Féminisme et gaming, parlons-en

On connaissait la série Dallas et son univers impitoyable. Il semblerait bien que celui des jeux vidéos le soit tout autant pour les femmes.

Avant toute chose, ce court article n’a pas la prétention d’être le premier à dénoncer le sexisme dans la sphère «geek». Les anglophones se sont emparés du sujet depuis bien des années.

Citons Anita Sarkeesian, vidéoblogueuse américaine diplômée en communication, sociologie et politique, et figure pionnière de la critique féministe de la pop culture, à travers son excellente chaine YouTube Feminist Frequency (des sous-titres en français sont parfois disponibles). En 2012, elle s’intéresse à la représentation de la femme dans les jeux vidéos, et lance alors un appel aux dons pour financer ses recherches. Elle se fixe comme objectif de récolter 6000 dollars.

Mais ce qui rendra son travail tristement célèbre, c’est la campagne massive de harcèlement qui suivra son appel aux dons. Ses vidéos sont inondées de commentaires insultants, misogynes, homophobes, antisémites, racistes, antiféministes ; elle reçoit régulièrement des menaces de morts et de viol ; sa page Wikipédia est vandalisée de façon systématique ; des photos d’elle sont détournées en «memes» obscènes et en images à caractère pornographique ; enfin, un internaute ira jusqu’à créer un jeu vidéo dont le but est de tabasser Anita Sarkeesian jusqu’à la défigurer.

Ironiquement, le harcèlement que subit la vidéoblogueuse a pour effet d’attirer l’attention du public américain sur le sexisme geek, et la récolte de dons atteint plus de 150 000 dollars, soit 25 fois l’objectif initial. Du côté de la francophonie, les voix sont encore très timides.

Néanmoins, je vous recommande l’excellent travail effectué par Mar_lard, militante féministe, passionnée et créatrice de jeux vidéo. Elle rédige en 2013 sur le blogue cafaitgenre.org un (très) long billet, solidement documenté, intitulé «Sexisme chez les geeks: Pourquoi notre communauté est malade, et comment y remédier».

Aujourd’hui, en 2018, si l’on a pu constater quelques progrès, ceux-ci sont encore trop modestes. Les protagonistes dans les jeux vidéo sont encore très majoritairement masculins et hétéronormés. La presse vidéoludique continue de se complaire devant le tour de poitrine de Lara Croft. Sur les jeux en ligne, les insultes homophobes sont toujours parmi les plus proférées par les joueurs et joueuses toxiques, et nombre de joueuses continuent de se cacher sous une identité masculine afin de jouer sans être harcelées et discriminées. L’univers du gaming fait partie intégrante de notre culture, son chiffre d’affaires dépasserait même celui du cinéma. Les représentations que cet univers véhicule sont diffusées à une échelle mondiale. Il est urgent que la lutte féministe s’empare de ce domaine.

Marcela Silva Moreira