des rencontres proposées en 2016 par le Collectif A qui le tour?, offrant à une quarantaine de personnes noires la possibilité de parler des discriminations policières qu’elles subissent.

Dans un déni de réalité à couper le souffle, le PS et la droite ont préféré défendre la corporation policière et leur politique sécuritaire plutôt que de prendre en compte une contestation populaire qui monte. Face à ce blocage, la lutte contre le racisme d’Etat et les violences policières à Lausanne mérite de se poursuivre sur le terrain et les mobilisations. Les pratiques discriminatoires de la police sont une raison parmi d’autres pour relancer un mouvement antiraciste dans le canton de Vaud. solidaritéS est prêt à y prendre pleinement sa part!

Pierre Conscience