Black Panther

Black Panther : Révolution sur la forme, statu quo sur le fond

Le blockbuster Black Panther produit par les studios Marvel, eux-mêmes possédés par Disney, a effectué l’un des meilleurs démarrages de l’histoire au box-office américain. Tiré du comic book du même nom, publié pour la première fois en 1966, il met en scène un superhéros noir originaire de Wakanda, un pays africain de fiction riche en ressources, qui se retrouve entraîné dans un conflit qui menace non seulement le destin du pays, mais aussi celui du monde.

Il aura notamment à faire à Killmonger qui souhaite s’emparer des richesses du pays afin de libérer son peuple de l’oppression. Très attendu, il a été présenté comme le film le plus progressiste de l’univers Marvel. Verdict?

En tant que jeune femme noire, j’attendais ce film avec impatience et au vu de mon fil d’actualité Facebook, je n’étais pas la seule. Les billets partageant des photos du tournage, des costumes ou encore les bandes-annonces me donnaient l’impression que je ne pouvais rater Black Panther. Le film y était présenté comme révolutionnaire, progressiste et woke selon le vocabulaire en vogue dans les milieux militants étasuniens (éveillés dans le sens de progressiste/libéral).

Cette impression était encore accentuée par la bande-annonce tout en esthétique afrofuturiste, présentant les acteurs et actrices, tous noirs, avec comme accompagnement musical une reprise du classique de Gil Scott Heron The revolution won’t be televised. Tous les voyants étaient au vert pour un film à gros budget qui mettrait enfin des personnes noires au centre de son histoire sans que le sujet ne soit la traite transatlantique. Dès que le film est sorti, que ce soit aux Etats-Unis ou ailleurs dans le monde, on a pu voir, toujours par le prisme des médias sociaux, des scènes de liesses de Cotonou à New York en passant par Paris.

Des personnages de femmes noires, fortes et intelligentes

C’est dans cette optique-là que je me suis assise dans mon siège de cinéma, il y a quelques jours. Deux heures plus tard, lorsque le générique de fin a retenti j’avais ri, pleuré et passé un bon moment. Black Panther est un film de superhéros Marvel classique: un univers visuel très chargé et plein d’effets spéciaux, des courses poursuites et un scénario reposant sur la lutte entre le bien et le mal. Néanmoins, on y trouve des personnages de femmes noires, fortes, intelligentes et complètement nécessaires au déroulement de l’histoire. Les Blancs, quasi inexistants, sont soit des méchants bien peu charismatiques soit des faire-valoir. On y voit une société africaine qui fonctionne et fait face à une crise majeure avec ses propres ressources humaines ou matérielles. C’est d’ailleurs une chose bien étrange, dans le sens d’inhabituel, de voir une œuvre de fiction avec tous les codes esthétiques et scénaristiques occidentaux où finalement aucun·e Blanc ou Blanche ne vient sauver la situation à la fin.

Des millions de personnes ont vu ce film, des millions de billets sur Facebook et d’articles de blogues ont été écrits. Dans le même temps, les réactionnaires de tous bords ont tenu leurs discours nauséabonds. Par exemple, la LICRA a dénoncé fermement le fait que Mwasi, un collectif afro-­féministe, organise une projection suivie d’une réunion non mixte. Des Américains suprémacistes blancs ont lancé des fake news affirmant que des Blancs s’étaient fait tabasser par des Noirs lors de la projection du film. Ce ne sont là que quelques exemples de la manière dont ce film a déchaîné les passions, pour le meilleur et pour le pire. Car Black Panther est bien plus qu’un film, c’est un phénomène culturel qui a déclenché des millions de conversations à travers le monde. Des conversations qui étaient profondément nécessaires.

Pas d’alternative au statu quo

Néanmoins, la représentation n’est pas la redistribution. En aucun cas, ce film ne propose d’alternative au statu quo, au monde capitaliste, hétérosexiste et raciste dans lequel nous vivons. Au contraire, comme tout blockbuster, sa faculté de subversion est enfermée dans une petite boîte très précise: celle du libéralisme économique et des institutions qui le soutiennent. Par exemple, l’opposition entre le «méchant» Killmonger et le «gentil» roi T’Challa peut être lue comme une mise en scène des différentes stratégies d’émancipation des personnes noires. Entre un leader, le roi T’Challa, légitime, non violent et «homme de paix» et Killmonger, le partisan de la lutte armée et du séparatisme, Marvel ne nous laisse aucun doute sur qui a raison. Sans vouloir tout dévoiler, à la fin du film tout rentre dans l’ordre, l’ordre capitaliste, l’ordre institutionnel, l’ordre bourgeois.

Avoir un avis tranché sur le potentiel émancipateur d’un produit de la pop culture est illusoire. Parce que bien qu’il soit produit dans la matrice même du système médiatique, il y existe un espace de subversion, surtout dans l’œil du spectateur ou de la spectatrice. En tant que femme noire militante, voir ce film ne me conforte pas dans ma volonté de combattre le système raciste dans lequel je vis, il ne me donne pas les outils nécessaires pour abattre l’hétéropatriarcat et ne me fournit sûrement pas une vision à même de nourrir mon souhait d’un monde sans oppression. Néanmoins, en pensant à l’enfant noir qui verrait ce film et se dirait qu’il ou elle peut être une scientifique hyper intelligente, un·e leader charismatique ou un·e chef·fe de guerre badasse, je me dis qu’un film comme ça a une utilité: faire rêver. Parce que rêver ne fait pas de nous des révolutionnaires, mais que sans rêve il n’y a pas de révolution.

Maimouna Mayoraz