Iran - 8 mars

Iran - 8 mars : Filles de la rue de la Révolution

Une vague de protestations contre le hijab obligatoire a commencé le 27 décembre 2017, quand des photos d’une femme brandissant son foulard sur la rue Enghelab (Révolution) à Téhéran ont circulé sur les médias sociaux.

Nasrine Sotoudeh, avocate spécialiste des droits humains, a annoncé sur sa page Facebook le 21 janvier que les autorités avaient arrêté cette femme le 27 décembre, jour de la publication de son action. Les médias sociaux ont rapidement commencé à l’appeler la «fille de la rue de la Révolution». Cette femme a par la suite été libérée sous caution.

Depuis lors, des dizaines de «filles de la rue de la Révolution» ont enlevé leur foulard en se tenant debout sur des boîtes à outils à travers le pays. Le 29 janvier, Nargess Hosseini, 32 ans, se tenait sur la même boîte tout en agitant son foulard en signe de protestation. Les autorités l’ont immédiatement arrêtée et transférée à la prison de Qarchak à Téhéran.

Sotoudeh, qui représente Hosseini, a déclaré qu’elle était accusée de «commettre ouvertement un acte de péché», de «violer la prudence publique» et d’«encourager l’immoralité ou la prostitution». Selon l’article 639 du code pénal iranien, encourager l’immoralité ou la prostitution est passible d’un à dix ans de prison. Le 17 février, les autorités ont libéré Hosseini sous caution. Son procès est prévu pour le 24 février.

Le 22 février, une vidéo a été publiée sur twitter montrant un policier qui poussait violemment une femme qui ne portait pas de voile sur une boîte à outils où elle manifestait pacifiquement.

Selon les autorités, près de 29 personnes ont été arrêtées dans un effort pour endiguer ces velléités d’émancipation des femmes iraniennes.

Le gouvernement, via ses médias, n’a pas tardé à entreprendre des campagnes de diffamation envers des militantes féministes iraniennes à l’intérieur et à l’extérieur du pays, les accusant d’être des agents de l’impérialisme américain tentant de déstabiliser le pays, le féminisme étant considéré par la République Islamique comme une forme d’ingérence occidentale et non comme un mouvement endogène à la société iranienne. Ces campagnes visent évidemment à discréditer les demandes légitimes de libération des femmes iraniennes et à décourager celles et ceux qui aimeraient s’y joindre.

Justice sociale et lutte des femmes

Ces demandes des femmes iraniennes contre la tentative de l’Etat de contrôler leur corps, ce qu’elles portent et comment elles décident de se présenter dans la société s’inscrivent non seulement dans un contexte de demandes des classes populaires iraniennes pour plus de justice sociale et de démocratie, mais également dans un cadre historique de luttes des femmes iraniennes contre l’instrumentalisation de leur corps à des fins idéologiques et politiques. En effet, dans les années 30, le Shah d’Iran, Reza Shah Pahlavi, avait interdit le port du voile, interdiction qui avait été mise en application par la police, joignant la violence de l’interdiction en elle-même à celle des forces de l’ordre.

En tant que militant·e·s féministes et de gauche, il nous appartient d’affirmer notre solidarité totale avec les luttes des femmes iraniennes pour leur complète émancipation, de relayer leurs demandes et d’appeler à la libération immédiate de toutes celles qui se retrouvent en détention, ainsi qu’à l’abandon de toutes les charges qui pèsent sur elles.

Un choix libre et éclairé

Il est tout aussi nécessaire dans notre contexte européen teinté d’islamophobie de lutter contre toute récupération des exigences des femmes iraniennes par les islamophobes déclarés et autres tenant·e·s d’un féminisme colonial qui peine à masquer son racisme et son islamophobie derrière l’argumentaire fatigué de libération des femmes. En effet, les femmes iraniennes ne s’opposent pas au voile en tant que tel, mais à l’obligation de le porter et aux injonctions patriarcales qui pèsent sur elles et sur leur autonomie corporelle. Elles réclament la liberté de choisir, et en ce sens ne suivent donc pas la ligne des «féministes» occidentales, qui voient dans le voile un instrument d’oppression et soutiennent des lois et politiques discriminatoires et oppressives envers les femmes musulmanes voulant porter le voile, violant par là-même le droit des femmes de disposer de leur corps et leur liberté de choix.

Forcer des femmes à porter ou à enlever le voile, ou quoi que ce soit d’autre d’ailleurs, constitue les deux faces de la même médaille d’oppression et de non-respect du principe fondamental d’autonomie corporelle. Le choix libre et éclairé des femmes menace le patriarcat, le capitalisme et le racisme, car ces systèmes ne peuvent pas survivre sans s’appuyer sur l’exploitation, l’instrumentalisation et l’assujettissement du corps des femmes.

Dès lors que nous effectuons nos propres choix – reproductifs, sexuels, personnels, vestimentaires – allant à l’encontre des stéréotypes et des injonctions sexistes, racistes et capitalistes, nous participons au démantèlement de ces structures.

Ce sont ces systèmes d’oppression que les Iraniennes s’attellent à déconstruire en joignant leurs demandes de libération à celles économiques et sociales des travailleurs et travailleuses du pays.

Paola Salwan Daher